Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Trump : premières leçons et premières batailles.

La victoire de Trump est d’ampleur : à 15h ce jour (heure française) il gagne en voix – plus de 71,3 millions contre près de 66,5 à Harris – et en pourcentage – 51,1% contre 47,4%, en outre libertariens et autres font 0,8%, Jill Stein 0,4%, le reste 0,2% – et il est donc président, ayant gagné dans les « swing states » (il restait à dépouiller à cette heure le Nevada, le Michigan et l’Arizona, mais les jeux étaient faits). De plus, les Républicains semblent victorieux au Sénat et peut-être à la Chambre des représentants.

6 novembre 2024 | tiré de site : Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/11/06/trump-premieres-lecons-et-premieres-batailles/

C’est une défaite pour le prolétariat et la démocratie, qui appelle compréhension, résistance et contre-attaque. C’est pourquoi nous saluons le communiqué de l’United Automobile Workers de ce matin qui a le mérite de rappeler que la working class est majoritaire et qu’elle a les mêmes aspirations et revendications quel que soit son vote, avec Donald Trump et Elon Musk comme ennemis.

Harris ne pouvait gagner par ses propres forces, étant la candidate de l’un des deux grands partis de la classe capitaliste américaine. En 2020, si Biden avait gagné contre Trump, ce n’était pas par ses propres forces non plus, mais en raison de la puissante vague de manifestations des noirs et de toute la jeunesse avec eux dont l’assassinat de George Floyd à Minneapolis avait été le détonateur. Pourquoi n’avons-nous pas eu cela cette fois-ci ?

Bien entendu le bilan des démocrates au pouvoir, avec la baisse du niveau réel d’existence et du pouvoir d’achat des plus larges masses, est la donnée de base. Mais il est tout à fait insuffisant de s’en tenir là et de ressasser qu’on ne bat pas l’extrême-droite avec un programme libéral et pour le moins mou du genou sur le « social ». De telles récriminations impliquent des illusions, alors qu’Harris ne pouvait pas avoir d’autre programme que le sien. La défense de la démocratie devait (et devra) se faire sans le Parti Démocrate et en dehors de lui, et c’est sur le terrain de la défense de la démocratie que les Démocrates ont insufflé la faiblesse.

Car, ne l’oublions jamais, toutes les quatre années de Biden se sont déroulées sous le signe de la « prise du Capitole » du 6 janvier 2021 et de l’absence de répression judiciaire contre Trump à la suite de cela. Alors que tous les « gens sérieux » savent sa dépendance envers Poutine, les cercles dirigeants US ont choisi de taire ce fait si désorientant et problématique pour eux et leur crédibilité : un président « agent russe » !

Plus, ce sont des cercles clefs du capital, cette fois-ci, à la différence de 2016, qui ont fait mouvement vers Trump, pour l’encadrer certes, mais aussi pour diriger ses coups contre les syndicats et le mouvement ouvrier (le Project 2025 de la Heritage fondation, le « prestigieux » think-tank néolibéral rallié à Trump). Le rôle clef d’Elon Musk, pas pour modérer Trump en ce qui le concerne, bien au contraire, s’inscrit ici, de même que l’intervention des actionnaires pour interdire à la grande presse traditionnellement pro-démocrate de se prononcer – la rédaction du New York Times était donc en grève le jour du vote !

Et le dollar monte et les places boursières aussi : la classe capitaliste mise sur Trump, qui n’est plus un « accident » comme en 2016.

L’élément d’intimidation physique, propre au fascisme, est présent aux Etats-Unis au moins depuis le 6 janvier 2021 et a été un facteur de l’élection de Trump. Il se combine à la forte dimension masculiniste et viriliste d’une campagne dans laquelle la lutte pour ou contre la domination masculine envers les femmes a été un enjeu central – et bien que ce vote masculiniste comprenne aussi des voix féminines (de même qu’il y a, en Iran, des femmes gardiennes du voile islamique), la résistance à Trump a été majoritairement féminine.

Répétons-le : la violence a été d’ores et déjà un élément de cette victoire. Elle a eu lieu sous la menace, car tout le monde savait que Trump ne reconnaitrait pas une défaite. Les méthodes de la seule « démocratie bourgeoise » sont ici battues d’avance. Ce sont les méthodes des picket lines des grévistes de l’automobile victorieux sur leurs salaires fin 2023, et de l’autodéfense contre la police et les milices de la part des jeunes noirs aidés d’autres secteurs de la jeunesse comme en 2020, ce sont ces méthodes seules, avec l’organisation indépendante des plus larges masses, qui feront reculer la menace et la violence trumpistes.

