Édition du 29 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

États-Unis-Amérique Latine : retour de la politique du gros bâton et doctrine Monroe 2.0

La rhétorique agressive et la stratégie de pression maximale adoptées par l’administration Trump vis-à-vis de l’Amérique latine marquent le retour d’une politique étrangère plus interventionniste et coercitive de la part des États-Unis. Visant notamment à contrer l’influence chinoise, cette approche pourrait cependant compromettre, à plus long terme, les intérêts étatsuniens dans la région tout en faisant le jeu de la Chine.

20 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/20/etats-unis-amerique-latine-retour-de-la-politique-du-gros-baton-et-doctrine-monroe-2-0/

La crise diplomatique aura été de courte durée. Dimanche 26 janvier 2025, s’insurgeant contre la politique de rapatriement forcé mise en œuvre par Donald Trump immédiatement après sa prise de fonction, le président colombien Gustavo Petro annonce que son pays n’acceptera pas de laisser atterrir sur son sol les avions militaires bondés de migrant·es expulsé·es des États-Unis. Cinglante, la réponse du locataire de la Maison-Blanche ne s’est pas fait attendre. Dans un post publié sur son réseau social Truth Social, il désavoue publiquement le président colombien et brandit la menace de dures sanctions économiques et diplomatiques : « Je viens d’apprendre que deux vols de rapatriement en provenance des États-Unis, avec un grand nombre de criminels illégaux, n’ont pas été autorisés à atterrir en Colombie. Cet ordre a été donné par le président socialiste colombien Gustavo Petro, déjà très impopulaire auprès de son peuple. Le refus de Petro d’autoriser ces vols a mis en danger la sécurité nationale et la sécurité publique des États-Unis, j’ai donc ordonné à mon administration de prendre immédiatement [des] mesures de représailles urgentes et décisives […] » [1]. S’ensuivra un bras de fer asymétrique qui fera plier quelques heures plus tard le gouvernement Petro… et claironner le président étatsunien.

Une sérieuse mise en garde

Abondement commenté par la presse internationale, l’épisode sonne comme une sérieuse mise en garde adressée aux pays d’Amérique latine qui n’accepteraient pas d’embrasser les objectifs de politique intérieure et extérieure électoralistes de Donald Trump. Menaçant de sanctions un pays longtemps réputé comme l’un des plus fidèles alliés de Washington – du moins jusqu’à l’arrivée au pouvoir de la gauche –, il signale l’ambition des États-Unis d’imposer un nouveau rapport de forces à l’Amérique latine pour y imposer son agenda. De renouer en quelque sorte avec la politique du « gros bâton » [2] (big stick), dans ce qui apparait comme une résurrection de la doctrine Monroe – cette vieille doctrine impérialiste utilisée autrefois comme prétexte à des interventions militaires sur le continent – sur fond d’enjeux migratoires et commerciaux, mais aussi de rivalité et de lutte d’influence croissantes entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle des marchés, des chaines de valeurs et des ressources [3].

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu annoncent plutôt la résurgence d’une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Une doctrine Monroe 2.0

Beaucoup avaient prédit un tournant isolationniste radical pour ce second mandat de Donald Trump. Les premières déclarations du président élu – menaces d’annexion de la Zone du canal de Panama (rétrocédée en 1999, un peu plus de vingt ans après l’accord Torrijos-Carter) et du Groenland, si nécessaire par la force ; pressions irrédentistes sur le Canada ; volonté de rebaptiser le Golfe du Mexique et d’inscrire les cartels mexicains dans la liste des groupes terroristes, ce qui ouvrirait la voie à de possibles interventions extraterritoriales, etc – suggèrent le contraire. Elles annoncent plutôt la résurgence d’une politique hégémonique à visées expansionnistes.

