Édition du 16 avril 2024

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Environnement

Cacouna, Ristigouche, Sorel-Tracy : un même combat citoyen

Dans un billet de blogue publié sur le Huffington Post Québec ce jeudi 30 octobre, Youri Chassin, économiste à l’Institut économique de Montréal, écrit que « (...) plusieurs groupes écologistes s’opposent aux pipelines d’Enbridge et de TransCanada » [mon italique]. Or, pour y avoir été, j’ai constaté de visu que les manifestations qui ont eu lieu à Cacouna et à Sorel-Tracy ne sont pas que le fruit des écologistes, loin de là. C’est bien sûr une chance que ces groupes, tout comme les Premières nations qui revendiquent leurs droits sur le territoire, soient là. Ils parviennent à nous sortir de notre sommeil collectif. Toutefois, les vives préoccupations environnementales qui s’expriment à l’heure actuelle au Québec sont d’abord celles des citoyennes et des citoyens.

L’auteur est professeur de droit constitutionnel et droits humains à l’Université d’Ottawa.

Comme on a pu le constater au cours des récentes années, ces préoccupations légitimes sont partagées par plusieurs citoyens, notamment, de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick et des États-Unis qui sont soucieux des risques que présentent l’exploitation et le transport, sur leur territoire, des ressources naturelles et des conséquences environnementales avec lesquelles ils pourraient éventuellement vivre au quotidien. N’oublions pas non plus que les groupes écologistes et les Premières nations sont composés de citoyens et ne constituent pas des abstractions. Réduire ainsi les récentes manifestations et préoccupations aux seuls écologistes, comme certains médias le font, me semble démagogique et laisse entrevoir une tentative pernicieuse de réduire et marginaliser ce mouvement populaire.

Peut-être aussi cette façon de décrire l’expression citoyenne n’a-t-elle pas de dessein malintentionné, mais témoigne de l’intégration profonde d’un discours néolibéral dominant, consistant notamment à dénigrer ou considérer comme radical, marginal, étrange ou déviant tout mouvement citoyen contraire à l’agenda de l’industrie et à la production constante et effrénée de biens et produits de consommation rapide et éphémère. Peut-être aussi (et là certains me traiteront probablement de naïf) les médias, journalistes et commentateurs se limitant à décrire ces manifestations comme le fruit de groupes écologistes sont-ils seulement victimes de la rapidité à laquelle doit circuler l’information en raison de l’avidité des internautes et ne font donc tout simplement pas attention au choix de mots utilisés dans leurs textes. Dans un tel cas, je les invite bien respectueusement, la prochaine fois, à considérer le mot « citoyens » lorsqu’ils feront référence aux manifestations de gens et de familles venant de partout au Québec, de toutes les générations, qui sont préoccupées par ce qui se passe sur leur territoire.

Diminuer notre consommation de pétrole

M. Chassin pose aussi la question : « Algérie ou Alberta ? » et affirme que « (...) si certaines inquiétudes sur le plan écologique sont légitimes, les opposants semblent également motivés par la volonté d’étouffer le développement des sables bitumineux au pays » [mon italique]. Il me semble que vous posez mal le débat et n’avez peut-être pas compris pourquoi les citoyens manifestent. Aussi, en qualifiant de « certaines inquiétudes » les vives préoccupations des citoyens pour leur environnement et la qualité de la Terre qu’ils laisseront à leurs enfants, vous marginalisez incidemment ce mouvement populaire en mettant de l’avant ce qui constituerait - c’est là le corollaire logique des termes que vous utilisez - des préoccupations citoyennes excessives, voire irrationnelles. Ce n’est pas la première fois qu’on entendrait des soi-disant « lucides » affirmer que les gens de « gauche » sont émotifs et ont des points de vue irrationnels sur des questions que les économistes, eux, seraient capables d’analyser en toute objectivité.

Qu’y aurait-il par ailleurs d’incorrect à ce que le but de ces manifestations soit aussi de faire réduire la production de pétrole provenant des sables bitumineux ? Cette production est-elle une fin en soi que nous ne saurions remettre en question ? Les messages que les citoyens ont envoyés à Cacouna et à Sorel-Tracy sont par ailleurs pluriels. Toutes et tous ont leurs raisons personnelles de s’exprimer ; leur point commun est qu’elles/ils le font ensemble. Pour certains, voire plusieurs, le message se rattache à l’importance de préserver la santé de notre air et de notre eau et, en bout de ligne, la nôtre, de même qu’à la nécessité de réduire progressivement notre consommation d’énergies fossiles, ce qui implique nécessairement l’abandon de nouveaux projets polluants destinés à en accroître la production. Pour d’autres, le message est différent et peut se limiter, c’est là aussi leur droit, à ce que ces projets aient des retombées économiques concrètes et réelles à long terme pour le Québec, ce qui reste à démontrer dans le cas du projet Énergie Est.

Bien sûr que nous consommons du pétrole et le ferons encore plusieurs années à venir, mais la nécessité d’en diminuer notre dépendance est bien réelle, comme l’expliquait clairement la haute responsable de l’ONU sur les changements climatiques Christiana Fugueres. Et il n’y a aucune hypocrisie à en consommer et à en critiquer l’usage à la fois. Tous n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture hybride, dont l’incitatif gouvernemental n’est encore que de 500 $, ou une voiture électrique. Dans ce dernier cas, l’incitatif de 8 000 $ est très intéressant, mais ne permet tout de même pas à tous de se procurer une voiture électrique dont le prix de départ est somme toute élevé comparativement aux petites voitures à essence. Et les réseaux de transport en commun ne sont pas partout aussi développés qu’à Montréal.

Voyez-vous, le problème à mon avis avec la vision dans laquelle vous semblez vous inscrire est qu’elle met l’économie et les profits à l’avant-plan et au-dessus des gens. Cette vision favorise et perpétue le discours néolibéral dominant consistant à tout penser en termes économiques d’abord et à voir les personnes comme des ressources au service des entreprises qui, elles, procureraient généreusement des emplois aux gens qui en retour ne devraient pas trop insister pour encadrer de normes environnementales ou linguistiques le libre exercice des activités de celles-ci sur notre territoire, au risque de les voir aller exploiter nos semblables dans d’autres pays et se faire rabrouer par une instance internationale économique comme l’Organisation mondiale du commerce.

Je pense au contraire que sans les personnes, les entreprises ne sont rien. Sans des gens qui travaillent à la sueur de leur front, les entreprises ne parviendraient pas à faire de profits. L’économie doit être au service des citoyens, non l’inverse. Encourageons les entreprises locales, éthiques et vertes, qui se soucient réellement du bien commun.

PS : mes commentaires n’engagent que moi

David Robitaille

Avocat et professeur de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa

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