Édition du 26 mars 2024

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Démocratiser notre démocratie

Les dernières élections provinciales ont eu pour effet de mettre la population québécoise devant une évidence qu’elle se refuse pourtant à voir depuis longtemps. Nous ne sommes pas, ou nous sommes très peu, une société démocratique, et ce pour au moins trois raisons.

En premier lieu, nous misons tout sur les élections, et nous laissons ensuite une petite élite faire à notre place des choix dont on nous tiendra pourtant avec raison responsables dans un avenir proche. En second lieu, nous avons choisi d’élire un gouvernement dans l’espoir d’en faire un simple gestionnaire des affaires publiques, ce qui aura pour effet de creuser plus encore le gouffre entre la population et la classe politique professionnelle. Enfin, loin de lutter pour l’égalité démocratique, nous calquons à l’identique au sein de la société civile ces mécanismes sournois de reproduction des élites.

Cette fascination de notre époque pour des gouvernements impérieux sous prétexte d’efficience politique, capable de faire la pluie et le beau temps, est pour le moins inquiétante. Or, cette marge de manoeuvre accordée aux libéraux ne repose en rien sur une molle apathie occasionnée par la confiance. En effet, si ce nouveau gouvernement aura les coudées franches, cela ne sera pas en raison de notre confiance en lui. Il est en effet pour le moins difficile de lire dans les dernières élections un pardon pour les fautes commises par le gouvernement de Jean Charest, encore moins un consentement aveugle à leurs actions futures. En dehors des contingences qui ont pu favoriser une forte mobilisation électorale pour le Parti libéral, deux valeurs semblent entrer en conflit, l’efficacité et la légitimité, et la première se trouve nettement préférée à la seconde. Qu’importe si nous nous dirigeons tout droit vers un mur, au moins nous savons où nous allons. La belle affaire ! 

Les réformes du mode de scrutin ne changeront rien à ce problème. Dès lors, à moins de transformations majeures de nos pratiques politiques, nous dupliquerons les mécanismes qui encouragent la désinvolture de la politique professionnelle devant toute volonté citoyenne. Cela se vérifie dans notre culture politique. Par exemple, dans l’état actuel des choses, il n’y a guère de raison de croire à une très éventuelle révolution démocratique des grands médias. Comme à leur habitude, ils adopteront une position de surplomb d’autant plus cocasse que leur perchoir, peu élevé, ne se trouve jamais très loin de leur mangeoire. Ils analyseront les forces en présence en négligeant ce que la population peut ou veut dire, car à la manière de la classe politique professionnelle, ils préfèreront jouer aux ventriloques en prodiguant leur voix et leurs opinions à une majorité décrétée silencieuse qui par définition ne leur avait rien demandé.

Prendre la parole pour prendre le pouvoir

Il apparaît urgent de refonder les institutions de la participation citoyenne, à l’intérieur de l’État et au sein même des organisations capables de représenter un contre-pouvoir face aux dérives du gouvernement. Cela exige avant tout une prise de parole, conçue comme une prise de pouvoir.

Plusieurs possibilités s’offrent à nous. Je pense aux modalités du « sondage délibératif » où se rassemble un grand nombre de personnes (par exemple, une centaine), pour les sonder, mais seulement après avoir donné aux participants l’occasion de s’informer adéquatement sur le sujet. On peut penser également au « budget participatif » où l’affectation d’une part importante du budget d’une ville ou d’un village se fait en relation directe aux choix exprimés par la population. Il faut multiplier les initiatives comme celle de jury de citoyens, où un groupe est composé par tirage au sort et qui a pour tâche de produire un avis sur une question sociale ou politique donnée. Il ne s’agit pas ici de simples consultations, lesquelles ont le plus souvent pour effet de déposséder les individus de leurs voix propres. Il s’agit d’offrir des moyens réels, du temps et de l’argent, aux groupes délibératifs, et d’éloigner autant que possible les risques d’instrumentalisation.

On a facilement tendance à disqualifier la délibération démocratique à partir de ce qu’on peut observer maintenant : les faux débats des chefs, les tribunes d’opinion où chacun s’exprime sans trop penser à ce qu’il dit, les concours de popularité des chroniqueurs, dont le seul objectif est de conserver leur lectorat en alléguant des choses qu’ils ne seraient pas capables de défendre sérieusement, faute d’une réflexion adéquate. Il est tout à fait possible d’être vu et entendu sans pourtant avoir rien à dire. Une telle visibilité de l’opinion creuse est contraire à l’idée moderne de publicité, au sens kantien du terme, c’est-à-dire contraire à un espace public où la réelle transparence exige une imputabilité de chacun à l’égard de ses propos. Dire quelque chose en public, c’est l’assumer. Inversement, la publicité des sociétés antidémocratiques met en avant une personne et place à l’arrière-plan son propos, si tant est qu’il existe.

Dire pour faire

Plus que jamais, il importe au plus haut point de développer les compétences politiques de toutes et tous, par l’intermédiaire d’exercices de démocratisation à l’échelle de l’État, mais aussi à celle de toutes les organisations politiques, partis, syndicats, mouvement sociaux et organismes communautaires. Dans tous les cas, l’objectif est un renforcement des pouvoirs citoyens par l’analyse et le savoir politique développés par chaque individu, quelle que soit sa classe sociale. Nous devons aussi exiger une répartition concrète entre les genres, une représentation réellement proportionnelle des groupes et une influence plus grande des minorités.

Nous jugeons utopique, voire dangereuse, l’idée d’un réel pouvoir politique accordé à la société civile. Comme si le pouvoir était toujours mieux entre les mains d’une coterie politique, des riches ou des mafieux, qu’entre celles de la population. Ce type de raisonnement nous a conduit à accepter l’inacceptable. Ni les élections, ni leurs résultats, ne représentent les seuls leviers d’actions politiques. Le caractère public de nos institutions commande un droit de regard de la société civile, ce qui devrait se traduire par une capacité d’agir et de s’affirmer : dire pour faire, parler pour construire.

Christian Nadeau

Département de philosophie

Université de Montréal

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