Certes, ces rodomontades doivent être prises avec précaution, le président étatsunien étant coutumier des effets d’annonce et des provocations ! Pour autant, aussi extravagantes soient-elles, elles traduisent bien une rupture nette avec les politiques de bon voisinage et les rapports « relativement cordiaux » que les administrations démocrates antérieures ont entretenues avec les pays latino-américains. Aux antipodes d’un isolationnisme strictement appliqué, l’« America First serait [en réalité] une doctrine Monroe réactivée », note Hal Brands, professeur d’histoire et de relations internationales à l’Université John Hopkins : « Le retrait des États-Unis des avant-postes du Vieux Monde préfigurerait des efforts plus musclés pour préserver l’influence américaine dans le Nouveau Monde et empêcher ses rivaux d’y prendre pied » [4].

Tandis que John Kerry, secrétaire d’État de Barack Obama, avait annoncé en 2013 que l’ère de la doctrine Monroe était révolue, Trump entend lui donner une seconde jeunesse, tout comme nombre de cadors du Parti républicain et de sa frange MAGA (pour « Make America Great Again ») la plus radicale. Ils n’en ont jamais fait mystère. En 2019, déjà, l’ex-conseiller de Trump à la sécurité nationale, John Bolton, tombé depuis en disgrâce, proclamait « fièrement pour que tout le monde l’entende : la doctrine Monroe est bien vivante » [5]. À sa suite, des sénateurs et représentants républicains ont tenté de faire adopter des résolutions pour (re)confirmer sa validité. Plus récemment, certaines de ces voix les plus influentes ont multiplié les propos menaçants envers plusieurs pays d’Amérique latine, Mexique et Venezuela en tête, ressuscitant le spectre d’une forme d’impérialisme brut que l’on croyait révolu. Devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président milliardaire lui-même avait fait part de son intention de réhabiliter la vieille doctrine pour préserver « la sécurité et les intérêts vitaux » des États-Unis : « Depuis le président Monroe, notre pays a pour politique officielle de rejeter l’ingérence des nations étrangères dans cet hémisphère et dans nos propres affaires. » À ceci près que l’avertissement ne s’adressait cette fois plus aux ex-puissances européennes et à l’ex-Union soviétique, mais principalement à la Chine et à ses alliés réels ou fantasmés [6].

Contrer l’influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l’une des priorités de l’administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale). Comme l’illustrent les déclarations hystériques de Trump et d’autres responsables gouvernementaux sur la construction, avec des capitaux chinois, du port de Chancay au Pérou, et la soi-disant mainmise de Pékin sur le canal de Panama, cette priorisation annonce le retour en force du hardpower étatsunien pour endiguer la « menace » chinoise en Amérique latine, et y ravive un nouveau climat de guerre froide.

Contrer l’influence de la Chine en Amérique latine, limiter sa mainmise sur les ressources du continent, appelé à jouer un rôle clé dans la transition énergétique, tel est en effet l’une des priorités de l’administration étatsunienne en matière de politique étrangère (avec la lutte contre le narcotrafic et la question migratoire, érigée elle aussi en enjeu de sécurité nationale).

Le bâton et la carotte

« Qu’est-ce que cela signifie pour l’Amérique latine ? », s’interroge l’intellectuel marxiste et ex-vice-président bolivien, Álvaro García Linera. « Elle va se retrouver prise dans la dispute entre une Chine en expansion, qui repose sur des chaines de valeurs globales, et des États-Unis en contraction, qui ont besoin de régionaliser leurs chaines de valeurs. L’Amérique latine est déjà liée à la Chine par des chaines de valeurs globales, mais les États-Unis veulent l’intégrer dans leur sphère d’influence. La Chine à l’avantage, car elle dispose d’argent pour investir. Les États-Unis en manquent. Face à ce manque de ressources, on peut s’attendre à ce que les États-Unis choisissent la voie de la force pour imposer cette régionalisation des chaines de valeurs » [7].

