Édition du 27 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

222 ans après : un drapeau à 400 millions pour couvrir l’échec d’un État

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l’unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l’heure où le Pouvoir exécutif prévoit de débourser environ 400 millions de gourdes pour les festivités du 18 mai 2025, ce message résonne comme une gifle donnée au visage d’un peuple affamé, traqué, trahi.

Par Smith PRINVIL

À Cap-Haïtien, ville-héroïne de notre histoire révolutionnaire, se prépare un événement de prestige : décorations, vols charters pour les officiels, sécurité renforcée, spectacles culturels — tout, sauf la sincérité. Le paradoxe saute aux yeux : pendant que les autorités fuient la Plaine du Cul-de-Sac devenue zone rouge, elles s’envolent pour célébrer le drapeau dans une ville à l’abri, comme pour maquiller l’effondrement de la République par un folklore national.

Mais quelle nation célèbre-t-on à 400 millions de gourdes quand des enfants meurent de faim à La Saline, quand les hôpitaux publics ferment faute de moyens, quand des enseignants attendent des mois de salaires impayés, quand des milliers de familles vivent dans des camps sous des tentes depuis des années ? Quel peuple honore-t-on quand on ignore les cris des déplacés internes, fuyant les gangs armés qui ont annexé des communes entières avec la complicité tacite de l’État ?
Les critiques fusent et elles sont légitimes. Car il ne s’agit pas ici d’un acte patriotique, mais d’une manœuvre de diversion, voire de détournement de fonds publics. Un gouvernement sans légitimité, incapable de garantir la sécurité ou de redresser l’économie, choisit de noyer le désespoir national dans des paillettes commémoratives. C’est une stratégie vieille comme le monde : quand on ne peut gouverner, on parade.

Ce 18 mai, les uniformes seront repassés, les discours seront écrits à la hâte, les caméras seront braquées sur les estrades. Mais ce qu’on ne verra pas, c’est la blessure profonde du peuple haïtien, trahi une fois de plus par ceux qui parlent en son nom. Car derrière chaque gourde dépensée, il y a un choix. Et ce gouvernement a choisi le spectacle plutôt que la justice, l’image plutôt que l’action, l’oubli plutôt que la mémoire.

Haïti ne se libérera pas à coups de fanfares, ni de slogans vides. Le drapeau n’est pas un décor, c’est un symbole de lutte, né dans le sang des esclaves insurgés, levé par Dessalines et Catherine Flon comme promesse de liberté et de dignité. Ce drapeau ne saurait être réduit à un alibi budgétaire pour un pouvoir discrédité.

Le véritable hommage au bicolore, c’est le respect de la vie humaine, la reddition de comptes, la justice sociale. C’est de permettre aux enfants d’apprendre sans peur, aux agriculteurs de cultiver sans être rançonnés, aux citoyens de marcher dans les rues sans tomber sous les balles.

Le peuple haïtien ne demande pas une fête, il demande un futur.

Et ce futur ne viendra pas des podiums officiels, mais du réveil de la conscience collective.

Smith PRINVIL

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