Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Lendemains de grève étudiante et d’élections — bis

Une victoire à la Pyrrhus n’est pas une victoire

« Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus[] ». (Pyrrhus 1er, roi d’Épire, 279 a.J.C.)

Alternative socialiste (AS) d’affirmer d’entrée de jeu de son bilan du printemps érable (Bilan du mouvement étudiant, Presse-toi-à-gauche, 16/10/12), « [l]a principale leçon du mouvement étudiant est que la lutte paie. C’est l’ampleur du Printemps Érable qui a poussé le Parti québécois de Pauline Marois à annuler la hausse des frais de scolarité et abroger la loi 12.  » Quelques phrases plus loin, AS renverse la vapeur. Il faut, dit-elle,
« …réfléchir aux raisons ayant empêché ce « mouvement historique » d’être la « victoire historique » tant attendue. […] [U]ne fenêtre de possibilités […] est désormais en train de se refermer. […] Or, si la contestation ne se généralise pas, le mouvement de contestation s’essoufflera, comme c’est le cas en ce moment. »

AS nous dit que le printemps érable « a démontré que la lutte de classe est bel et bien une réalité au Québec » sauf que :
« [a]u chapitre des mots d’ordre, celui de ‘grève sociale’ lancé par la CLASSE, n’est demeuré qu’un vœu pieux. Il n’a pas seulement été rejeté du revers de la main par les directions syndicales (ce qui n’est pas surprenant), mais aussi par la base syndicale de la CSN, de la FTQ et de la CSQ ainsi que par l’ensemble de la population. »

Pour combler la mesure, AS nous assure que ce printemps a causé « l’élévation de la conscience politique » sauf que :
« [o]n se retrouve avec un Parlement plus à droite que jamais  », que «  la population durant le conflit étudiant n’ont [sic] jamais montré un appui de plus de 50% à la lutte contre la hausse des frais de scolarité  » et que « le mouvement ouvrier québécois ne présentait pas et ne présente toujours pas la conscience politique adéquate pour adopter un tel moyen de pression [la grève sociale] face aux attaques néolibérales. »

La mode du jour électoraliste

De toute évidence, AS, cédant à la mode du jour tout en s’accrochant à vouloir faire un bilan conforme au déroulement des faits et aux résultats réellement existants, s’enlise dans ses contradictions. AS néglige d’abord de souligner l’aspect électoraliste, donc éphémère, des apparentes concessions du PQ, ce qui risque de transformer cette victoire à la Pyrrhus en bonne vieille défaite traditionnelle comme elle l’était à la veille des élections. Le renoncement précoce du PQ à l’abolition de la taxe santé n’annonce rien de bon. Le prochain budget nous dira la fin de l’histoire.

Ce vacillement analytique s’explique par un brin d’électoralisme. AS critique pertinemment la CLASSE pour avoir « maintenu un silence radio quasi complet » durant les élections et, en particulier, de ne pas avoir appuyé Québec solidaire, « le seul parti qui met de l’avant des propositions comme la gratuité scolaire » car

« …les élections restent le moment où les gens sont le plus disposés à parler de politique. Nous ne voyons pas en quoi bouder cet événement peut faire avancer les idées de changement radical de la société. Au contraire, ne pas saisir cette chance c’est laisser le monopole de la discussion à la droite et aux réformistes. »

Toutefois, c’est toute une autre affaire que d’affirmer que la CLASSE a erré en refusant « d’appeler aux déclenchements d’élections ». Quand on sait que le déclenchement estival des élections a été le moyen pour créer la confusion dans les rangs étudiants lors de la reprise du vote de grève du début août — un déclenchement des élections à la mi-août comme prévu ou même au début septembre aurait été suffisant pour éviter les gênantes révélations de la Commission Charbonneau sur la corruption — un tel appel en aurait été un pour mettre fin à la grève. Cela aurait été un appui à l’ensemble des partis patronaux, qui voulaient tous la fin de la grève, sous prétexte de s’opposer aux seuls Libéraux.

Le problème de fond, c’est l’articulation entre la grève et les élections, une fois celles-ci déclenchées. Certes, la CLASSE a fait l’erreur anarchiste de ne pas se ranger derrière Québec solidaire. Cependant, AS ne relève pas que Québec solidaire n’a aucunement encourager le recours à la « grève sociale », tant avant que pendant les élections, ni non plus mis en évidence les revendications les plus antilibérales de sa plate-forme (salaire minimum, revenu minimum garanti, nationalisation de l’exploitation de l’énergie, transport public gratuit, logements sociaux…) qui auraient été la raison d’être d’une « grève sociale » en plus de la gratuité scolaire.

Un printemps érable complexe dont le bilan est à faire et à débattre

Certes, comme le dit AS, « les étudiant-e-s tentaient de convaincre [les travailleurs-euses] d’appuyer leur lutte contre la hausse, sans pour autant vouloir s’investir dans les luttes ouvrières » tout en ayant une confiance exagérée dans une corporatiste « grève générale illimitée » des seul-e-s étudiant-e-s avant, sur le tard, d’en appeler à la « grève sociale ». Mais il ne faudrait pas, comme le fait AS, en rajouter en avançant que « la direction du mouvement [a été] incapable de donner des perspectives et des revendications claires et concrètes à chacune des étapes de ce mouvement [de grève générale nationale]… » C’était là avant tout la tâche des directions syndicales, et à laquelle les militant-e-s au moins à la CSN étaient prêt-e-s, et, last but not least, de Québec solidaire qui s’est complètement esquivé.

