Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Au Soudan, les comités de résistance luttent malgré la guerre

Depuis le début de la guerre au Soudan, les comités de résistance, organisations autogérées de la société civile soudanaise et fers de lance du mouvement révolutionnaire, font l’objet d’une violente répression. Pris en étau entre les deux forces armées qui s’affrontent, ils multiplient initiatives de solidarité locale et poursuivent leur combat pour construire un gouvernement civil démocratique.

Tiré du blogue de l’auteur.

Les comités de résistance, parfois aussi connus sous le nom de « comités de quartier », ont vu le jour lors des mobilisations massives de 2013 contre la dictature d’Omar El-Béchir. Rassemblant des citoyen·ne·s de tous les âges et de tous les milieux sociaux, ces groupes auto-organisés par quartier mettent en œuvre une solidarité au niveau local face aux défaillances de l’Etat soudanais, organisent une protection civile face à la répression, et mobilisent la population lors des manifestations. Lors de la révolution de 2018, qui a provoqué la chute du dictateur El-Béchir, et des mobilisations contre le coup d’Etat militaire en 2021, les comités de résistance sont devenus les fers de lance des manifestations soudanaises. Ils sont la véritable voix de la révolution, capables de mobiliser des millions de personnes, à l’inverse des partis politiques civils mis en avant par les médias internationaux (comme les Forces de La Liberté et du Changement), largement discrédités auprès des Soudanais·e·s. Les comités de résistance s’organisent par la base, au niveau local, et se coordonnent au niveau des métropoles ou des régions. Leur mode d’organisation décentralisé, sans porte-paroles et sans chefs, leur permet de représenter égalitairement l’ensemble du territoire soudanais et garantit le fonctionnement démocratique du mouvement révolutionnaire.

Manifestations contre la guerre, solidarité locale et collecte d’informations sur le terrain

L’éclatement de la guerre au Soudan, le 15 avril 2023, a provoqué un choc dans tous le pays, bouleversant l’activité des comités de résistance. Pendant les premières semaines de la guerre, la fuite massive des Soudanais·e·s vers les zones épargnées par les conflits ou à l’étranger a rendu difficile toute organisation collective. La terreur provoquée par les bombardements et les affrontements, obligeant les gens à rester confinés chez eux, ont également mis un coup d’arrêt brutal aux mobilisations, ainsi que les coupures constantes d’électricité empêchant les communications.

Cependant, dans les régions épargnées par les combats, les comités de résistance de Port Soudan, Wad Madani, et Kassala, ont rapidement organisé des rassemblements pour protester contre la guerre. Ils ont manifesté leur rejet des deux parties combattantes, autant l’armée soudanaise, qui a mis un terme à la révolution civile par un coup d’Etat et a commis des crimes de masse en réprimant les mobilisations, que de la milice RSF, coupables de génocide. Ils appellent à la paix immédiate et à un gouvernement intégralement composé de civils pour poursuivre la construction démocratique souhaitée par les Soudanais·e·s.

Dans les villes au cœur des affrontements, les comités ont participé au mouvement spontané de solidarité entre les habitant·e·s, tentant de reconstruire les villes, hôpitaux et écoles après les bombardements, de nettoyer les rues, de venir en aide aux plus démuni·es. Dans le grand Khartoum, ils ont également construit des barricades pour empêcher les RSF d’entrer dans les quartiers et de piller les maisons, tuer et violer les habitant·e·s, et d’établir des bases militaires dans les maisons vides.

