Édition du 16 avril 2024

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Rojava

Rojava : « La révolution ne doit pas disparaître »

Depuis le 9 octobre, l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (ou Rojava) est envahie par l’État turc et l’Armée syrienne libre. Le nom de cette opération de nettoyage ethnique ne saurait être plus orwellien : « Source de paix ». Face aux bombardements, à l’exécution de civils, aux déplacements de populations et à la progression terroriste ennemie, le commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS) a fait savoir hier soir que le Rojava était condamné, au nom de la survie même de ses habitants, à des « compromis douloureux » : la négociation d’un appui armé de Damas et de Moscou. Nous en parlons brièvement, urgence oblige, avec Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France.

Tiré de Ballast.

Les FDS ont déclaré qu’entre « le compromis et le génocide », le Rojava choisit de sauver le peuple. Cet accord avec Damas et Moscou est-il une surprise ?

Il faut d’abord souligner que les Kurdes ont travaillé à l’idée de fédéralisme et d’autonomie au sein des frontières syriennes, jamais à l’indépendance du Rojava ou d’un Kurdistan syrien. Tôt ou tard, il allait falloir discuter avec le régime syrien. Maintenant, cette décision s’explique, de manière pragmatique, par l’inefficacité de l’Europe et en particulier de la France : elles ont été faibles, lentes. Cet accord avec le régime syrien s’en est donc trouvé précipité…

Si l’invasion turque est repoussée, comment l’Administration autonome parviendra-t-elle à ne pas être broyée, à terme, par le régime d’Assad ?

L’accord signé hier soir ne concerne que la sécurité des frontières. L’armée syrienne ne sera stationnée qu’à des points précis. L’objectif principal est de repousser l’invasion turque.

Mais que va concéder le Rojava en échange ?

La contrepartie, c’est la présence de l’armée syrienne au Rojava.

La France a suspendu ses livraisons d’armes à la Turquie. Vous estimez que ça n’aura aucun « impact » : que préconisez-vous ?

Aucun, oui. Erdoğan a annoncé lui-même que les sanctions visant la Turquie en matière d’armement ne le feront nullement renoncer à son offensive. Malgré ça, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, publie un communiqué dans lequel il affirme, dans le cadre du prochain sommet de l’Union européenne, qu’il insistera sur la suspension des ventes d’armes. C’est inutile, ça ne servira à rien du tout. La Turquie ne va pas faire marche arrière avec de telles sanctions : elle dispose déjà de tous les moyens nécessaires. Il faut des actions immédiates et concrètes, notamment économiques ; il faut bloquer complètement l’économie turque. Mais la question va bien au-delà de ce que l’on croit : d’un point de vue sécuritaire, peut-être peut-on comprendre la position française, mais des civils sont en train de mourir sous les bombes de l’armée turque et cette opération ne fera que renforcer le djihadisme. Près de 1 000 détenus djihadistes se sont déjà évadés des prisons du Rojava depuis le début de l’invasion. Erdoğan affirme que ce sont les Kurdes qui ont ouvert les portes : c’est faux, bien sûr. On a des vidéos des bombardements aériens. Tout est prouvé. Il y a donc un risque majeur de déstabilisation de la région tout entière, puis un risque pour l’Europe. Dans un an, dans deux ans, les cellules dormantes de Daech qui existent sur le sol français resurgiront : nous sommes totalement conscients de cela. L’attaque de la préfecture de police de Paris ne vient pas de nulle part. Il reste un réseau très organisé. Ce qui nous frappe en Syrie finira par frapper la France. En l’état, les mesures que cette dernière prend ne sont pas convaincantes : elle n’affronte pas la réalité. Nous sommes en guerre, et tout le monde est pris dans cette guerre — notamment la France, qui s’est engagée au cours de la bataille de Kobané.

Jean-Luc Mélenchon a appelé à frapper militairement les forces turques. Mais est-ce à la France d’engager ainsi ses forces armées ?

Plutôt que de frapper directement l’État turc, la France pourrait prendre la direction des forces de commandement de la coalition internationale. Les États-Unis n’en ont rien à faire : Trump déclare ouvertement que son pays se trouve très loin du Moyen-Orient et que les djihadistes affecteront l’Europe.

Le pouvoir turc a fait savoir qu’il se moque des réactions internationales et que cela ne fait que le « renforcer ». Faudrait-il, à l’instar du mouvement BDS en faveur de la Palestine, lancer un mouvement international de boycott ?

Ça peut en effet être une bonne idée. Il faut boycotter les produits turcs. Les grandes marques turques sont dirigées par des figures nationalistes, expansionnistes. De leur équipe de football à leurs journalistes, il y a cette adhésion nationaliste, cette haine des Kurdes, ce soutien à l’offensive.

Comment peut-on agir de France ?

Il faut que chacun soit conscient qu’il s’agit là d’un combat commun. Si la Turquie triomphe, les dégâts seront irréparables. Nous sentons que de nombreux Français sont à nos côtés : ça nous rassure, ça nous encourage. Mais, concrètement, il faut que les citoyens français fassent appel au gouvernement français, qu’ils accentuent la pression.

L’entreprise révolutionnaire en cours au Rojava est très souvent passée sous silence : que signifierait son écrasement ?

C’est la seule révolution qui a tenu, au Moyen-Orient, et elle est même devenue un exemple pour toute la gauche. Les conquêtes de la révolution doivent être rappelées, sur le terrain : la parité, l’égalité entre les sexes, le travail quotidien pour plus de démocratie, d’égalité et d’écologie. Si cette révolution disparaît, l’ensemble du mouvement révolutionnaire international en sera touché. J’appelle vivement tous les révolutionnaires et les gens de gauche à renforcer leur soutien à la révolution. Vraiment, elle ne doit pas disparaître.

Agit Polat

Porte-parole du Conseil démocratique kurde en France.

https://cdkf.fr/

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