Tiré de Politis.
Depuis février 2019, des millions d’Algériens marchent, battent le pavé contre le pouvoir en place. Une contestation inédite. Celle d’une génération qui raconte une histoire contemporaine, une oppression. Une contestation qui sonne comme un réveil, proche de la délivrance, portée par l’espoir, des perspectives d’avenir. Sonia est psychiatre, Hania technicienne de cinéma, Athmane avocat, Anis étudiant en informatique, Mehdi ingénieur en génie civil, au chômage. Filmés par Mustapha Kessous (journaliste au Monde), ce sont là cinq témoins qui disent une génération, entre 20 et 30 ans, qui n’a jamais connu qu’un seul président, Abdelaziz Bouteflika, mais qui entend se réapproprier son pays, sa terre. Le réalisateur ajoute à l’actualité des images d’archives de l’indépendance, en 1962, avec un FLN triomphant, avant de voler les rêves d’un peuple, revient encore sur la décennie noire de 1990, marquée par le terrorisme islamiste. Quid de ce mouvement aujourd’hui ? « On a le temps, l’énergie, la volonté, la rage », répond l’une des protagonistes. Avec une caméra pleinement plongée dans cette insurrection et cette résistance, Mustapha Kessous réussit là un film grave et joyeux à la fois. Entretien avec le réalisateur.
Qu’est-ce qui distingue le Hirak des précédentes révolutions arabes ?
Mustapha Kessous : L’Algérie, c’est déjà bien plus qu’un pays arabe : l’Algérie est ouverte sur l’Occident, sur l’Afrique noire, elle a une part berbère, d’Orient, islamique, soufiste… La grande différence avec les autres nations qui ont connu une révolution comme l’Égypte ou la Tunisie, c’est qu’elle n’est pas terminée en Algérie. Et qu’elle n’a pas encore ébranlé le noyau dur du système, qui est la primauté du militaire sur le civil. Le coronavirus a mis entre parenthèses le Hirak et le pouvoir a profité du confinement pour régler ses comptes avec des activistes ou des journalistes pour les mettre en prison. Est-ce une vengeance du système qui s’est senti humilié par ce peuple qui le défie depuis février 2019 en marchant plusieurs fois par semaine pour exiger une Algérie libre et démocratique ? Peut être. Ce qui est sûr, c’est que cette répression fait peur ; mais malgré cette peur, signe que le régime panique, on sent l’impatience chez ces manifestants de reprendre la révolution là où elle était avant le confinement.
Combien de temps avez-vous tourné, sur quelle période ?
Le tournage a commencé en décembre 2019, avant l’élection présidentielle pour finir le 22 février dernier, soit un an après la première grande marche. J’ai voulu tourner le plus tard possible, afin que les témoins puissent avoir le recul nécessaire pour analyser la première année du Hirak. Et pour en extraire aussi les sentiments les plus justes.
Dans quelles conditions ? Avez-vous pu travailler, filmer en toute liberté ?
Le tournage a été éprouvant. Il a fallu être discret et ne pas se faire repérer. La caméra est un objet inhabituel dans les rues d’Algérie. Elle peut être une curiosité, mais souvent, elle inquiète. Si la police vous voit, elle vous demande rapidement si vous avez une autorisation de tournage. Moi, je n’en ai pas demandé car j’estime qu’en démocratie, on n’a pas à formuler ce genre de demande. Le mot démocratie est écrit sur les papiers officiels, alors ce mot à un sens, non ?
On y croise un avocat, une technicienne du cinéma, un ingénieur, un étudiant… Comment s’est opéré le « casting » de vos témoins ?
Au hasard des rencontres lors des marches. Puis, je les ai suivis tout au long de l’année. Ces cinq témoins expriment avec une insolente justesse ce que ressentent les autres ; ils ne vont pas à l’encontre du rêve du peuple : il partage le même amour du pays, le même espoir de changement… Ils viennent du peuple, pas de l’élite.
Les protagonistes parlent toujours un français impeccable. Est-ce un choix ? Est-ce la réalité du terrain social et économique ?
Les jeunes Algériens parlent de moins en moins français. La politique d’arabisation est passée par là ; la nouvelle génération parle davantage anglais et s’est tournée vers l’Angleterre, le Canada, les États-Unis, voire l’Asie. La France ne fait plus trop rêver. Après, j’avais des témoins arabophones, mais ils se sont malheureusement beaucoup moins livrés que les autres. Ce genre de film implique un don de soi total et je ne pouvais pas mettre à l’antenne des jeunes qui parlent à demi-mot. Cela a été un crève-cœur. Malgré tout, dans ce film, on ne voit que des jeunes issus des classes populaires : on ne voit qu’eux dans les manifs tout au long du documentaire, scander des slogans en arabe. La jeunesse algérienne est mise à l’honneur. Forte et émouvante comme jamais. Elle se raconte avec joie et sincérité, sans tabou et de manière décomplexée. C’est une véritable déclaration d’amour.
Algérie, mon amour (72’), ce mardi 26 mai, à 20h50, sur France 5 et en replay sur le site de la chaîne jusqu’au 26 juin.
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