Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Un processus de paix « vital » pour... Israël

Faut-il y attacher la moindre importance ? Faut-il, encore une fois, noircir des pages sur la relance des négociations israélo-palestiniennes ? Faut-il s’interroger gravement sur les chances de réussite ou d’échec de ce processus ranimé, pour la énième fois, sous l’égide de Washington ? Faut-il rappeler les promesses successives des présidents américains annonçant pour l’an prochain la création d’un Etat palestinien ?

Tiré de la section Blogues du Monde diplomatique.

On peut, bien sûr, évoquer le passé. Qui se souvient encore des négociations lancées à Annapolis, en novembre 2007, sous l’égide du président George W. Bush, celui-là même qui avait déclenché la « guerre contre le terrorisme » et détruit durablement l’Irak, et qui promettait la naissance d’un Etat palestinien pour dans un an ?

On peut aussi évoquer en souriant (ou en pleurant, c’est selon) le choix par Washington de l’envoyé spécial pour superviser les négociations, M. Martin Indyk. L’homme, qui a grandi en Australie, s’est porté volontaire aux côtés d’Israël durant la guerre d’octobre 1973 et a fondé en 1985 dans la capitale américaine le Washington Institute for Near East Policy (Winep), un des piliers du soutien à Israël à Washington (lire Joel Beinin, « Un “think tank” au service du Likoud », Le Monde diplomatique, juillet 2003). En 1993, les Etats-Unis lui accordent en urgence la nationalité américaine de manière à ce qu’il puisse rejoindre l’administration Clinton, qu’il va conseiller sur le Proche-Orient. Il sera aussi deux fois ambassadeur en Israël. Il a le profil même des « intermédiaires honnêtes » tels que les conçoit Washington, farouchement pro-israélien, mais ne considérant pas forcément tous les Palestiniens comme des terroristes.

Il a fallu une demi-douzaine de déplacements du secrétaire d’Etat américain John Kerry dans la région pour aboutir à... quoi exactement ? On ne le sait pas vraiment, dans la mesure où la base des négociations qui se sont engagées lundi 29 juillet au soir n’est pas connue. Seule certitude, le gouvernement israélien a pris la décision de libérer une centaine de prisonniers (sur l’identité de ces prisonniers, lire Amira Hass, « Who are the 104 Palestinian prisoners Israel will free for peace talks ? », Haaretz, 29 juillet).

Les frontières de 1967 serviront-elles de base aux négociations ? La colonisation cessera-t-elle (elle n’a cessé à aucun moment depuis Oslo, même pas quand Israël avait annoncé son gel) ? A qui seront attribuées les sources d’eau en Cisjordanie ? Que deviendront les réfugiés palestiniens ? Autant de questions sans réponse, et pour cause.

Quoi que l’on pense de l’Autorité palestinienne, celle-ci ne peut accepter une paix qui ne prenne pas en compte le minimum des revendications palestiniennes. Or celles-ci sont inacceptables, non seulement pour la droite israélienne la plus extrême, mais aussi pour Benyamin Netanyahou — pourtant présenté par certains comme l’homme qui pourrait signer la paix — et même, il faut le reconnaître, pour la majorité des politiques.

Alors pourquoi les négociations reprennent-elles ? Essentiellement parce que Washington pense qu’elles sont conformes à ses intérêts stratégiques, d’où les fortes pressions exercées sur les deux parties. Comme l’écrit Daniel Levy, « une paix durable israélo-palestinienne est dans l’intérêt national des Etats-Unis, comme en ont témoigné clairement chaque commandant de l’US Centcom [commandement central américain pour le Proche-Orient] depuis le 11-Septembre ». Ceux-ci, qui ont dirigé les troupes américaines en Irak et en Afghanistan, reconnaissaient que si de nombreux djihadistes se battent contre les Etats-Unis, c’est d’abord au nom de la cause palestinienne.

Mais cette conviction n’amènera pas un changement fondamental de la stratégie de Washington, qui est de considérer, en préalable, que les demandes israéliennes (notamment en termes de sécurité) sont la plupart du temps justifiées.

Netanyahou l’a déclaré, « reprendre les négociations de paix avec les Palestiniens est dans l’intérêt stratégique d’Israël » [1]. Vous avez bien lu : ce sont les négociations (sans fin) avec les Palestiniens qui sont dans l’intérêt stratégique d’Israël, pas la paix.

Un dernier mot pour signaler la décision de l’Union européenne d’exclure les territoires occupés de sa coopération avec Israël [2]. Bien que l’on puisse s’étonner qu’il ait fallu quarante et quelques années pour que l’Union prenne une telle décision, on ne peut que s’en féliciter. Car seule une énorme pression sur Israël amènera ce pays à reconnaître la légalité internationale. On comprend que Shimon Peres, l’homme qui a endossé, depuis les années 1950, toutes les politiques agressives israéliennes (mais qui jouit en Occident d’une image usurpée d’homme de paix), s’inquiète, et appelle l’Union à faire preuve de retenue dans sa politique [3].

Notes

[1] Lire Barak Ravid, « Netanyahu : Resuming peace talks with Palestinians is a strategic interest for Israel », Haaretz, 20 juillet 2013.

[2] Lire Barak Ravid, « How the EU caught Israel off guard with its new settlement guidelines », Haaretz, 17 juillet 2013.

[3] Lire Greer Fay Cashman, « Peres asks EU to ’exercise restraint’ and allow peace process to develop », Jerusalem Post, 29 juillet 2013.

Alain Gresh

Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui libèrent, 2010) et Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, avec Hélène Aldeguer (La Découverte, 2017).

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