Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Cultures, arts et sociétés

À Québec : laboratoire public du théâtre de l’Urd

Une expérience digne d'attention : au théâtre comme à la vie

Théâtre hors norme, théâtre difficile, théâtre engagé, théâtre rebelle, le théâtre de l’Urd emprunte des sentiers insolites qui font réfléchir. Premières impressions, premiers commentaires en attendant son spectacle d’automne !

De toutes les questions léguées par les siècles à notre contemporanéité, celle de l’art en reste une où les contradictions métaphysiques de la philosophia perennis continuent à se livrer un combat qui, aussi déroutant soit-il, n’en demeure pas moins fondamental. En elle, s’enchevêtrent les questions de l’absolu et du relatif, des moyens et des fins, du nécessaire et du volontaire, du mieux et du pire.

Comme pour ses sœurs de la politique et de la philosophie, l’art est hanté par le « daimon » du sens qui, sans relâche, le pousse à vouloir questionner et répondre au réel, à agir sur lui et à s’y lier. Dans le cas d’une démarche artistique qui est non seulement consciente de ces états de fait mais qui encore cherche à en assumer toutes les conséquences, le résultat vaut certainement que l’on s’y arrête, ne serait-ce que par l’effet d’une empathie qui nous ferait y suspecter la présence d’affinités électives entre différentes facettes d’un même projet d’émancipation.

La démarche du théâtre de l’Urd, qui présentait récemment son deuxième laboratoire public Fragiles donnant suite au premier Barbarus de septembre 2005, est intéressante au premier chef à cause des réponses —toutes provisoires soient-elles pour l’instant— apportées par la troupe aux questionnements qui proviendraient de l’assomption d’une certaine éthique de la pratique théâtrale orientant l’ensemble du travail de création artistique.

Un théâtre engagé

D’une telle éthique découlerait par exemple la décision d’un théâtre difficile, présenté sans complaisance à un public jugé suffisamment responsable et intelligent pour le recevoir. En découlerait également la volonté d’un théâtre que l’on pourrait qualifier d’engagé, non pas dans le sens d’un théâtre subordonné à la défense de thèses politiques particulières mais de celui d’un théâtre se reconnaissant et s’assumant comme le lieu d’une pratique sociale non isolée du reste de la société dans laquelle elle existe, et à même d’interpeller cette société sur le sujet des enjeux qui la lient.

Le fait que cette seule position —à l’opposée par exemple d’un théâtre aux préoccupations purement esthétiques— suffise de nos jours à faire d’un théâtre un théâtre engagé est sans doute à déplorer ; mais il est à parier que cette situation ne rende que plus difficile, et non pas plus facile, l’exercice de la volonté conséquente d’un théâtre pertinent pour la collectivité à laquelle il s’adresse, à l’opposé par exemple d’un théâtre moral ou esthétique, pour individus.

Notre condition de contemporains

Un deuxième point d’intérêt de la démarche artistique de la jeune troupe réside dans la capacité certaine qu’ont ses spectacles de nous forcer à penser. Par l’alliage d’une fragmentation/déstructuration « post-moderne » des éléments narratifs au niveau de la forme et d’une affirmation de sens - fut-ce parfois celui du lancinant et cruel non-sens de la société contemporaine - au niveau du contenu, Fragiles renoue avec un procédé qui avait donné au Barbarus une même indéniable force de questionnement. Autour des thèmes de la barbarie, puis de la justice, le théâtre de l’Urd nous convie à poursuivre une réflexion « polytopique » sur notre condition de contemporainEs (1) .

Dans un monde où la recomposition de certains sens (sens de l’indignation, sens du courage, sens de l’action, sens de la solidarité) se fait de plus en plus sentir comme une condition essentielle à l’atteinte des objectifs humains fondamentaux de la justice, de la paix et de la liberté, un tel appel au dépassement des pétrifications sociales actuelles (mené par les multiples voies de la sensibilité et de l’intelligence propre au théâtre), est certainement digne d’attention.

Ces commentaires ne se basent que sur les deux laboratoires présentés jusqu’ici ainsi que sur les discussions publiques auxquelles ils ont donné lieu. D’ici au spectacle final, attendu pour la mi-septembre, la jeune troupe se trouvera sans doute confrontée à plusieurs questions extrêmement difficiles : quel est le prix à payer pour la dissolution du sens de son action ? Dans quelle mesure les auteurs et les récepteurs d’un message théâtral peuvent-ils se lier, se relier ensemble ? Faut-il, peut-on encore faire du théâtre, et pourquoi ? De toute évidence, l’intérêt de ces questions dépasse largement la seule performance d’une troupe théâtrale ; mais aussi et avec un peu de chance, cette dernière ne se trouvera pas à en être seule, préoccupée.


Le spectacle final de la troupe du théâtre de l’Urd

Les grenouilles et les parapluies
Idées, corps et voix en quête d’une fête révolutionnaire
Antigone comme spectacle sans fin

sera présenté du 12 au 30 septembre 2006, à 20h
au Studio Premier Acte, 870 de Salaberry

Informations : theatredelurd@yahoo.ca

Le théâtre de l’Urd : Sylvio-Manuel Arriola, Marie-Noelle Béland, Mathieu Campagna, Maryse Lapierre, Olivier Normand, Érica Schmitz, Klervi Thienpont, Hanna Abd El Nour

(1) : Nous entendons par contemporanéité la prise de conscience « historisée » d’une situation donnée. Dans le cas de l’art, cela implique le concevoir comme une pratique artistique se posant des questions au sens large (formelles mais aussi politiques, philosophiques, etc...) dans le cadre d’une compréhension socio-historique du monde dans lequel il prend sens.

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