Édition du 23 avril 2024

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Référendum sur l’avortement en Irlande : les « pro-choix » se mobilisent

« My body, my choice », « Trust women ». Les slogans ne manquaient pas à la manifestation défendant l’accès à l’avortement le 8 mars dernier à Dublin, la capitale irlandaise. ONG, partis politiques, syndicats, des milliers de personnes s’étaient réunies pour encourager les Irlandais à voter pour l’abrogation du 8e amendement de leur Constitution – un texte qui limite considérablement l’accès à l’avortement – lors d’un référendum qui devrait être organisé, fin mai, dans le pays.

Tiré de Equal times.

La République d’Irlande fait partie des quelques pays européens à avoir un accès particulièrement restrictif à l’avortement. Complètement interdit à Malte, par exemple, il n’est autorisé en Pologne que dans certains cas (viol, inceste, anomalie du fœtus et risques pour la santé) et est actuellement mis à mal par un texte souhaitant désormais l’interdire en cas de malformation fœtale.

En Irlande, pays à forte tradition catholique, avorter n’est autorisé qu’en cas de mise en danger de la vie de la mère – et donc interdit en cas de viol, d’inceste et de malformation du fœtus. Un cadre particulièrement restrictif qui pousse de nombreux Irlandais à demander, aujourd’hui, l’assouplissement de la législation.

Leur cible ? Le 8e amendement de la Constitution qui place à égalité vie de la mère et vie de l’embryon ou fœtus et interdit, donc, d’avorter. Introduit par référendum en 1983, sous la poussée de politiciens et de dirigeants religieux inquiets de la légalisation de l’avortement dans d’autres pays, l’article rend extrêmement compliquée toute libéralisation des lois.

La possibilité d’avorter en cas de danger pour la vie de la mère n’a été légiférée qu’en 2013 suite au décès de Savita Halappanavar, une jeune femme qui s’était vu refuser un avortement alors qu’elle faisait une fausse couche et qui est morte de septicémie après.

Obligées de voyager pour avorter

« Le 8e amendement a causé d’incroyables situations de détresse en Irlande », indique à Equal Times Sinéad Kennedy, de la Coalition to repeal the eighth, entité de plus d’une centaine d’organisations, qui milite pour l’abrogation de cet amendement.

« Près de la moitié de nos membres sont des femmes, » explique David Joyce, de l’Irish Congress of Trade Unions (ICTU), une importante organisation syndicale qui s’était déjà opposée, dans les années 1980, au 8e amendement (ndlr : Tous les syndicats de ce groupe n’ont toutefois pas pris position sur la question mais l’un des plus importants d’entre eux, Siptu (Services Industrial Professional and Technical Union), s’est prononcé en faveur de l’abrogation de l’amendement.)

« Pour nous, il est inacceptable qu’elles vivent dans un pays qui les force à aller à l’étranger pour mettre fin à leur grossesse ou qui les criminalise lorsqu’elles prennent la pilule abortive, » rajoute Joyce.

En 2016, faute d’une législation plus souple, au moins 3265 femmes ont été contraintes de faire le trajet entre l’Irlande et les cliniques d’Angleterre et du pays de Galles, d’après le département de la santé britannique.

Un voyage qu’a dû faire Shelley, 29 ans, qui milite contre le 8e amendement.
« Nous avons pris un vol tôt le matin avec mon copain. J’ai pris un taxi pour aller à la clinique, j’ai eu l’intervention, suis restée là-bas récupérer une heure et ai dû reprendre un autre vol pour retourner en Irlande. »

Des conditions tout sauf idéales pour la jeune femme, qui précise à Equal Times. « Après, j’ai encore mis trois heures pour rentrer chez moi depuis Dublin. Je me sentais mal. Et le fait de devoir voyager a rendu encore plus pénible une décision déjà incroyablement difficile à prendre. »

Psychologiquement marquant et peu pratique, l’avortement à l’étranger s’avère aussi coûteux pour les Irlandaises. Entre 400 et 1800 euros (500-2250 USD), hors coûts du voyage et d’un éventuel logement, selon l’Irish Family Planning Association (IFPA).

