Édition du 26 mars 2024

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Québec

Contre la « métropolisation » de Québec

Ces dernières semaines, les intentions du gouvernement Legault quant au sort de la ville de Québec se sont clarifiées, comme quelque chose qu’on n’arrive plus à cacher.

Samuel Faucher, membre de l’asile contre la ZILE

Lors d’une sortie médiatique réalisée au début du mois de septembre, Legault évoquait l’idée de faire de la Capitale « la deuxième métropole » de la province : intensifier ses infrastructures, réorganiser ses flux et ses dynamiques, attirer de nouvelles classes travailleuses, faire croitre l’industrie touristique, gentrifier ses quartiers populaires, bref augmenter la concentration du Capital, et, bien sur, toutes les violences structurelles qui accompagnent, comme nous le savons, ce modèle délétère.

Mais ce qu’il nous semble essentiel de saisir, au lendemain de cette annonce, c’est que le projet de métropolisation de Québec est déjà sur la table depuis un moment. Pire, il est déjà amorcé. En ce sens, Legault publiait, en 2013, un livre intitulé « Cap sur un Québec gagnant : le Projet Saint-Laurent » dans lequel il expose son intention de « siliconiser la vallée du Saint-Laurent » – en référence à la Silicon Valley californienne et à toutes les méga-entreprises privées qui en sont les symboles de domination, GAFAM et autres. En gros, le ministre propose d’accueillir, sur l’ensemble des territoires qui longent le fleuve, une multitude d’entreprises privées liées au monde des hautes-technologies : l’industrie 4.0. Pour ce faire, il propose de mettre en réseau des mécanismes d’exploitation territoriaux – colonialisme, extractivisme, impérialisme, etc. – avec des banques de serveurs, des réseaux de communication sophistiqués et une concentration de techno-industries dans les centres urbains. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui « l’innovation ».
Dans ce contexte, la ville de Québec apparaît comme lieu idéal pour l’implantation de la techno-industrie : symbole colonial, entrée portuaire, ville post-industrielle diffuse, siège politique du gouvernement provincial, domination technocratique, rêve cybernétique inachevée.

L’annonce d’une seconde « métropole » n’est donc pas anodine : elle renvoie au rêve « siliconisé » de Legault. D’une certaine manière, elle lui donne forme. Elle annonce de grandes mutations. Surtout, elle permet de mieux comprendre les transformations urbaines en cours sur le territoire municipal : tramway,
3e lien, gentrification sauvage des quartiers centraux, ravage des boisés à des fins d’urbanisation, stigmatisation et expulsion des populations marginales, prise en charge de grands projets urbains par des policiers – les frères Trudel –, corruption des institutions citoyennes1 , détournement de fonds publics vers
la techno-industrie2 .

Ces transformations sont en fait les symptômes d’une grande mutation : la techno-métropolisation de Québec. Leur dénominateur commun est la techno-industrie ; la surveillance. C’est de moins en moins caché. En ce sens, le rêve « siliconisé » de François Legault se matérialise à travers ce que le gouvernement caquiste nomme les « zones d’innovation3 », des territoires géographiques visant à
regrouper institutions publiques, infrastructures et techno-entreprises. Au total, on prévoit une vingtaine de ces « zones » dans la province. Dans la région de Québec, trois de celles-ci se dessinent : une à chaque extrémité du tramway – la zone d’innovation « Innovitam » dans Maizerets et le secteur Chaudière près du
IKÉA, où se trouvent présentement un boisé et des milieux humides d’exception, et la troisième, vous l’aurez deviné, à la sortie du 3e lien, sur la rive-sud.

Il faut donc cesser d’y voir des projets séparés, isolés les uns des autres, pour saisir le sort général qu’on réserve à Québec : le tramway servira de colonne vertébrale pour le déplacement des techno-travailleurs – et donc, la gentrification des quartiers qu’il traverse –, le 3e lien assurera les transports inter-rive entre la techno-industrie, les ressources qu’elle exploite, les produits qu’elle fabrique, et les travailleurs qu’elle soumet à son emprise, tandis que le port de Québec veillera à l’acheminement continu des matières et des marchandises nécessaires à l’essor de ce monde techno-industriel. Le reste est collatéral : destruction des milieux naturels à des fins de croissance économique, expulsion et contrôle des populations marginales,hausse des valeurs foncières, surveillance policière accrue, homogénéisation de la vie « citoyenne », emprise de la techno-industrie sur nos existences.
Legault et ses complices accueillent ce monde à bras ouvert. Le projet de siliconisation est bel et bien en cours. La gauche, qui « désire » son tramway, l’endosse. La droite, qui rêve d’un 3e lien inter-rives, le soutient. Les groupes, institutions et entreprises qui s’y lient, d’une manière ou d’une autre, en sont complices. Il revient donc à tous celles et ceux qui désirent expérimenter d’autres formes de vie que celles que lui réserve la techno-industrie de se prendre en main. Ne rien espérer du gouvernement – car son choix est fait –, et s’organiser sérieusement pour empêcher l’émergence de ce monde dystopique. En ce sens, des groupes existent, il suffit de s’y joindre : Le REPAC, la Table Citoyenne Littoral Est, le Regroupement des femmes de la région de la Capitale-Nationale, L’Asile contre la ZILE. Toutes luttes « écologistes » et « étudiantes » devraient aussi s’y attarder.

Il nous reste à faire converger nos forces pour saboter la techno-industrie : nuire à sa « valorisation », bloquer ses infrastructures, salir les groupes complices de son implantation, protéger et habiter les territoires qu’elle prévoit coloniser, expérimenter collectivement des formes de relations basées sur la proximité, l’entraide, le partage, la convivialité, le soin et la régénération. S’organiser, donc, par tous les moyens, pour empêcher la techno-métropolisation de Québec. Car ces mutations contemporaines déterminent aujourd’hui la condition des territoires que nous laissons aux générations suivantes. À nous de choisir notre camp. Pour notre part, nous ne voulons rien savoir de ce monde de robots ; nous préférons de loin interagir avec le vivant.

Notes

1 Certains membres de « conseils de quartier » représentent à la fois les citoyen-nes, dans leurs engagements bénévoles, et la techno-industrie, dans leur travail quotidien.
2 Dans le contexte du projet « Innovitam », plus d’une centaine de chairs et groupes de recherche de l’Université Laval sont mis à disposition de l’industrie 4.0 et de son « développement ».
3 Ministère de l’Économie et de l’Innovation. « Création de zones d’innovation ». En ligne :
https://www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/zones-dinnovation/creation-de-zones-dinnovation/

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