Édition du 26 mars 2024

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Europe

Catalogne : Oser faire le pas

Ce texte est une traduction française d’une lettre ouverte adressée au peuple catalan

En tant que province canadienne, le Québec a organisé à deux occasions - en 1980 et 1995 - ses propres processus référendaires avec l’objectif de constituer un État souverain pour ce peuple francophone d’Amérique du Nord.

Les trajectoires historiques du Québec et de la Catalogne sont différentes. Néanmoins, nos deux peuples partagent un rêve commun : le désir persistant d’accéder à la souveraineté et à un statut d’État indépendant.

Cette aspiration tout à fait légitime émane du droit fondamental à l’autodétermination des peuples.

Pour nous, l’indépendance est plus qu’un simple changement de drapeau ou encore la rupture des liens politiques et juridiques avec une entité plus grande. Non. L’indépendance s’enracine dans la volonté d’effectuer des transformations fondamentales en convoquant le peuple pour qu’il puisse définir et décider du mode d’organisation de sa société.

En ce sens, l’indépendance politique implique nécessairement la souveraineté populaire comprise comme une pratique concrète qui permet au peuple de délibérer et de décider des valeurs et des institutions qui structurent le nouvel État. Avant tout, l’accession à l’indépendance est un acte profondément démocratique et transformateur qui établit la primauté de la souveraineté populaire.

Après avoir vécu à deux occasions l’expérience d’une consultation référendaire sur la souveraineté du Québec, avec une issue négative pour la cause indépendantiste, je crois opportun de signaler deux aspects qui me paraissent fondamentaux pour réussir à convaincre une majorité de citoyens et citoyennes de voter pour l’indépendance.

En premier lieu, il faut contrer l’utilisation de la peur et l’exploitation du sentiment naturel d’insécurité présent chez une bonne part de nos concitoyens et concitoyennes devant la perspective d’un changement aussi fondamental. Il m’apparaît essentiel d’expliquer comment l’indépendance permettra non seulement d’augmenter notre prospérité collective, mais aussi expliquer ce qui arrivera une fois que l’indépendance sera concrétisée.

Le camp indépendantiste a l’obligation de la transparence, il doit informer de ce qui se passera ensuite, et surtout expliquer comment il compte mettre en oeuvre les transformations inévitables provoquées par la création d’un État indépendant.

Dans le cas du Québec, plusieurs de nos concitoyens, surtout les francophones, acceptent le principe de l’indépendance bien qu’ils aient rejeté cette proposition au référendum de 1995. La difficulté d’expliquer clairement les conséquences dans le quotidien des gens a été exploitée par nos adversaires dans le cadre de leur stratégie de la peur. Cela a mené à la déroute de l’option souverainiste par seulement quelques dizaines de milliers de votes.

Le second aspect fondamental concerne la nécessité que le projet indépendantiste ne soit pas considéré seulement comme une volonté exclusive de la majorité nationale.

Le peuple québécois est plurinational, formé par une nation francophone majoritaire, mais aussi par une minorité de langue anglaise qui a des droits constitutionnels et par 11 nations autochtones auxquelles on reconnait juridiquement le statut de nation. Cela c’est sans compter les centaines de milliers de personnes immigrantes et leurs descendants.

Dans le contexte, le camp indépendantiste québécois n’a pas réussi à obtenir l’appui de ces minorités pour le simple fait que celles-ci ont toujours considéré l’option indépendantiste comme la volonté exclusive de la majorité francophone. Dès lors, si le projet appartient uniquement à la majorité nationale, les minorités risquent de ne pas se sentir concernées. Cela a contribué de manière importante à la victoire étroite du camp fédéraliste en 1995.

Il est alors indispensable de répandre le principe que le pays que nous souhaitons construire en est un pour l’ensemble de la société, que le désir d’une société plus juste, plus démocratique et souveraine nous concerne tous, hommes et femmes d’une patrie qui appartiendra à tous, peu importe sa langue, son origine, sa couleur de peau ou sa religion.

Cela n’est pas seulement une nécessité rhétorique. Cela doit constituer la base d’une stratégie indépendantiste qui accorde une place à ceux et celles qui ne partagent pas nécessairement notre origine ethnique, mais qui peuvent, oui, s’engager avec nous pour dessiner à l’avenir une histoire commune et qui peuvent faire partie d’un grand projet de construction d’une société meilleure, plus humaine et solidaire.

Amis et amies de Catalogne, nous observerons avec grand intérêt, affection et solidarité la cause que vous brandissez et la lutte que vous menez. Le peuple catalan est un exemple pour les indépendantistes du Québec. Nous admirons votre détermination pour concrétiser ce qui paraît naturel et irréversible pour une grande majorité des nations du monde : oser faire le pas pour se donner un pays indépendant.

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