Il est toutefois peu probable que les nouvelles ambitions hégémoniques des États-Unis en Amérique latine débouchent sur de nouvelles aventures guerrières. Rappelons que malgré la rhétorique belliqueuse de Trump à l’égard du Venezuela durant son premier mandat, l’option militaire a très vite été écartée au profit d’un durcissement des sanctions [8]. Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d’intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l’agenda de l’« America First ». Dans le collimateur, les pays qui s’opposeraient à la politique de refoulement des migrant·es, ceux qui renforceraient davantage encore leurs liens avec la Chine, dans le cadre notamment du projet de « Nouvelles routes de la soie », ainsi que ceux qui chercheraient à s’affranchir du dollar pour financer leurs échanges commerciaux ou aspireraient à rejoindre les BRICS. Dans cette logique, la menace d’une hausse de 100% des droits de douane sur les importations en provenance des pays des BRICS cible directement le Brésil, tout en envoyant un avertissement clair au Mexique, à la Bolivie et au Venezuela [9].

Plutôt que des interventions militaires directes, Washington privilégiera sans doute des stratégies d’intimidation, le chantage permanent, les classiques menaces de représailles et des mesures de coercition économique pour imposer l’agenda de l’« America First ».

Afin de renforcer les positions étatsuniennes dans la région, cette doctrine Monroe modernisée veillera également à attiser les divisions au sein du sous-continent. À diviser pour régner en quelque sorte. En marginalisant les pays jugés hostiles ou tout simplement réfractaires aux demandes de Washington, en bridant les ambitions de ceux qui, à l’image du géant brésilien, aspirent à un rôle fédérateur dans la région, et en s’appuyant sur des alliés loyaux. On pense bien sûr à Javier Milei en Argentine, à Daniel Noboa en Équateur, à Santiago Pena au Paraguay et à Nabil Bukele au Salvador. En échange de leur allégeance et de leur soutien, ceux-là devraient bénéficier pleinement des prodigalités de l’Oncle Sam : accords commerciaux avantageux, investissements, crédits, aides, etc.

Le bâton pour les uns, la carotte pour les autres en somme. Récompenser les fidèles, sanctionner les récalcitrants, tels seront les deux principaux leviers de cette nouvelle diplomatie assumée de la force et de la domination. Ce que confirme un journaliste du média ultraconservateur Washington Free Beacon dans un article portant sur la nomination de Marco Rubio au Secrétariat d’État : « Limiter l’influence chinoise sera plus difficile que de chasser les Soviétiques, mais récompenser les amis de l’Amérique et punir ses adversaires pourraient grandement contribuer à rendre l’économie du pays [plus grande] et sa frontière plus sûre » [10].

Les nouveaux alliés des États-Unis en Amérique latine ne seront toutefois pas les seuls vecteurs de leur politique hégémonique. Dans les pays peu disposés à s’aligner sur les intérêts étatsuniens, Washington devrait également apporter son soutien aux forces d’opposition aux gouvernements en place, en particulier à celles qui s’inscrivent dans l’agenda politico-culturel du trumpisme. Au cœur d’une nouvelle diplomatie idéologique, ces forces conservatrices pourraient être activement mobilisées pour promouvoir les intérêts des États-Unis et servir de fer de lance à d’éventuelles manœuvres de déstabilisation. Cette ingérence politique devrait devenir encore plus manifeste au cours des quatre prochaines années, exacerbant ainsi la polarisation idéologique dans ces pays. Il suffit de rappeler le rôle joué par l’actuel secrétaire d’État dans le coup d’État en Bolivie [11] ou encore la campagne de diabolisation orchestrée par Elon Musk contre un juge de la Cour suprême brésilienne, qui a contribué à remobiliser l’extrême droite bolsonariste dans la rue en soutien au milliardaire [12]. Au Brésil, le retour de Trump au pouvoir et l’arrivée de Musk dans son administration pourraient d’ailleurs donner un nouvel élan aux partisans de l’ex-président, affaiblissant Lula sur le plan politique et compromettant les perspectives de réélection de la gauche en 2026.

