Édition du 16 avril 2024

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Politique canadienne

Postes Canada

Des négociations sur fond de démantèlement du service postal

Au cours des dernières semaines, le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes STTP-FTQ) a tenu différentes manifestations afin d’appuyer leurs demandes en négociation et surtout dénoncer les reculs que tente d’imposer Postes Canada. Nous avons participé à la manifestation du 22 février dernier devant la succursale Youville en compagnie des représentants de différents syndicats de la FTQ ainsi que du Conseil Régional FTQ Montréal Métropolitain qui se sont joints aux commis, facteurs et factrices.

Historiquement, le service postal a toujours été considéré comme un élément essentiel de communication qui permet à toute la population du Canada et du Québec, quelle que soit la région et la distance de bénéficier d’un tarif unique pour la poste-lettre. À l’origine Ministère des Postes, puis Société d’État depuis 1980, le service postal a été malmené en tant que service public universel. C’est un marché lucratif pour les compagnies privées qui font pression depuis des décennies dans le but de le privatiser. Ces entreprises sont regroupées pour la plupart au sein de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes. Dans une lettre concernant leur opposition à l’augmentation du prix du timbre adressée en août 2009 au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, John Baird, la FCEI s’en prenait directement aux droits des employés-es qui coûtent trop cher à la Société d’État selon eux. Ces demandes constituent comme par hasard les principaux reculs que tente d’imposer actuellement la direction de Postes Canada à ses travailleurs et travailleuses membres du STTP :

« Lorsqu’on tient compte des autres avantages payés, tels que les primes d’assurance soins médicaux , les cotisations de l’employeur au régime de retraite, et des avantages non payés, tels que les congés de maladie et les vacances, cet écart atteint 40,5 p. 100, la preuve que Postes Canada n’exerce plus aucun contrôle sur ses coûts en main-d’œuvre. La FCEI est fermement convaincue qu’avant même d’autoriser Postes Canada à appliquer des hausses de prix aussi considérables, l’organisme devrait être tenu de créer un plan pour que ses salaires et avantages s’harmonisent mieux avec les normes du secteur privé.La FCEI estime que vous devriez obliger Postes Canada à mieux contrôler ses coûts en main-d’oeuvre car ils sont largement supérieurs à ceux que le secteur privé pratique pour des postes similaires. »

La similitude avec les demandes actuelles de Postes Canada est en effet déroutante. Celle-ci propose de ;
• Réduire les congés de vacances ainsi que de maladie qu’elle veut transformer en régime d’assurance géré par la compagnie Manuvie.
• Modifier les avantages qui seront consentis aux nouveaux membres à la retraite. Ces derniers verront leurs avantages diminuer, ce qui fera augmenter les coûts qu’ils auront à payer.
• Assujettir les nouveaux employés à un régime de retraite à cotisations déterminées au lieu de prestations déterminées.
• Instaurer un taux de salaire inférieur à celui des employées et employés actuels de sorte qu’ils mettent plus de temps pour atteindre le taux de salaire maximal.
• Choisir qui elle embauchera pour occuper un poste permanent plutôt que d’embaucher l’employé ou employée temporaire ayant le plus d’ancienneté.

Contrairement à la logique qui prévaut envers les entreprises privées, Postes Canada paie en tant que Société d’État sa part d’impôt mais envoie également des dividendes. Selon le mémoire du STTP déposé à la commission sur l’examen stratégique de Postes Canada en 2008, la société d’état a versé au gouvernement fédéral au cours des treize années précédentes 623 millions de dollars en dividendes et 496 millions de dollars en impôts. En plus de subventions accordées par le gouvernement aux entreprises privées (Les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis de côté plus de 21 billions de dollars en 2005 pour appuyer les petites entreprises dans le cadre de plusieurs programmes d’aide), celles-ci bénéficient également d’allégements fiscaux. En effet, les entreprises moyennes dont le capital imposable est inférieur à 50 millions de dollars profitent de l’élimination intégrale de l’impôt sur le capital depuis 2004. Mais les services publics comme Postes Canada doivent quant à eux payer des dividendes et leur pleine part d’impôt. On pourrait presque y voir des vases communicants.

À cela il faut ajouter que les compagnies privées ne sont intéressées que par le marché lucratif à proximité des principaux centres urbains, laissant à Postes Canada le soin de desservir les régions éloignées. Même si le service de colis n’est pas aussi rentable que la poste-lettre qui bénéficie du privilège exclusif, on peut comprendre qu’en s’accaparant un bonne partie des secteurs les plus rentables, soit les secteurs urbains, les compagnies privées laissent à Postes Canada ce qui l’est moins.

L’enjeu des présentes négociations ne concernent donc pas seulement les membres du STTP. Les modifications que Postes Canada entend apporter au traitement du courrier et à la livraison dans ce qu’il appelle La Poste Moderne, a pour conséquence directe de couper des emplois et d’augmenter la charge de travail, particulièrement au niveau des facteurs et factrices à un point qui rend difficile une livraison sécuritaire et efficace du courrier. L’implantation du nouveau système de livraison à Winnipeg et plus récemment à Laval a démontré son inefficacité. On ne peut qu’y voir une similitude avec les stratégies de nos gouvernements en santé et en éducation. Le sous-financement et les coupures pavent la voie à la privatisation.

Les demandes de Postes Canada ne sont pas soutenues par une volonté d’améliorer les services à la population. Elles ont un lien direct avec les pressions des compagnies privées, qui bénéficient de toute évidence d’une bonne écoute auprès du gouvernement Harper.

Devant le refus de négocier de la direction de Postes Canada, le STTP n’a eu d’autre choix que de demander la nomination d’un conciliateur. S’il n’y a pas de prolongement de la conciliation qui a débuté il y a deux semaines, le syndicat pourrait obtenir le droit de grève le 28 avril.

Lorsque le gouvernement fédéral défend en premier lieu les intérêts des corporations et que la direction de Postes Canada s’en fait le relais, alors il est essentiel et urgent que la population soutienne la lutte des travailleurs et travailleuses des postes afin de préserver notre système postal public.
Comme le disait Michel Chartrand ; on doit se battre, parce qu’on a raison.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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