Édition du 16 avril 2024

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Corse : nationalistes vent en poupe – Score médiocre à gauche, Jean-Luc Mélenchon exulte

Le premier tour des élections territoriales en Corse a consacré le triomphe annoncé des nationalistes. La seule liste de gauche, présentée par la Corse insoumise, le PCF et Ensemble, a eu un score médiocre. Pourtant Jean-Luc Mélenchon exulte. Tour d’horizon.

Tiré de la revue Regards.

Deux ans après leur accession à la tête de la région et quelques mois après leur sans-faute législatif, les nationalistes confortent leur hégémonie sur les institutions insulaires. Le total des formations qui se réclament de l’autonomie ou de l’indépendance dépasse désormais les deux tiers des suffrages exprimés contre un peu plus d’un quart en 201

En 2015, la droite et l’ensemble de la gauche socialiste et radicale faisaient à peu près jeu égal avec les nationalistes (27% pour la droite hors FN et 2% pour les radicaux et les « divers gauche »). Le FN et le Front de gauche étaient loin derrière avec respectivement 10,6% et 5,6%. En 2015, si l’espace de feu le Front de gauche conserve ses timides 5,7%, le FN s’effondre et se contente d’un plus que modeste 3,3%.

Le total de la droite insulaire classique et du FN est passé de près de 38% à 16% et la gauche des radicaux, laminée par les scandales, a pour l’instant disparu des radars. Le parti du nouveau président, lui, est loin de confirmer ses résultats du printemps : ses 11,3% régionaux sont loin des 35 et 17% engrangés aux dernières législatives en Corse-du-Sud et en Haute-Corse.

L’élection s’inscrit dans un climat de crise politique aiguë. Des années de politique clanique, entre la droite traditionnelle et une gauche pour le moins « modérée », ont émoussé le sens civique, longtemps contrôlé par des réseaux notabiliaires dépassés. Entre 2015 et 2017, l’abstention a progressé considérablement, de près de 7 points. Le niveau atteint ce dimanche se rapproche des plus forts scores atteint en juin 2017 : 47,8 % contre 52,6 % (Corse-du-Sud) et 49 % (Haute-Corse).

Si, dans ce désert politique insulaire, le nationalisme apparaît comme un horizon régional crédible, il est loin de répondre à une crise politique que les contenus incertains de la demande nationaliste se surmonter à ce jour. L’analyse des cinq dernières années électorales confirme plutôt le constat. Il peut se résumer en cinq points.

1. Pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’orée des années 1980, le panorama politique de la Corse se caractérisait par une hégémonie globale de la droite, plus prononcée en Corse-du-Sud (la vieille « Terre des seigneurs ») que dans la Haute-Corse (l’antique « Terre du Commun »). Au sein de la gauche, le radicalisme conservait ses racines, le socialisme n’était pas parvenu à percer et le communisme, conforté par son aura résistante insulaire, contribuait à donner un ton plus populaire et plus combattif à une gauche globalement assoupie.

2. Comme partout, la droite insulaire s’est droitisée dans ses habits claniques habituels. Jusqu’à la fin des années 1990, elle est parvenue, comme en Alsace, à contenir la poussée du Front national. À la charnière des deux siècles, le sentiment de délaissement et le ressentiment qui l’accompagnait ont vu la percée consécutive d’un nationalisme plus ou moins converti à la lutte institutionnelle légale et d’un FN surfant sur les tentations de « l’identité ».

Quant à la gauche, elle s’est progressivement déséquilibrée, au bénéfice d’un radicalisme enfoncée dans une gestion de plus en plus douteuse et au détriment d’un PC qui a perdu ses points d’ancrage, dans les territoires urbanisés et plus industrialisés du Nord comme dans ses bastions du Sud (la perte emblématique de Sartène, malgré le poids politique considérable de son maire, Dominique Bucchini).

Plus que dans d’autres territoires métropolitains, les communistes furent ainsi peu à peu grignotés par le déclin d’une gauche dont ils critiquaient les errances, mais sans vouloir attiser le risque d’une rupture à gauche aux effets plus qu’incertains. Malgré leur pugnacité, ils ne furent donc pas épargnés par le discrédit d’une certaine gauche, dont ils ne s’étaient pas assez éloignés.

3. Le Front national n’a pas réussi, comme naguère le socialisme mitterrandien, à traduire localement la percée enregistrée en 2012 et en 2017, dans les scrutins les plus nationaux (13,8% et 13,6%), malgré l’existence de fortes tensions « identitaires » dont a été trop souvent victime la population insulaire immigrée. Si l’obsession identitaire a été politiquement traduite, c’est avant tout par un nationalisme politique qui a su dans l’ensemble – mais non sans ambiguïtés – naviguer sur la ligne de crête qui sépare le désir de reconnaissance et la logique nationaliste de l’exclusion de tout ce qui ne correspond pas à « l’identité corse ».