Il est cependant trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’évolution des relations entre les États-Unis et l’Amérique latine dans les années à venir. D’autant plus que les déclarations tonitruantes de Trump, improvisées et circonstancielles, compliquent l’analyse. Reste que ce scénario était envisagé déjà – et même encouragé – bien avant la victoire de Trump par les principaux think tanks du Parti républicain. Ainsi, James Joy Carafano, expert en sécurité nationale et ancien vice-président de l’Heritage Foundation, l’un des principaux laboratoires d’idées ultraconservateurs, écrivait quelques mois avant la victoire de Trump :

« Tout comme l’agenda America First de M. Trump [lors de son premier mandat] n’a pas adopté de politiques isolationnistes dans la pratique, une version trumpienne de la doctrine Monroe ne mettrait probablement pas en œuvre des politiques identiques à celles du 19e et du début du 20 siècle, qui avaient façonné le concept de défense hémisphérique lorsque les États-Unis imposaient leur hégémonie régionale sur l’Amérique latine. Au contraire, une nouvelle doctrine Monroe consisterait en des partenariats entre les États-Unis et des nations de la région partageant les mêmes objectifs, tels que l’atténuation de l’influence de la Russie, de la Chine et de l’Iran, ainsi que la lutte contre la migration irrégulière. Ces objectifs impliqueraient également le rejet de l’agenda du Forum de São Paulo et la promotion des valeurs traditionnelles en matière de vie, de famille, de genre, de religion et de questions culturelles. Cette version […] de la doctrine Monroe devrait comporter trois volets […] Les États-Unis chercheront à renforcer immédiatement leurs relations bilatérales avec les gouvernements de l’hémisphère partageant des agendas similaires, comme l’Argentine et le Paraguay. En retour, ces partenaires régionaux devraient s’attendre à des investissements étrangers directs plus importants de la part des États-Unis […] Les politiques américaines envers Cuba, le Venezuela et la Bolivie, en particulier, se durciraient » ; [et les États-Unis feraient preuve d’une] « fermeté bienveillante » envers les régimes régionaux stratégiquement importants, mais dirigés par des leaders ne partageant pas l’agenda conservateur de M. Trump. Cela inclurait le Brésil, la Colombie, le Guatemala et le Mexique » [13].

Au vrai, il n’y a là rien de très nouveau par rapport aux politiques menées par Trump durant son premier mandat voire. Et même, dans une moindre mesure, par ses prédécesseurs démocrates. Ce à quoi il faut s’attendre dans les prochaines années, c’est principalement à leur intensification, sinon leur radicalisation.

Le retour en force du hardpower étatsunien dans la région pourrait cependant produire l’effet inverse de celui escompté par Washington. Et se traduire, à plus long terme, par un déclin, potentiellement irréversible, de l’influence des États-Unis dans la région.

Une aubaine pour la Chine… Et l’Amérique Latine.

Pour commencer, il faut rappeler une évidence : le caractère incontournable de la Chine pour l’Amérique latine. D’abord, en tant que premier partenaire commercial du continent et principal investisseur et maître d’œuvre en matière d’infrastructures. Ensuite, comme fournisseur essentiel de capitaux, de prêts, d’aides et de technologies. Les économies chinoise et latino-américaines sont de fait aujourd’hui tellement interdépendantes qu’il est illusoire de croire que ces pays seraient disposés à sacrifier leurs relations avec Pékin pour se conformer aux exigences des États-Unis. Réalisme économique oblige, même les voix les plus proches de Washington et critiques envers Pékin y ont renoncé. Après une posture initialement hostile, l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro et l’Argentin Javier Milei ont ainsi rapidement revu leur position et adopté une approche plus conciliante.

Contrairement à Washington, la Chine, par ailleurs, ne conditionne pas son soutien, prône une coopération fondée sur l’égalité et respecte la souveraineté des États, ce qui en fait également un partenaire fiable et prévisible aux yeux des dirigeants latino-américains, à l’opposé des politiques fluctuantes des États-Unis, sous Trump en particulier.

