Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Réponse à la position de M.Alain Dubuc face au manifeste de M.Bernard Landry, de Mme Monique Forget et autres...

J’ai lu la chronique de monsieur Dubuc dans La Presse du 9 janvier [1]. Tout comme dans le manifeste du 8 janvier co-signé par onze personnalités, on y voit un plaidoyer en faveur de l’exploitation des « richesses » pétrolières de notre sous-sol. Il lance également quelques remarques désobligeantes envers les écologistes telles « la mouvance écologiste » et « La bataille des groupes écolos ressemble plus à une croisade idéologique … qu’à un projet de société ». En ce sens, il rejoint un commentaire que M. Landry a fait vendredi devant l’animateur de RDI, Simon Durivage : « Nos écologistes nous doivent respect, logique et rigueur ». [2]

Je crois que les différents textes que j’ai rédigés depuis quatre ans faisaient preuve de « respect, logique et rigueur » ; il en va de même pour la majorité de mes collègues environnementalistes. Le manifeste affirme que « Le débat doit avoir lieu ! » [3]Soit ! Cependant, comme le respect va dans les deux sens, je pense que ceux qui croient en la filière pétrolière devraient faire de même envers les écologistes en évitant d’utiliser des expressions désobligeantes. Si les « pro-pétrole » doivent s’abaisser à nous démoniser et à nous crier des noms plutôt que de répondre à nos questionnements, ils violent explicitement la règle du respect qu’ils prônent !

En effet, un des trois souhaits du manifeste se lit ainsi : « [que] Le débat qui s’engage sur l’exploitation des ressources pétrolières se fasse respectueusement et qu’il s’appuie sur des informations vérifiées. » (c’est moi qui souligne) N’oublions pas qu’au début du débat, les entreprises de l’APGQ ont eu l’arrogance de dire n’importe quoi en prenant pour acquis que les Québécois étaient des « valises ». Cela a donné, entres autres, le fiasco de relations publiques du 28 septembre 2010 à l’Auberge des Seigneurs de Saint-Hyacinthe ; les citoyens n’ont pas été dupes. Désormais, comme partie prenante de ce débat, je crois que les « pro-pétroles » ont, tout comme nous, l’obligation de fournir des informations vérifiées et contre-vérifiables ! Dans un débat vigoureux, c’est ce qu’on appelle de la rigueur !

Comme une bonne partie du débat tourne autour de la nécessité de « faire de l’argent » pour payer nos services sociaux et ne pas laisser une sorte d’hypothèque aux prochaines générations, une question me turlupine. Quel sera le coût après la fermeture de la filière pétrolière ? Cette question est, également, centrale dans au moins trois domaines du développement de nos ressources naturelles.

Tout d’abord, nous devrons payer pour la décontamination de plusieurs sites miniers orphelins. Le rapport du Vérificateur général n’a pas été tendre envers la gestion d’une succession de gouvernements. Certains autres textes et des déclarations politiques affirment que la facture pourrait dépasser le milliard. Oui, on a fait un peu d’argent avec les redevances et les impôts sur les salaires et les profits des entreprises. Maintenant que ces mines sont fermées, nous devons réparer les pots cassés sans retirer un sou. Quel est le bilan global des ces exploitations minières ? Est-ce un argument « spécieux » que de demander à monsieur Dubuc de répondre à ce genre de questions dans le domaine de l’exploitation du pétrole ?

Il en va de même dans la filière nucléaire. Pendant une génération, la centrale de Gentilly a produit de l’électricité ; pendant ce temps, elle a rapporté de l’argent dans les coffres d’Hydro-Québec et de l’État. Mais sa vie utile est terminée. Nous n’en retirerons plus un sou, mais nous devrons dépenser des milliards pour la démonter sans risquer de contaminer notre environnement et de menacer la santé des citoyens de la région. Dans un souci d’équité intergénérationnelle, est-il juste que nous ayons à payer pour le démantèlement de cette centrale qui a, jadis, été profitable ?

La filière du pétrole québécois fait face à cette même problématique. Dans le cas du développement pétrolier et gazier par fracturation hydraulique, nous avons affaire à une technique extrêmement inefficace. Au mieux, la fracturation peut extraire 20% du gaz emprisonné dans la roche-mère. Quant au pétrole de schiste, le taux de recouvrement est inférieur à 2% de la ressource. Le 80% du gaz, économiquement non-rentable, qui demeure dans la roche va migrer très, très, très lentement vers le puits ; même si le puits est obturé lors de sa fermeture, il y aura, inévitablement, une remise en pression à travers les âges géologiques. C’est également vrai pour le 98% du pétrole qui est irrécupérable par la technique de fracturation. Est-ce que le coulis de béton et l’acier du tubage des milliers de puits vont durer pendant au moins 100 000 ans ? Si l’espérance de vie utile de ce genre d’ouvrage devait être aussi longue, on pourrait faire la leçon aux constructeurs du pont Champlain ! N’oublions pas qu’après sa fermeture, le puits devient légalement la propriété du gouvernement... pour toujours.

Comme une partie de l’argumentaire repose sur la prémisse qu’il ne faut pas laisser une « hypothèque » aux générations à venir, j’aimerais que M. Dubuc, ainsi que les signataires du manifeste répondent sérieusement à la question des coûts collectifs que le gouvernement du Québec devra assumer après l’abandon des puits ! Ignorer la question serait irresponsable !

Selon les règles de fonctionnement que le manifeste suggère, le débat doit se faire « respectueusement » et s’appuyer sur « des informations vérifiables ». [4] Sur le plan légal, appuyés par des données techniques et scientifiques, les coûts que le gouvernement du Québec devra assumer après la fermeture des puits sont centraux au débat. Ce n’est qu’une des questions que l’exploitation pétrolière soulève ! Est-ce que M Dubuc, ainsi que les signataires du manifeste, ont la « rigueur » intellectuelle pour répondre à cette question ? À défaut de le faire, ils admettent implicitement qu’il n’ont pas de respect pour l’intelligence des citoyens et ni pour la rigueur intellectuelle des écologistes. Cela voudrait dire que les pro-pétrole » n’ont rien appris du fiasco de relations publiques du 28 septembre 2010.

Gérard Montpetit

La Présentation, 15 janvier 2014


[2RDI, Entrevue avec Simon Durivage, 10 jan. 2014

[3Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole www.petrolequebec

[4Idem.

Gérard Montpetit

Membre du comité Non au schiste La Présentation

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