4. À gauche, le déclin du PCF n’a pas été vraiment compensé. Il est significatif que les résultats départementaux de Jean-Luc Mélenchon en 2017 aient été en Corse les plus modestes de tout le territoire métropolitain. Et à deux reprises, en 2012 et en 2017, les résultats du Front de gauche et ceux cumulés du PCF et des Insoumis sont restés en retrait à la fois des scores anciens du PC et des résultats présidentiels de Jean-Luc Mélenchon. Aux législatives de 2017, la responsabilité en incombe pour une part à un PC resté bien frileux face au leader de la France insoumise et refusant alors toute dynamique de convergence électorale.

En sens inverse, aux territoriales de ce mois de décembre, l’attitude de Jean-Luc Mélenchon a sans nul doute pesé lourdement dans la balance. Alors que le PCF s’était finalement résolu à soutenir sa candidature présidentielle, fût-ce du bout des lèvres, dans une île où la symbolique communiste reste liée au grand souvenir de la Libération de 1943, Jean-Luc Mélenchon s’est opposé à tout rapprochement entre les anciens alliés du Front de gauche. Une alliance de la Corse insoumise et du PCF, a-t-il alors déclaré, relève de la « tambouille politicienne »… ce qui n’est pas le cas d’une alliance avec les écologistes à Grenoble ou de la reprise des discussions avec Benoît Hamon. Allez savoir…

Non content de ne pas approuver l’alliance insulaire à gauche, refusant de valoriser le fait que les héritiers du Front de gauche restaient les seuls hérauts de la gauche sur l’île, il est allé plus loin, en déclarant que la seule solution en Corse était d’entamer des négociations avec des nationalistes devenus brusquement des opposants au libéralisme macronien et des tenants d’une « République une et indivisible ». Ne pas soutenir les siens est une chose ; encenser les adversaires des siens en est une autre.

5. « En Corse, le dégagisme, c’est Simeoni. Bravo ! », a twitté dans la soirée d’hier la figure de proue de la France insoumise. Jean-Luc Mélenchon se hâte donc de plaquer la réalité corse sur un de ses schémas favoris. Si l’on s’en tient à ces propos, c’est l’annonce d’un processus imminent de négociation tel qu’il a été évoqué il y a peu. Le problème tient sans doute à l’interprétation du score des nationalistes. Il a d’incontestables racines locales, dans une île où la politique a été progressivement discréditée, dans des proportions sans commune mesure avec le reste du territoire national, et où l’État, au fil des décennies, a tourné le dos à la fois aux demandes sociales et aux attentes politiques et culturelles.

Mais la revendication nationale telle que la portent les organisations nationalistes ne se réduit pas aux demandes populaires de respect et de dignité. Elle n’est pas à l’écart de mouvements politiques de fond qui, eux-mêmes, n’échappent pas au dualisme de la gauche et de la droite. Dans un électorat corse qui s’abstient pour moitié, aussi bien aux législatives qu’aux territoriales, comment ne pas voir que la concomitance de la percée nationaliste, de l’effondrement du FN et de l’écrasement de la gauche n’est pas une bonne nouvelle ?

Je me refuse pour ma part à faire, de la revendication d’un « populisme de gauche » l’objet de nouvelles guerres de religion. Mais comment croire que, en l’espace de cinq mois, le « dégagisme » a atteint toutes les forces politiques sans exception ? Balayés la droite conservatrice d’aujourd’hui, le mépris du peuple macronien, la vindicte du Front national (28,6 % et 27,2% pour Marine Le Pen en avril 2017) ? Allons donc ! La Corse a l’habitude de ces décalages entre scrutins nationaux et scrutins locaux. La propension de droite peut, selon les cas, se porter vers telle ou telle formation, rarement les mêmes à tous les types de scrutin.

Pour l’instant, on peut faire l’hypothèse que les forces nationalistes locales se sont plutôt nourries d’un déplacement venu d’abord de la droite de l’échiquier. Peut-être Jean-Luc Mélenchon pense-t-il que le dialogue avec les nationalistes va conforter sa propre lecture du « dégagisme ». Mais il est difficile d’ignorer que, à ce jour, le « dégagisme » en Corse favorise avant tout le côté droit, faute d’une gauche offensive. « Dégagistes de tous les pays et de tous les courants, unissez-vous »… Si l’on allait jusqu’à cette extrémité – et je ne veux pas croire un seul instant que nous y soyons – nous nous préparerions à de rudes désillusions.

Il n’est pas trop tard pour que la raison retrouve ses droits, le combat pour la dignité populaire ses repères et la dynamique d’une gauche bien à gauche son allant. Nos combats communs ont relancé la donne populaire et démocratique de ce pays et, en 2017, elles ont précipité la crise d’une gauche de renoncement. Le poison de la désunion dans un espace qui s’en était heureusement dégagé serait une calamité. Faisons tout pour la conjurer.

Roger Martelli

Journaliste à Mediapart (France).

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