Dans ces conditions, la stratégie de confrontation et de pression maximale adoptée par Trump permettra certes à son administration d’engranger quelques succès médiatiques, comme en témoignent l’épisode colombien, la décision du gouvernement panaméen de ne pas renouveler son accord avec la Chine, ou encore les concessions obtenues de force auprès du Mexique et du Canada après des menaces tarifaires. Cette approche pourrait cependant rapidement s’essouffler, devenir contre-productive et, à terme, se retourner contre les États-Unis en renforçant la position de la Chine dans la région.

Expérimentée sous le premier mandat de Trump, cette politique agressive avait d’ailleurs déjà montré toutes ses limites. « Avec le recul, la stratégie de Trump en Amérique latine a échoué à atteindre ses objectifs », note ainsi Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getúlio Vargas. Malgré des sanctions paralysantes et une rhétorique menaçante, les régimes du Nicaragua, du Venezuela et de Cuba – que Bolton avait qualifiés de « Troïka de la tyrannie » – sont restés au pouvoir. Les efforts de Trump pour convaincre les gouvernements latino-américains d’interdire Huawei ou de réduire leurs liens avec la Chine n’ont également donné aucun résultat concret. Même sous l’administration Bolsonaro, le commerce du Brésil avec la Chine n’a cessé de croître […] Washington a ignoré les réalités politiques en Amérique latine […] L’approche musclée de Trump envers la région a largement servi les intérêts de Pékin ; les gouvernements latino-américains ont renforcé leurs liens avec la Chine pour contrebalancer [ses] gesticulations » [14] (Foreign Policy, 17 octobre 2024).

Pékin sait qu’il pourra tirer les dividendes de l’agressivité croissante de Trump à l’égard de l’Amérique latine. Plus l’approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine.

Encore plus radicales cette fois, les mesures prises par cette seconde administration – verrouillage de la frontière, chantage tarifaire, déportation en masse de millions de migrant·es et suppression des aides extérieures (levier traditionnel du soft power américain dans la région) – ne feront qu’accroître le ressentiment en Amérique latine et accélérer le basculement vers la Chine, avec à la clé un recul inévitable de l’influence de Washington dans la région. Que l’ambassadeur chinois publie un communiqué rappelant les liens indéfectibles entre la Colombie et la Chine peu après les menaces de Trump contre le gouvernement Petro n’est certainement pas une coïncidence. C’est un appel du pied, qui dit combien la relation avec le partenaire chinois est plus respectueuse et avantageuse. Pékin sait qu’il pourra tirer les dividendes de l’agressivité croissante de Trump à l’égard de l’Amérique latine. Plus l’approche de Trump sera agressive vis-à-vis du continent, plus les gouvernements latino-américains se rapprocheront de la Chine [15].

Mais cette logique trumpienne de la confrontation pourrait également avoir un autre effet inattendu et redouté par les États-Unis : au lieu de fragmenter le continent, elle pourrait contribuer à le souder et à accélérer son intégration. « Trump va obtenir quelque chose qu’il ne cherchait sûrement pas : la cohésion de tous les pays qu’il veut fragmenter et dont il a besoin d’une manière ou d’une autre » estime ainsi l’ex-président colombien Ernesto Samper [16]. Face aux turbulences internationales à venir, les États latino-américains ont désormais tout intérêt à saisir cette opportunité pour consolider leurs liens et approfondir leur intégration. C’est là la seule voie qui leur permettra, à terme, d’équilibrer un rapport de forces imposé et défavorable, de garantir leur autonomie et de défendre leurs intérêts dans la compétition inter-impérialiste qui se joue déjà sur leur territoire.