On ne peut que se réjouir qu’Alternative socialiste ait pris la peine de faire un bilan du printemps érable. Ce bilan mériterait d’être soumis au débat non seulement par l’intermédiaire des réseaux sociaux mais aussi par l’intermédiaire d’assemblées publiques autour de tables rondes où les divers points de vue se confronteraient. On ne voit pas comment une gauche anticapitaliste sérieuse puisse faire l’économie d’un bilan à fond d’événements complexes où se sont entremêlés non seulement les rapports entre mouvements étudiant, syndical et populaire mais aussi et surtout les rapports entre mouvances proprement social et politique. Ce pourrait être là une étape conduisant à cette « assemblée générale anticapitaliste sur la base de la ‘grève sociale’ comme porte d’entrée vers un Québec indépendant de l’oppression fédéraliste et de l’exploitation des banques, d’un QS réorganisé pour s’impliquer au sein du mouvement social afin de devenir un parti de la rue proactif et de la mise sur pied d’un collectif ouvert et public en opposition visible à la direction sociale-libérale de Québec solidaire » qui concluait mon commentaire de l’analyse de la campagne électorale faite par AS (« Alternative socialiste a mille fois raisons », mon blogue, 14/10/12) ?

Marc Bonhomme, 18 octobre 2012
www.marcbonhomme.com  ; bonmarc@videotron.ca


Grève étudiante québécoise et grève des enseignant-e-s de Chicago

Plusieurs, à juste titre, comparent le bilan québécois et celui de Chicago. Le responsable de L’Aut’Journal fait un bilan positif du premier et plutôt négatif du second (Pierre Dubuc, « Des leçons de la grève des enseignants de Chicago », L’Aut’Journal, 5/19/12). La gauche anticapitaliste étasunienne fait plutôt un bilan positif de la grève de Chicago. (Un bilan balancé m’apparaît être celui de Barry Sheppard, « USA : Chicago Teachers Show Way Forward », ESSF, 20/09/12). Si l’électoralisme pro-PQ explique facilement la positivité du bilan québécois fait par L’Aut’Journal / SPQ-libre — mais la direction du SPQ-libre était contre la « grève sociale » (Pierre Dubuc et Marc Laviolette, « Évitons le piège à ours de Charest », L’Aut’Journal, 5/06/12) — un étonnant nationalisme étroit explique leur bilan négatif de la lutte de Chicago : Au Québec, pays béni du syndicalisme nord-américain, une telle entente aurait été un recul sans précédent qui aurait fait le jeu de la CAQ.

Les deux luttes étaient défensives, pour éviter des reculs, et les deux ont abouti, sur des enjeux et dans des contextes forts différents, à des gains partiels, cependant plus hypothétiques au Québec. Les deux ont été des exemples de démocratie radicale, souvent directe, suite à l’hégémonie, conquise par d’intenses luttes internes, de courants anti-bureaucratiques (CORE et ASSÉ/CLASSE). La première grande différence est la brièveté (9 jours), la forte unité militante et l’appui solidaire majoritaire des parents et même de la population de Chicago en comparaison avec la longueur, la certes forte mobilité du noyau minoritaire militant d’une grève elle-même minoritaire, sauf à un bref moment, et l’appui mitigé de la population québécoise malgré quelques très grandes mobilisations montréalaises. La deuxième réside dans le contexte social beaucoup plus réactionnaire aux ÉU où la tendance est non seulement au charcutage des conventions collectives mais aussi à celui des syndicats eux-mêmes alors qu’au Québec on en est encore à un certain équilibre des rapports de force. D’où l’effet d’élan engendré par le conflit de Chicago et celui de confusion, et peut-être de démobilisation, de celui du Québec.

C’est d’ailleurs ce stalemate que veut rompre le patronat québécois surtout que le compétiteur ontarien vient de passer à l’offensive contre les employé-e-s du secteur public (gel de salaire, recul de certaines conditions de travail) après que les trois grands oligopoles étasuniens de l’automobile, l’industrie manufacturière dominante de l’Ontario, viennent de faire avaler aux syndicats des conventions collectives à deux niveaux imposant d’importants reculs aux nouveaux embauchés. Heureusement, les syndicats du secteur public ontarien, particulièrement de l’enseignement, n’ont pas tardé à opposer une certaine résistance, entre autre par des manifestations devant le parlement ontarien. Cette résistance a empêché le gouvernement Libéral de l’Ontario de gagner le siège supplémentaire qui lui manquait, lors d’une partielle au début septembre, pour devenir majoritaire, puis d’être une cause majeure expliquant la démission surprise du Premier ministre ontarien à la mi-octobre.

MB

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