Une situation qui peut conduire certaines patientes à retarder l’acte médical, par manque de moyens, ou à préférer l’avortement chirurgical – plus rapide et permettant de repartir le jour-même – mais pas toujours adapté.

« Le 8e amendement n’empêche pas les avortements, » indique-t-on à l’IFPA, « mais fait peser un poids supplémentaire sur les femmes qui ont besoin d’y accéder. » Plus grave, il crée des disparités. « Il discrimine les femmes qui n’ont pas d’argent mais aussi celles qui n’ont pas de papiers. » Pour ces dernières, il est effectivement bien plus difficile, administrativement, de voyager.

Quant à la pilule abortive, moins chère et a priori demandée (5650 femmes d’Irlande et d’Irlande du Nord auraient contacté le site spécialisé Women on Web entre 2010 et 2015), elle est illégale. Bien qu’aucune condamnation n’ait encore été prononcée pour ce type d’infraction, la contrevenante est passible en théorie de 14 ans de prison. De ce fait, elle est prise sans suivi médical, au grand dam des professionnels.

« Ces pilules sont sans danger et efficaces lorsqu’elles sont prises sous contrôle médical comme c’est le cas dans pratiquement tous les autres pays d’Europe. Mais lorsqu’elles sont prises sans contrôle médical, il y a des risques significatifs », rappelait récemment le Dr Peter Boylan, président de l’Institut irlandais des obstétriciens et gynécologues.

Une opinion publique à convaincre

Alors, à mesure qu’approche le référendum, les « pro-choice » multiplient les actions.

Mary est cofondatrice de la plateforme, Everyday Stories, qui publie les histoires de femmes ayant avorté malgré les conditions difficiles en Irlande. Les militantes de Rosa, groupe appartenant à la mouvance socialiste féministe, ont, elles, plusieurs fois sillonné le pays avec leur « bus des pilules abortives ».

Enfin, dernièrement, tout un ensemble d’organisations se sont retrouvées derrière la campagne « Together for yes » (« Ensemble pour le oui ») à l’abrogation du 8e amendement, bien décidées à convaincre les Irlandais.

« Des avortements, il y en a déjà ici. C’est un fait, » rappelait Ailbhe Smyth, co-directrice de la campagne. « Nous devons mettre en place des lois et des services qui répondent, de façon empathique et appropriée, aux réels besoins des femmes. »

La bataille ne sera pas forcément aisée. Car, en dépit notamment des scandales de pédophilie qui ont touché l’Église irlandaise et la libéralisation de la société, le pays reste imprégné d’une forte idéologie catholique, observe Mary McAuliffe, historienne et spécialiste en études de genre à l’University College Dublin.

Une importante manifestation a par exemple eu lieu à Dublin, en mars dernier, rassemblant, cette fois, les anti-avortement. Arborant des panneaux comme « Repeal kills » (« Abroger tue »), les « pro-life » tiennent à sauvegarder le 8e amendement qui aurait surtout permis, à leurs yeux, de sauver des vies.

Cora Sherlock de l’organisation Pro-life campaign estime par ailleurs que les alternatives à l’avortement, « les alternatives qui sauvent des vies », comme l’adoption, n’ont pas été assez prises en considération.

Pour l’heure, toutefois, les sondages donnent raison aux partisans du droit à l’avortement, indiquant qu’environ 50 % des électeurs au moins seraient favorables à l’abrogation, 20 à 30 % seraient contre, et le reste ne s’est pas encore décidé.

Pour l’analyste politique Noel Whelan, la question pourrait aussi être générationnelle : « Les électeurs plus jeunes sont dramatiquement en faveur de l’abrogation. »

Gail Mc Elroy, de l’École de sciences sociales et de philosophie du Trinity College Dubin, rappelle quant à elle l’importance du mois de mai comme période d’élection pour le gouvernement irlandais, « en particulier s’il veut que le référendum passe, il veut être sûr que les jeunes soient encore ici pour prendre part au vote ».

Si le 8e amendement est abrogé au référendum, le gouvernement devrait proposer au parlement un projet de loi pouvant notamment permettre l’accès à l’avortement, sans restriction spécifique, jusqu’à la 12e semaine de grossesse.

Julia Gaulon

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