Édition du 26 mars 2024

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Élections fédérales

Élections fédérales

Au-delà de la logique du moindre mal et du vote stratégique

La logique du vote stratégique s’impose avec l’évidence du lieu commun.

Aujourd’hui le danger principal, c’est l’élection d’un gouvernement Harper majoritaire. Majoritaire, il pourrait, nous dit-on, imposer plus rapidement des politiques réactionnaires encore plus dures. Au Québec, on ne peut, par contre, se fixer comme objectif de le chasser du pouvoir. Pourquoi ? Cela ne pourrait se matérialiser que par un appel à voter d’abord pour le Parti libéral du Canada qui reste fortement discrédité. Et il est facile de rappeler les mauvais coups des derniers gouvernements libéraux : le scandale des commandites, la loi sur la clarté, l’encouragement des paradis fiscaux, l’intervention militaire en Afghanistan.... Alors, appelons à voter pour le Bloc (qui peut nous donner ce semblant de victoire – c’est vraiment se contenter de peu – que serait un gouvernement Harper minoritaire.

On peut aussi voter NPD. Mais, son programme social est timide. Il n’est pas capable de défendre avec sérieux le droit à l’autodétermination du Québec et il se montre souvent plus centralisateur que les autres partis fédéralistes. De plus, il n’a aucune chance de prendre le pouvoir.

Alors, ne faisons pas dans la dentelle et appelons à voter pour tous les partis d’opposition au gouvernement Harper. Voilà la nouvelle sagesse populaire, voilà ce qu’est aujourd’hui un réalisme véritablement pragmatique, le nec plus ultra de la stratégie électorale des progressistes québécois. Et puis, comme aurait dit une dame fort méprisante : « Il n’y a pas d’autres choix !" On va sans doute se retrouver avec une opposition divisée, timorée, échaudée qui sera poussée à répéter les mêmes sordides manœuvres pour maintenir le gouvernement élu en place de crainte de retourner devant l’électorat. Et ce gouvernement minoritaire conservateur gardera une capacité de destruction des acquis sociaux, de l’environnement et de nos libertés fondamentales. Mais ce sera quand même moins pire qu’un gouvernement conservateur majoritaire. C’est la logique du moindre mal dans toute sa splendeur. N’y a-t-il vraiment pas d’alternatives ?

Retisser les liens entre les organisations de la société civile pour pouvoir construire une alternative politique véritable au niveau de l’État canadien

Devant l’offensive de l’État fédéral contre la majorité des classes travailleuses et populaires au Canada, contre la nation québécoise et les autres nations opprimées, il faut construire les conditions de la résistance populaire. Contre les politiques de l’État fédéral, il est nécessaire de construire une alliance des mouvements syndicaux, féministes, écologistes intégrant l’ensemble des mouvements sociaux. Les Premières nations peuvent et doivent être partie prenante de cette résistance.

Autour de quels objectifs faut-il construire cette alliance populaire pancanadienne :

 a) contre la hausse effrénée des dépenses militaires et des politiques bellicistes dans lesquelles le Canada est plus que jamais entraîné ;
 b) contre les politiques de destruction de l’environnement par le développement irresponsable des énergies fossiles par des entreprises multinationales qui ne cherchent que la croissance de leurs profits ;
 c) contre des politiques fiscales et commerciales qui visent une concentration des richesses dans les mains des plus riches et favorisent l’appauvrissement du plus grand nombre et particulièrement des femmes ;
 d) contre la restriction des droits démocratiques et leur volonté de s’attaquer aux organisations syndicales, féministes et populaires...

C’est l’action commune, les rassemblements massifs, les manifestations combatives, les grèves actives, les boycottages, les occupations... qui transformeront l’impuissance vécue par chacun et chacune en capacité d’initiatives collectives capables de délégitimer aux yeux du plus grand nombre les politiques des gouvernements en place.

Ces mobilisations sont le terrain fertile pour la reconstruction d’un parti politique pancanadien capable de s’opposer aux politiques du gouvernement fédéral, y compris aux manoeuvres qu’il voudra développer contre la lutte du peuple québécois pour son indépendance.

Analyser les enjeux de ces élections dans ce cadre.

a) mobiliser contre les budgets militaires des Conservateurs– on ne peut compter sur les partis d’opposition.

