Édition du 12 mars 2024

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Recevoir des millions pour cacher des billions : les Pandora Papers démasquent aussi les facilitateurs du crime financier

L’enquête sur les Pandora Papers du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) – une salle de presse et un réseau de journalistes sans but lucratif basés à Washington (D.C.) – a révélé qu’il existe toujours quelques paradis fiscaux pour ceux qui cherchent à cacher leur richesse.

Tiré de The conversation.

Ceux dont on ne parle toutefois pas autant dans la couverture médiatique des Pandora Papers, ce sont les facilitateurs, ceux qui s’emploient à aider les mieux nantis à s’enrichir encore plus et à transmettre leur patrimoine en évitant ou en fraudant le fisc. Ils permettent ainsi aux criminels et aux cleptocrates de blanchir leurs avoirs mal acquis.

Ils ne sont peut-être pas aussi riches que leurs clients, mais ils reçoivent des millions pour cacher des billions.

L’industrie de la défense de la richesse

Il existe depuis longtemps une « industrie de la défense de la richesse » bien établie formée de divers professionnels – conseillers, banquiers, avocats, comptables, notaires, agents immobiliers et autres – qui se servent de sociétés-écrans, de bureaux de gestion de patrimoine, de comptes à l’étranger et de fiducies pour aider les gens les plus riches du monde à protéger leur patrimoine des percepteurs d’impôts.

Ces « facilitateurs » hautement rémunérés aident les oligarques, les dictateurs et les criminels du monde entier.

Les médias grand public ont déjà beaucoup parlé des crimes, des abus et des méfaits financiers d’États étrangers malveillants et de riches particuliers, mais qu’en est-il des intermédiaires du système financier qui s’occupent des détails et qui fournissent les mécanismes d’évasion aux criminels ?

Certains membres des élites paient des professionnels et des entreprises de renom pour leur ouvrir des portes politiques, faire pression contre des sanctions, mener des batailles juridiques ou blanchir de l’argent et des réputations. Ce faisant, ces institutions et ces particuliers repoussent les limites de la loi et portent atteinte aux principes de notre démocratie.

Selon le rapport d’enquête 2020 de Deloitte sur la préparation à la lutte contre le blanchiment d’argent, on estime que le montant total d’argent blanchi chaque année serait l’équivalent de 2 à 5 % du PIB mondial, soit entre 800 milliards et 2 billions de dollars US.

Les dossiers FinCEN de l’ICIJ nous offrent un aperçu sans précédent d’un monde secret de banques internationales, de clients anonymes et, dans bien des cas, de criminalité financière.

Ils montrent comment les banques font aveuglément transiter de l’argent par leurs comptes pour des personnes qu’elles ne sauraient identifier, ne signalent qu’après plusieurs années des transactions qui présentent toutes les caractéristiques du blanchiment d’argent et font même affaire avec des clients impliqués dans des fraudes financières et des scandales de corruption publique.

Les ravages de « l’argent occulte »

La corruption et les malversations financières sont de par leur nature secrètes et souvent très complexes. L’argent occulte, ou argent noir, (essentiellement, les sommes dépensées afin d’influencer les résultats politiques sans que soit divulguée la source de l’argent) achète l’accès aux tribunaux et aux politiciens, rendant ainsi la société moins juste et moins équitable.

Ce qui distingue souvent les riches ordinaires des membres de l’oligarchie, c’est que les oligarques investissent dans la défense de la richesse. Ils utilisent leur pouvoir et leur richesse pour en accumuler encore plus, pour faire pression sur les politiciens et pour truquer les règles du jeu afin qu’elles leur conviennent.

L’un des défis de la lutte contre le crime financier est la course mondiale vers le bas qui se déroule entre les paradis fiscaux, chacun tentant d’attirer des clients en offrant des incitations plus lucratives et un plus haut niveau de confidentialité pour les entreprises. Les facilitateurs de l’industrie de la défense de la richesse élaborent et commercialisent des stratégies, des structures et des systèmes qui permettent d’éviter les obligations fiscales et les contrôles réglementaires.

Les bases de données sur la propriété effective, conçues pour lutter contre le blanchiment d’argent, sont des mesures de plus en plus populaires dans le monde entier depuis la publication des Panama Papers, qui ont attiré l’attention de la communauté internationale sur les impacts sociaux de l’anonymat des entreprises.

Si cette tendance se poursuit, on peut espérer que le nombre toujours croissant de gouvernements qui instaurent des initiatives en matière de propriété effective et de transparence fiscale obligera les paradis extraterritoriaux restants, comme les Bermudes, les îles Caïmans et Malte, à suivre le pas pour éviter d’être exclus du système financier mondial.

Des signes prometteurs

Pendant ce temps, de nombreux territoires continuent d’échapper aux organismes d’application de la loi qui suivent les pistes de l’argent des fraudeurs fiscaux et des criminels.

Malgré des lacunes évidentes sur les plans de la réglementation et de son application, ainsi que l’absence apparente de volonté politique pour résoudre ces lacunes dans la pratique, certains signes encourageants laissent penser que les gouvernements du monde entier se sentent désormais contraints d’agir.

La demande mondiale pour la transparence et la responsabilité ne cesse de s’intensifier. À celle-ci s’ajoutent des appels à la lutte contre l’inégalité croissante de la richesse ainsi que des pressions de la part des investisseurs en vue de l’adoption de principes ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).

Bien que ces facteurs contribuent à éveiller l’attention des hauts responsables politiques, la cynique réalité est que la motivation première de ces dirigeants n’est probablement rien d’autre que la sérieuse et alarmante tendance à la baisse des recettes fiscales. L’approbation du concept d’un taux d’imposition mondial minimum de 15 % par les chefs politiques du G7 lors de leur sommet de juin 2021 est une indication claire qu’un vent de changement commence à souffler.

Le modèle actuel n’est pas viable. Les réalités fiscales, ainsi que la pression et la nécessité politiques, obligeront les dirigeants à agir. Leurs discours sur l’inégalité de la richesse et le déséquilibre du pouvoir ne suffiront bientôt plus, car ils permettent à l’industrie de la défense de la richesse et à ses clients de contourner le système et d’éviter de payer leur juste part.

Une plus grande transparence et une plus grande responsabilité sont requises pour démasquer les facilitateurs et réduire les failles qui permettent aux criminels, aux riches particuliers et aux entreprises d’agir en toute impunité.

Marc Tassé

Professeur à l’université d’Ottawa.

https://theconversation.com/profiles/marc-tasse-1278181

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