Édition du 16 avril 2024

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Syndicalisme

FTQ-Départ de Michel Arsenault

Michel Arsenault a annoncé en conférence de presse hier qu’il ne renouvellerait pas son mandat lors du prochain congrès. C’est une sage décision, il ne pouvait plus représenter la FTQ. On se rappellera bien peu de lui en termes d’action syndicale. Questionné par les journalistes, il affirmait lui-même que sa principale fierté est le Fonds de solidarité. Mais même à ce chapitre, sa contribution n’aura certainement pas aidé à valoriser l’image du bras financier de la FTQ, comme on l’appelle communément.

Le passage de Michel Arsenault sur le bateau de Tony Accurso révélé par les médias en 2009 avait mis en lumière des pratiques contraires à l’éthique syndicale. Les entreprises de M. Accurso bénéficiant depuis des années du Fonds de solidarité de la FTQ.
Non seulement le président de la FTQ s’était placé en situation de conflit d’intérêt mais il permettait de tracer un trait d’égalité avec d’autres pratiques douteuses. Sur ce même bateau avait séjourné également Frank Zampino, l’ex président du comité exécutif de Montréal, quelques semaines après la qualification des soumissionnaires pour un contrat de plus de 300 millions de dollars de la Ville pour son projet d’implantation de compteurs d’eau, et avant le dépôt des propositions officielles.

Quatre ans après ces faits, le discrédit qui entourait le président de la centrale non seulement persiste mais s’est étendu à la FTQ et au Fonds de solidarité. Aux yeux de la population, c’est même le mouvement syndical en tant que tel qui est entaché. Il faut se poser la question, comment se fait-il que Michel Arsenault n’ait pu redresser la barre ?

Au premier chef viennent les attaques contre la FTQ construction lors de la grève et la question du placement syndical, qui sont survenues durant le présent mandat de Michel Arsenault. Les médias s’en sont pris aux syndicats de la construction dont l’image avait été entachée par les révélations à l’endroit de Jocelyn Dupuis de même que celles concernant le placement syndical sur la Côte nord. La FTQ construction est restée collée avec l’image de corruption et de gros bras. Malheureusement Michel Arsenault ne pouvait être l’homme de la situation pour défendre ses syndicats affiliés, précisément parce qu’il n’avait pas la crédibilité nécessaire pour le faire. La ministre du travail Lise Thériault s’était d’ailleurs payée du bon temps à casser du sucre sur le dos de la FTQ construction en commission parlementaire. Il n’a pu défendre efficacement non plus la question du placement syndical, pourtant un droit acquis de longue lutte. Ce ne sont pas les arguments qui faisaient défaut, c’est la crédibilité.

Son refus d’accepter la commission d’enquête sur l’industrie de la construction pendant trop longtemps l’a également placé dans une situation inconfortable, il était le seul avec Jean Charest qui résistait. Mais le fait qu’il n’ait pas assuré de leadership syndical contre l’offensive anti ouvrière actuelle reste déterminante. Cela aurait été la seule façon de faire oublier le reste. Et tant qu’à être détesté par certains médias autant l’être pour les bonnes raisons. À l’instar des dirigeants des carrés rouges qui ont été fustigés par le gouvernement et plusieurs médias, au moins il aurait eu l’honneur de défendre une bonne cause et de faire avancer la lutte.

Au contraire il s’est conforté dans la concertation, jouant même les argentiers avec Péladeau lors de la tentative d’investissement du FSTQ dans le Club de hockey Le Canadien, au moment où les employés du Journal de Montréal subissaient un des plus long lock-out de l’histoire du Québec.

Mais Michel Arsenault n’est pas le seul, il y a un problème profond de concertation sociale dans l’ensemble du mouvement syndical. Lors du Front commun de 2010 les syndicats avaient une occasion en or de lier la bataille pour les revendications syndicales à celle de la préservation des services publics en se liant aux mouvements sociaux et à la coalition contre la tarification et la privation qui s’opposait au Budget Bachand. L’ensemble des dirigeants des centrales sont passés à côté, même après une manifestation de 75 000 personnes. À force de ne pas livrer bataille particulièrement au moment où on a un rapport de force, on finit par reculer et laisser la droite prendre tout le terrain.

C’est ce qui se passe malheureusement au Québec en ce moment, sans parler du reste du Canada. Régis Labeaume, réélu maire de Québec sur un programme anti-syndical se permet d’accuser les cols bleus de Québec de vouloir « financer » la FTQ avec les cotisations syndicales lorsqu’ils luttent contre la sous-traitance. La droite politique est à l’offensive, elle revendique depuis des années le retrait de la formule Rand et s’en prend aux régimes de retraite pendant que les gouvernements coupent dans les protections sociales comme l’assurance-emploi et l’aide sociale, les services de santé, nie le droit de grève dans le secteur public et que le secteur privé multiplie les menaces de fermetures et les lock-outs pour mettre les travailleurs et travailleuses à genoux, on se croirait revenus dans le Far Ouest.

Michel Arsenault aurait dû être celui qui dénonce les responsables, ceux qui s’emplissent les poches et qui ne voient de solutions que dans la baisse des conditions de travail et des salaires. Il aurait dû dénoncer les partis politiques qui ont rempli leur caisse électorale au moyen du financement sectoriel, les politiciens qui sont de collusion pour l’octroi de contrats aux entreprises, organiser la riposte, indiquer que nous n’avons pas les mêmes intérêts que les grands financiers.

Dans ce contexte, les prochains dirigeants de la FTQ auront fort à faire pour réparer les pots cassés. S’il y a beaucoup de pratiques à corriger, il est aussi essentiel de corriger le tir. Le mouvement syndical doit faire partie d’un mouvement rassembleur qui donne une réponse organisée à l’offensive anti ouvrière actuelle.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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