Dans les zones de combat, les comités de résistance font un travail précieux de collecte d’informations sur le terrain. Ce travail permet de contrer la propagande de l’armée et des RSF, en alertant les médias internationaux des violations de droits commises par les deux forces armées qui les nient : les massacres, les viols des femmes, les arrestations massives contre des opposant·e·s présumé·e·s… Notamment, lors de la prise de la ville de Wad Madani en décembre 2023 par les RSF, qui déclaraient officiellement n’avoir pas commis de violence contre la population, ils ont lutté contre cette propagande en dénombrant les exactions commises sur les réseaux sociaux. Ils ont été les premiers à dénoncer le génocide à Al-Geneina qui a commencé en mai 2023. Ils ont également montré que dans de nombreuses villes, c’est le retrait de l’armée et son refus de protéger les citoyen·ne·s qui a permis aux RSF de massacrer la population, accusant les deux camps d’être responsables de la mort des civils.

Une violente campagne de répression et de désinformation

Dans tout le pays, les comités de résistance sont ciblés par une campagne de répression et de désinformation de la part des deux forces armées, visant à attaquer leur crédibilité auprès de la population. L’armée soudanaise les accuse de collaboration avec les forces de soutien rapide (RSF), qui les accusent de leur côté de collaborer avec l’armée soudanaise. Ces allégations fausses, constamment déniées par les comités de résistance dans leurs communiqués, les placent dans une position délicate, pris en étau entre deux forces antagonistes.

Ce discours permet également aux forces armées de justifier leur répression féroce contre les militant·e·s des comités de résistance. Chaque semaine, les comités des différentes villes publient des avis de disparition ou des appels à la libération de leurs membres détenus par l’armée ou les RSF. Par exemple, le 08 novembre 2023, le comité du quartier d’Al-Fatihab (à Omdurman) a signalé l’arrestation d’un de ses membres, Khaled Al-Zubair, qui travaillait aux urgences médicales. Il a été arrêté son domicile par les services de renseignements militaires, qui ont refusé de communiquer son lieu de détention et son état de santé. Le comité dénonce : « [une] attaque flagrante contre les travailleurs et les bénévoles du secteur humanitaire [qui] intervient à un moment où tout le monde tente de briser le siège imposé au quartier d’Al-Fatihab et de tout mettre en œuvre pour atténuer ses effets sur les citoyens ». Ils exigent sa libération immédiate ainsi que la fin du siège militaire de la ville, demandant « que les forces armées cessent de s’en prendre aux travailleurs du secteur bénévole et humanitaire ».

Les attaques se multiplient également sur les réseaux sociaux, où les forces armées répandent les « fake news » et piratent les comptes Facebook des comités de résistance. Le 22 juin 2023, par exemple, une fausse déclaration de la coordination des comités de résistance de Khartoum appelait les citoyen·ne·s à prendre les armes pour affronter les RSF. Dans un communiqué, les comités de résistance de Khartoum ont dénoncé cette « déclaration fabriquée » et ont rappelé leur position pour une paix radicale, qui passe par un refus de la prise des armes et la poursuite de la contestation civile.

« La prise des armes par les manifestant·e·s dans les cortèges pacifiques (…) constitue actuellement une menace directe pour la vie des citoyen·ne·s, compte tenu de l’effondrement de la sécurité dans l’État de Khartoum, et nous ne participerons en aucun cas à cette situation. Les comités de résistance refusent d’appeler les civils à l’armement de quelque camp que ce soit et d’inciter les citoyens à affronter des forces ayant recours à des armes lourdes. Ces forces n’hésitent pas à cibler les personnes innocentes qui se réfugient dans leurs maisons, à les violenter et à les tuer. Nous affirmons notre position claire en faveur du droit des citoyen·ne·s à la vie et à la sécurité. »

Tout récemment, le 09 janvier 2024, le gouverneur Mohamed El-Badawi, allié des putschistes militaires, a prononcé l’interdiction des comités de résistance dans tout l’état du Nil ainsi que des partis politiques civils. Les comités de résistance de Khartoum estiment que : « cette décision n’est rien d’autre qu’une tentative du groupe au pouvoir de supprimer les libertés et monopoliser l’activité politique. Nous ne voyons dans cette étape qu’une tentative des restes de l’ancien régime de revenir au pouvoir et d’exploiter le chaos sécuritaire provoqué par la guerre incendiaire qu’ils ont déclenchée pour liquider les comités de résistance et la révolution. »

