Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

De la manif du coquelicot blanc à celle contre l’oléoduc Enbridge

Dans la rue, la droite dame le pion à la gauche

À l’occasion du jour du souvenir, ce 11 novembre, quelques dizaines de personnes répondaient à l’appel d’Échec à la guerre pour contrer la très militariste cérémonie du souvenir laquelle, à Montréal, se tenait sur le campus de l’Université McGill… dans l’antique Golden Square Mile au pied de la montagne, coups de canon compris. La poignée de manifestantes — Honneur aux combattantes de la résilience ! — ne faisait pas le poids face au rassemblement d’en face. Ce sera « À la prochaine ! » comme disait l’autre en ce soir de défaite en 1980. Les grandes manifestations anti-guerre d’il y a dix ans ne sont plus qu’un lointain… souvenir.

Question qui me taraude. Est-ce du pareil au même que de manifester contre une guerre impérialiste bien déterminée et manifester pour une paix éthérée ? N’y a-t-il pas moyen de mobiliser autour de revendications contre des guerres et occupations bien concrètes ? Par exemple le soutien humanitaire au peuple syrien et l’aide en armes défensives pour la résistance démocratique en Syrie laquelle, coincée entre le sanguinaire Assad et les fondamentalistes usant de terreur, ne jouit d’aucun commanditaire étatique. Ou encore la fin de l’occupation onusienne d’Haïti.

Ce 16 novembre, « [s]elon les organisateurs, plus de 130 manifestations contre le changement climatique ont été organisées à travers le Canada [et le Québec, NDLR] ce samedi-ci. Le plus grand rassemblement s’est tenu à Vancouver [500 personnes], où les participants ont manifesté leur opposition au projet de pipeline Northern Gateway d’Enbridge. […] Et à Calgary, environ deux douzaines de personnes ont bravé la neige pour se mobiliser contre l’expansion des sables bitumineux et du changement climatique à l’Assemblée législative de l’Alberta. Au nord de la Colombie-Britannique, à Prince George, environ 100 personnes ont participé à un autre rassemblement anti-pipeline. » (site web de la CBC, ma traduction)

« Une de ces manifestations s’est déroulée dans le Parc national d’Oka, dans les Laurentides, où 300 personnes [de visu, cette évaluation me paraît viser juste, NDLR] se sont rassemblées pour dénoncer le projet d’inversion du pipeline d’Enbridge. Dans un geste symbolique, les manifestants, dont un grand nombre d’Autochtones, ont dansé en bloquant la circulation pendant près de 20 minutes sur la route 344. […] À Québec, quelque 250 personnes étaient réunies devant l’Assemblée nationale. Ailleurs au Québec, des manifestations se sont aussi tenues à Témiscouata-sur-le-Lac et à Rivière-du-Loup. À Toronto, environ 150 personnes se sont donné rendez-vous devant l’hôtel de ville pour s’opposer aux projets d’expansion de l’industrie pétrolière. Environ 150 personnes ont manifesté sur la colline du Parlement à Ottawa. » (site web de Radio-Canada)

On se réjouira de cette coordination à travers l’État canadien de la lutte concernant l’enjeu écologique mondial des sables bitumineux. On constatera avec plaisir une naissante stratégie commune d’étouffement de leur exploitation en bloquant les projets d’oléoducs vers les quatre points cardinaux par les compagnies Enbridge et Trans-Canada. On admettra, cependant, que les monopoles pétroliers ont partiellement contourné la difficulté en se tournant vers les pétroles schisteux du Dakota du Nord dont une forte proportion est transportée par train, entraînant une croissance exponentielle des quantités charriées en quelques années, sans que presque personne ne s’en fut aperçu jusqu’à ce fatidique 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic. À se fermer les yeux sur cette manœuvre, le mouvement écologiste finira par s’attaquer à des moulins à vent à moins d’inclure tous les moyens de transport dans sa stratégie d’étouffement.

Reste que cette héroïque tentative n’a pas fortement mobilisé. Pour Montréal, tenir un rassemblement à la limite de la région métropolitaine, loin des transports publics, n’aidait pas. Envers de la médaille, on se réjouira de cette initiative de la nation Kanien’kehá:ka (Mohawk) qui a organisé toute l’affaire sur son territoire. Dans le cadre du mouvement Idle no more, la nation Kanien’kehá:ka se joint au mouvement anti-pipeline (et anti gaz de schiste) à l’instar de plusieurs autres nations autochtones habitant les provinces entre la Colombie britannique et le Nouveau-Brunswick. Pour dire le vrai, elles ont jusqu’ici été le fer de lance de cette lutte. Pour elles, c’est une question de droits territoriaux et de respect de la Terre-mère. Si les mobilisations ne décollent pas, malgré certaines actions spectaculaires dues aux peuples autochtones dont la dernière fortement réprimée par la GRC, c’est peut-être que la population « blanche » est encore trop engluée dans le consumérisme et trop à la recherche de boucs émissaires.

Pendant qu’au Québec le peuple de gauche déserte la rue, sorte d’anti-climax du Printemps érable, ce qui en souligne la défaite quoiqu’on en dise, la droite identitaire et islamophobe commence à la conquérir. Ce frissonnant revirement est d’autant plus inquiétant qu’il se fait sous la houlette de sympathiques personnalités au féminisme et à la laïcité sans doute sincères que le nationalisme étroit a fait virer en vinaigre. Elles entraînent derrière elles une foule qui n’arrive pas à faire son deuil du PQ, ou d’une alliance avec lui. Désemparée par l’impuissance du PQ à faire l’indépendance, prisonnière du néolibéralisme péquiste enrobé de populisme et écrasée par l’échec historique du PQ qu’on ne veut pas admettre malgré son évidence, cette foule perd le nord.

Pour le peuple québécois, c’est la croisée des chemins. Ou ce sera l’alliance identitaire contre les femmes voilées aujourd’hui, contre les peuples autochtones demain, pour la plus grande joie des transnationales financières et pétrolières… et du fédéralisme. Ou ce sera l’alliance des peuples et nationalités opprimés, et du prolétariat de l’État canadien, pour vaincre la domination de la bourgeoisie canadienne, et de son allié étasunien, en brisant le maillon faible de sa chaîne dominatrice par la conquête de l’indépendance du Québec. Ou bien ce sera la chimère de la souveraineté nationaliste ou bien le réalisme de l’indépendance internationaliste.

Marc Bonhomme, 17 novembre 2013
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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