Mais justement : une poussée spontanée, mais indépendante, comme celle qui avait battu Trump n°1 en 2020, n’a pas eu lieu, s’est sans doute amorcée mais ne s’est pas déployée, contre Trump n°2 en 2024. Là intervient un facteur politique clef : la mobilisation des universités sur le thème de la Palestine n’a majoritairement servi de rien au peuple palestinien et a fait le jeu de Trump.

Ceci n’est ni la faute ni de la responsabilité des étudiants et des millions de jeunes révoltés par le martyr de Gaza, mais de l’orientation politique imprimée à ce mouvement par ses responsables, à savoir la grande majorité de l’extrême-gauche et des secteurs se voulant d’avant-garde, qui, dès le 7 octobre 2023, le jour des pogroms provocateurs du Hamas, ont dénoncé Genocide Joe (Biden) comme LE coupable et l’agent n°1 d’un génocide. En réalité, ledit génocide menace dans les gravats de Gaza, un an après, et la campagne contre Genocide Joe n’a en rien empêché qu’on en arrive là.

Bien au contraire, en détournant l’indignation légitime vers un mouvement acritique envers le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, et agissant sur la base de représentations fantasmées, une mobilisation démocratique et internationaliste de masse analogue, mais en plus approfondie, au mouvement spontané de masse qui en 2020 avait battu Trump, a été sapé.

C’est une mobilisation exigeant de façon combinée l’arrêt des fournitures d’armes à Tsahal, l’aide à l’Ukraine et une répression démocratique réelle de Trump et des putschistes du 6 janvier 2021 qui eût été nécessaire. Elle a été sapée par le campisme, l’ « antisionisme » et le cri Genocide Joe.

Et Netanyahou peut dire ce matin : « Félicitations pour le plus grand retour de l’Histoire. Votre retour à la Maison blanche offre un nouveau commencement pour l’Amérique et un réengagement puissant dans la grande alliance entre Israël et l’Amérique. C’est une énorme victoire ! »

Ce « nouveau commencement », sur la base de l’alliance entre l’extrême-droite israélienne et les courants évangélistes les plus réactionnaires d’Amérique, c’est la destruction totale de Gaza : le génocide, il risque d’arriver maintenant ainsi que la purification ethnique de la Cisjordanie. Les zélotes du slogan Genocide Joe n’ont JAMAIS qualifié Trump de Genocide Donald. Le feront-ils (quand il sera trop tard) ? Rien n’est moins sûr. L’orientation imprimée au mouvement propalestinien a fait quasi ouvertement le jeu des deux pires ennemis des Palestiniens aux visées génocidaires : Donald Trump, Benjamin Netanyahou.

Terrible mais nécessaire, indispensable, bilan politique que celui-ci. Non, il n’y a pas eu là un renouveau internationaliste, ni de nouvelle avant-garde large se mobilisant aux cris de « Palestine » ! Cela aurait dû être, cela aurait pu être, si cette mobilisation avait aussi combattu Iran et Russie et soutenu l’Ukraine, agi pour contraindre réellement l’administration Biden à cesser les livraisons d’armes et appelé à se porter massivement aux urnes pour barrer la route à Genocide Donald …

La victoire de Trump appartient à Poutine, au régime iranien poussant le Hamas à la provocation pogromiste du 7 octobre 2023, à Netanyahou, mais ils n’auraient pas eu ce succès sans l’aide que leur a apporté la désorientation politique déchainée au moyen du thème palestinien, pour le plus grand malheur des Palestiniens.

Le 7 octobre n’était pas parvenu à produire la défaite ukrainienne. C’est cette défaite que Trump et Poutine vont maintenant, la main dans la main, tenter de réaliser. Le danger est total et immédiat pour le peuple ukrainien, menacé au même titre et au même degré que le peuple palestinien.

La lutte des classes et la guerre dans la vieille Europe deviennent donc le nœud de la situation mondiale – nul eurocentrisme dans ce constat, mais au contraire la prise en compte des besoins des exploités et opprimés du monde entier. Nous reviendrons très prochainement sur les conséquences françaises et sur les leçons et urgences ouvertes par cette situation pour le Nouveau Front Populaire et pour les organisations syndicales.

En ce jour, Aplutsoc adresse son fraternel salut et tout son soutien à nos camarades américains ayant combattu pour battre Trump sur une ligne de classe, d’Oakland Socialist et l’Ukraine Socialist Solidarity Campaign, aux camarades s’étant exprimés en ce sens dans New Politics, et au-delà d’eux aux milliers de syndicalistes, notamment de l’United Auto Workers (UAW), qui cherchent la voie de l’action indépendante pour contre-attaquer et gagner.

06/11/2024.

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