Le comité de résistance d’Imtidad Chambat Al-Aradi (dans la ville de Bahri) rappelle quant à lui que : « il n’existe aucune force sur terre capable d’interdire les activités des comités de résistance et des révolutionnaires. Nous sommes le peuple qui agit pour lui-même. Au contraire, c’est à nous de décider qui nous voulons interdire, qui nous volons déraciner, et de renverser tous ceux qui se mettent en travers de notre chemin, avec les personnes formidables qui nous composent. Personne ne peut dissoudre des comités qui œuvrent pour le changement, le service public, et l’organisation locale, à l’exception d’autres comités de jeunes résistant·e·s délégués par notre puissant peuple. »

La poursuite du travail de construction démocratique

Malgré cette violente répression, les comités de résistance ont continué avec détermination leur travail de construction démocratique à l’échelle nationale, déjà commencé en 2022 avec la publication d’une proposition de constitution civile, la « Charte pour l’établissement du pouvoir du peuple ». Le 25 octobre 2023, lors d’une assemblée générale, les membres de différents comités ont validé une « vision pour mettre fin à la guerre, restaurer le chemin de la révolution et instaurer le pouvoir du peuple ».

La préparation de ce document a fait l’objet de discussions en visioconférence, toujours annoncées publiquement sur les pages Facebook des comités, et où tou·te·s les citoyen·ne·s civil·e·s étaient bienvenu·e·s. Cette « vision » propose un plan d’action pour sortir de la guerre, reposant sur un travail médiatique et public d’information, une collaboration avec les syndicats, secteurs professionnels, chefs religieux, et mouvements armés qui combattent l’armée régulière et les RSF. Le document appelle à mettre en œuvre « des solutions internationales (…) et à renforcer les solutions internes basées sur la volonté du mouvement de masse et tous les secteurs du peuple soudanais qui aspirent à la paix, la liberté, la justice et la démocratie, et désirent mettre fin à la guerre et s’attaquer aux racines de la crise nationale globale ». Suite à la publication de ce document, des réunions ont eu lieu avec les syndicats le 27 octobre pour construire un front civil démocratique contre la guerre, et instaurer un conseil législatif civil mettant en œuvre la « Charte pour l’établissement du pouvoir du peuple ».

Ainsi, en dépit du chaos de la guerre et de la propagande des forces armées, les comités de résistance n’ont pas cessé leurs activités, et leur organisation politique a repris progressivement de l’ampleur au cours des derniers mois. Alors que les partis politiques civils traditionnels ont signé un accord avec les RSF, le 3 janvier dernier, au cas où ceux-ci gagneraient la guerre, les comités de résistance ont dénoncé cette collaboration avec des « génocidaires ». Ils maintiennent toujours une position radicale de rejet de la guerre et de refus d’alliance avec l’armée comme avec les RSF.

Les comités de résistance continuent d’incarner une troisième voie, résolument pacifique, qui se situe dans la continuité de la révolution soudanaise. Ils rappellent que : « Nous, les comités de résistance, prenons nos décisions en fonction des intérêts de la nation et des intérêts de notre peuple, nous savons donc quand devenir la lumière et quand devenir le feu. Notre ennemi n’est qu’un, à savoir la milice terroriste Janjaweed (RSF) et les Kizan [partisans de l’ancien régime d’Omar El-Béchir] qui les ont créés, et ce sont les deux faces d’une même médaille. » (Déclaration du comité du quartier d’Imtidad Chambat Al-Aradi à Bahri).

Poursuivant les demandes de justice, de liberté et d’égalité, et de mise en œuvre d’un gouvernement civil, ils encouragent les citoyen·ne·s qui se mobilisent quotidiennement pour reconstruire les villes détruites par les combats et pour promouvoir une culture de la paix.

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