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A Kiev, le nouvel exécutif s'ancre à l'Ouest

Conséquence des élections législatives qui se sont déroulées le 26 octobre en Ukraine, à l’exception des zones séparatistes qui ont procédé à leur propre scrutin une semaine plus tard, Kiev a formé cette semaine un nouveau gouvernement. Pas d’ultranationaliste en vue mais trois têtes venues de l’étranger : le nouvel exécutif ukrainien marque son ancrage européen. Et atlantiste.

05 décembre 2014 | mediapart.fr

Voilà qui tord le cou à la propagande en vigueur dans les médias et réseaux pro-Kremlin : l’extrême droite et autres groupuscules taxés de « néo-nazis » ont été complètement marginalisés par les élections législatives du 26 octobre. La droite ultranationaliste de Svoboda n’a pas passé le seuil des 5 % au niveau national et n’a donc réussi à faire élire que six députés au niveau des circonscriptions (elle comptait 36 élus dans la précédente assemblée) ; quant à l’extrême droite de Pravyï Sektor – groupe issu d’un service d’ordre fondé sur le Maïdan pendant les mobilisations de l’an dernier –, elle n’a obtenu que 1,81 % des voix. L’échiquier politique ukrainien s’est en réalité retrouvé complètement bouleversé, le parti des Régions ayant disparu dans le sillage du départ de Viktor Ianoukovitch, le 22 février. Sur les décombres de ce parti, la formation « Ukraine forte » qui avait émergé au printemps s’est fait laminer : un seul député a été élu sous cette étiquette. Une autre figure en revanche tire son épingle du jeu : le populiste Oleg Liachko. Son « Parti radical » a décroché 22 sièges à l’issue du scrutin.

Ces élections ont surtout été marquées par la victoire du « Bloc Porochenko », le parti du président élu le 25 mai dernier (29,3 % des voix). À ses côtés, le premier ministre Arseni Iatseniouk, aux positions plus radicales face à la Russie, a été reconduit dans ses fonctions de chef de l’exécutif : son parti, le Front populaire, a recueilli 18,2 % des voix. Ensemble, les deux partis accompagnés de trois autres formations – dont celle de Ioulia Timochenko – ont formé une coalition gouvernementale dans une tentative de mettre en sourdine leurs désaccords afin de faire face à la situation de guerre dans laquelle le pays est embourbé. Baptisée « Ukraine européenne », cette coalition repose sur une large majorité de 302 députés sur les 450 que compte la Rada – soit une majorité suffisante pour modifier la Constitution.

C’est finalement cette semaine que le nouvel exécutif issu de ces élections a été formé : ce mardi 2 décembre, la composition du nouveau gouvernement a été dévoilée. Y figurent trois personnalités étrangères – un fait inédit en Ukraine, où l’administration s’est empressée de procéder aux naturalisations nécessaires. Voilà qui ne manquera pas d’alimenter la propagande poutinienne tandis que le Kremlin s’enferme chaque jour davantage dans un discours anti-occidental et anti-européen. Parmi ces trois figures, l’une est d’origine ukrainienne et a vécu aux États-Unis : Natalie Iaresko. Cofondatrice en Ukraine d’un fonds d’investissement à destination des moyennes entreprises, Horizon Capital 3, elle prend le poste stratégique du ministère des finances où elle va s’atteler, a-t-elle annoncé, à une vaste réforme fiscale. Une autre est lituanienne : Aivaras Abromavicius, qui vit à Kiev depuis une dizaine d’années, affectée à l’économie ; et la troisième est géorgienne : Alexander Kvitachvili, qui prend les rênes du ministère de la santé.

À voir le profil de ces nouveaux ministres « technocrates », Kiev a résolument choisi la voie européenne et atlantiste. La « coopération » avec le FMI va se poursuivre, a d’ores et déjà annoncé la nouvelle ministre des finances. Le pays avait déjà reçu ces derniers mois 9 milliards de dollars sous la forme de prêts – et les méthodes du FMI, comme ailleurs, vont faire bien des dégâts sur le plan social : les autorités ukrainiennes sont censées prendre des mesures en échange de ces lignes de crédit. Aivaras Abromavicius, de son côté, est un ancien d’une banque suédoise d’investissement, East Capital , et a étudié en Estonie et aux États-Unis. Sa priorité sera de réformer la gestion des entreprises d’État, mais aussi, comme il l’a annoncé lors de sa prise de fonctions, de faire voter des lois pour déréguler le marché… Quant à Alexander Kvitachvili, il a fait ses classes aux États-Unis avant de diriger le ministère géorgien du travail, de la santé et des affaires sociales sous la présidence Saakachvili.

À l’occasion du premier conseil des ministres ce mercredi, Arseni Iatseniouk a énoncé les grandes lignes de la politique de son nouveau gouvernement : attribution des principales ressources du budget à la sécurité nationale et à la défense, lutte contre la corruption, décentralisation budgétaire et simplification du système fiscal, lutte contre l’économie souterraine, mise au point d’une politique de l’énergie… Et il a appelé à une nouvelle mission du FMI en Ukraine. Les parlementaires de la coalition avaient en outre affiché dans un texte signé fin novembre que le pays se fixait désormais comme objectif d’intégrer les structures de l’Otan : « annuler le statut non-aligné de l’Ukraine » et « relancer la politique en vue d’une adhésion à l’Otan » stipule cet accord aussitôt fustigé par les autorités russes, qui ont demandé des garanties de non-admission de l’Ukraine au sein du traité de l’Atlantique Nord. Nul doute qu’une telle orientation ne puisse qu’irriter Moscou…

De fait, le nouvel exécutif ukrainien n’aura pas eu droit à une quelconque période de grâce. Outre le conflit dont le pays est victime dans la région du Donbass, et qui a fait à ce jour près de 4 300 morts et environ 10 000 blessés parmi les civils d’après l’ONU, la situation économique et financière est catastrophique. La hryvnia a perdu 45 % de sa valeur contre le dollar depuis début 2014 ; c’est la plus grosse dévaluation observée par Bloomberg . En quelques mois, les réserves de la banque centrale ont baissé de 18 milliards à 12,4 milliards de dollars, soit le plus bas niveau depuis mars 2005. Kiev doit encore s’acquitter de lourdes dettes vis-à-vis de Moscou : le pays doit 3,2 milliards de dollars à Gazprombank, et Naftogaz, la compagnie gazière ukrainienne, doit régler 3,1 milliards de dollars à la Fédération de Russie d’ici à la fin de l’année. Autrement dit, le risque de défaut de paiement est loin d’être écarté . Les questions énergétiques vont en outre rapidement s’imposer dans l’agenda. Au ministère de l’énergie, on a dû faire face dès les premiers jours à un accident dans une centrale nucléaire… et à la coupure des livraisons russes de charbon. Et si une union de façade est affichée entre les cinq partis partenaires de la coalition gouvernementale, les désaccords subsistent au parlement, qui a déjà connu cette semaine des échanges tendus.

Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

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