Laurent Delcourt
https://www.cetri.be/Etats-Unis-Amerique-latine-retour

Notes

[1] RFI, 26 janvier 2025.
[2] La diplomatie du « gros bâton » désignait à l’origine la politique étrangère interventionniste menée par le président Théodore Roosevelt au début du 20e siècle au nom de la stabilité géopolitique et de la sauvegarde des intérêts étatsuniens dans la région.
[3] T. FAZI « Trump’s return to the Monroe Doctrine. His sabre-rattling betrays a new foreign strategy », UnHerd, 25 janvier 2025 ; O. STUENKEL , « Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024 ; J.G. TOKALIAN, « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre 2024.
[4] Brands H. (2024), « An America First World. What Trump’s Return Might Mean for Global Order », Foreign Affairs, 27 mai.
[5] J.G. TOKALIAN, op.cit ;
[6] J.G. TOKALIAN, op.cit ; O. STUENKEL, op. Cit. 2024.
[7] V. ORTIZ et V. ARPOULET « L’Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier 2025.
[8] L’actuelle administration Trump serait divisée quant à l’attitude à adopter par rapport au Venezuela entre, d’une côté, les partisans de la manière forte, incarnée par le secrétaire d’État Marco Rubio et la frange conservatrice plus traditionnelle du Parti républicain et de l’autre côté, plusieurs figures radicales du mouvement MAGA, lesquelles envisagent plutôt la possibilité d’un grand accord avec Maduro pour préserver – sinon faire fructifier – les intérêts étatsuniens dans la région, quitte à abandonner les anciennes exigences en termes de libéralisation et de démocratisation. Cette divergence de vues ne se limiterait pas au Venezuela. Elle illustrerait la bataille qui se jouera au sein du gouvernement pour la définition de la politique extérieure des États-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine : O. STUENKEL, « Trump Can’t Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier 2025.
[9] Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s’ils sapent la domination du dollar », 30 novembre ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l’Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024 ; K. PARTHENAY, « Trump 2.0 : l’Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre 2024.
[10] M. WATSON, « Rubio and the Return of the Monroe Doctrine », Washington Free Beacon, 16 novembre 2024.
[11] Ortiz et Arpoulet, 2025, op.cit.
[12] B. MEYERFELD, « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
[13] J.J. CARAFANO, « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet 2024.
[14] O. STUENKEL,« Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024.
[15] O. STUENKEL, « Opinião : Batalha entre conservadores e trumpistas definirá a estrategía em relação a Venezuela », Estadão, 26 janvier 2025.
[16] F. ZEMMOUCHE ,« « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l’ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, 1er février 2025.

Bibliographie

Brands H. (2024), « An America First World. What Trump’s Return Might Mean for Global Order », Foreign Affairs, 27 mai.
Carafano J. J. (2024), « A New Monroe Doctrine for the Western Hemisphere ? », Global Insight Report, 8 juillet.
Fazi Th. (2025), « Trump’s return to the Monroe Doctrine. His sabre-rattling betrays a new foreign strategy », UnHerd, 25 janvier.
Le Soir (2024), « Trump menace les BRICS de droits de douane à 100 % s’ils sapent la domination du dollar », 30 novembre.
Meyerfeld B. (2024), « Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk », Le Monde, 31 août 2024.
Ortiz V. et Arpoulet V. (2025), « L’Amérique latine face au néolibéralisme souverainiste de Trump. Entretien avec Álvaro García Linera », LVSL, 21 janvier.
Parthenay K. (2024), « Trump 2.0 : l’Amérique latine face au retour du disruptor in chief », in The Conversation, 13 novembre.
RFI (2025), « Trump sanctionne la Colombie pour avoir refusé des vols militaires d’immigrés expulsés , Petro réplique », 26 janvier.
O. STUENKEL,« Trump Has his Own Monroe Doctrine, Foreign Policy », Foreign Policy, 17 octobre 2024.
Stuenkel O. (2025a), « Opinião : Batalha entre conservadores e trumpistas definirá a estrategía em relação a Venezuela », Estadão, 26 janvier.
Stuenkel O. (2025b), « Trump Can’t Bully Latin America Without Consequences », Foreign Policy, 28 janvier.
Tokalian J. G. (2024), « Donald Trump and the Return of the Monroe Doctrine », in Americas Quarterly, 4 septembre.
Watson M. (2024), « Rubio and the Return of the Monroe Doctrine », Washington Free Beacon, 16 novembre.
Zemmouche F. (2025), « « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump. » Une conversation avec l’ancien président colombien Ernesto Samper », Le Grand Continent, premier février.

Laurent Delcourt

Auteur pour Basta Mag (France).

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