Le Parti conservateur veut renouveler l’escadrille canadienne en achetant 65 avions de chasse F-35 au coût de 16 milliards de dollars. Puis, on découvre que les coûts pourraient passer 25 ou 30 milliards de dollars selon certaines autorités américaines. Comment réagit le PLC ? Il promet d’annuler cette entente... pour faire un nouvel appel d’offres. Et le NPD appuie cette motion libérale. Et le Bloc lui, quel est son angle d’attaque ? Sa critique, en “authentique défenseur du Québec”, c’est de montrer que les retombées pour le Québec de ces achats sont tout à fait insuffisantes et qu’il va y veiller.

Rien de sérieux contre les politiques militaristes du gouvernement conservateur. Pas de dénonciation de la croissance éhontée des budgets militaires. Pas étonnant que cette opposition ait soutenu l’intervention des troupes canadiennes en Afghanistan si ce n’est du NPD qui en demande maintenant le retrait. Et que dire du fait que le chef du Bloc osait encore, durant cette première semaine de campagne électorale, présenter l’objectif de l’intervention canadienne en Afghanistan comme visant à apporter la démocratie à la population afghane ?

Les organisations de la société civile au Québec et au Canada qui s’opposeraient dans l’action à des dépenses qui ne servent qu’à favoriser l’intégration de l’armée canadienne dans les aventures impérialistes visant à assurer la domination des puissances occidentales sur l’ensemble du monde -avec la bénédiction du Bloc- changeraient la donne.

b) Pour s’opposer aux politiques énergétiques polluantes d’Harper – nous ne pouvons compter que sur le mouvement écologiste et tous ses alliés.

La politique énergétique du gouvernement fédéral est centrée sur le développement des énergies fossiles afin de satisfaire aux besoins des grandes entreprises américaines. Le développement extrêmement pollueur des sables bitumineux est exemplaire à cet égard. Aujourd’hui, Harper promet de subventionner à hauteur de 4 milliards de dollars la construction d’un câble sous-marin entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse afin d’ouvrir le marché américain, à l’électricité produite à Terre-Neuve. Et le Parti conservateur pousse fort loin la démagogie en préentant ce soutien comme un investissement dans des énergies qui permettront de ralentir le réchauffement de la planète.

Les motivations des Conservateurs sont diverses : la reconstruction d’une base de députés conservateurs à Terre-Neuve, le renforcement de la légitimité de l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine énergétique et enfin la possibilité d’orienter les politiques énergétiques non vers l’économie d’énergie, mais vers la satisfaction des besoins insatiables des entreprises américaines. En plaçant l’avenir de la production d’énergies au Québec vers l’exportation d’hydro-électricité vers les États-Unis, Hydro-Québec rentrait directement en concurrence avec des secteurs du capital canadien qui ont fait appel à leur gouvernement. On ne saurait s’en étonner.

c) En offrant des réductions fiscales substantielles à de grandes entreprises, les Conservateurs montraient que la poursuite de l’enrichissement des plus riches restait leur préoccupation essentielle. En rejetant ces mesures, le Parti libéral du Canada indiquait que ces 9 milliards de dollars qu’on remettait aux grandes entreprises pourraient permettre de financer toute une série de programmes sociaux. Voilà un bon coup électoral. Mais on ne peut se fier à un parti qui s’est fait le champion des baisses d’impôt des entreprises quand il était au pouvoir. Arracher une réforme de la fiscalité qui permettrait de faire du régime canadien un véritable régime redistributif ne se fera pas à froid à partir de motions au parlement. Depuis des décennies, maintenant, malgré la succession des gouvernements, les réformes ont toujours été dans la même direction : celle des baisses d’impôt pour les entreprises. Ici aussi, la mobilisation pour une redistribution plus égalitaire des richesses s’imposera si l’on veut changer la dynamique actuelle.

Construire un parti progressiste au niveau de l’État canadien reste un défi incontournable. Mais sa construction passe par un renouvellement de l’ensemble des organisations de la société civile participant de la résistance populaire à l’État fédéral. Pour en finir avec les attaques du gouvernement conservateur, on ne peut se contenter d’un point de vue étroitement provincial, il va falloir construire une solidarité agissante à propos des défis communs à une population qui doit faire face au gouvernement de l’oligarchie régnante au Canada.

On nous dira que ce sont là des perspectives pour après-demain qui nous restent sans voix devant les défis du jour. Nous croyons que proposer des pistes pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes emprisonnés est une tâche utile, nécessaire et actuelle.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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