Édition du 10 décembre 2024

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Mouvement des femmes

France - L’extrême droite et les femmes

Si l’extrême droite se caractérise notamment par son nationalisme exacerbé et sa défense d’un «  intérêt  » et d’une «  identité nationale  », elle est aussi marquée par une vision conservatrice de la société prônant des rôles traditionnels aux femmes et aux hommes, rôles qu’elle va considérer comme naturels (1). Historiquement opposée aux avancées des droits des femmes, comment l’extrême droite a-t-elle fini par s’adresser spécifiquement à elles  ?

Revue L’Anticapitaliste n° 158 (juillet 2024)

Par Aurélie-Anne Thos

Crédit Photo
Paris, 23 juin 2024, manifestation féministe contre l’extrême droite. © Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas.

De manière générale, les différents groupes d’extrême droite défendent chacun une « idéologie de genre » rigide selon laquelle les femmes doivent prendre en charge le soin à la famille et aux enfants en raison de leur capacité reproductrice tandis que les hommes sont associés au monde extérieur du travail et de la politique, sont chargés de gérer leur foyer «  en bons pères de famille  ». Cela s’accompagne de la vision fantasmée d’un passé regretté qui serait en train de définitivement disparaître, où les hommes seraient seuls pourvoyeurs de ressources pour la famille et où les femmes seraient des bonnes épouses dociles. Pour l’extrême droite, cette famille hétéronormée tendrait à disparaître, ce qui mettrait en danger la société tout entière.

Une pensée dominée par la peur

En particulier la pensée d’extrême droite est déterminée par la peur  : peur de l’effondrement de la société et de la chute de la civilisation, peur du métissage et du «  grand remplacement  ». Il faut noter que si l’extrême droite ne parle plus ouvertement de race, elle déroule le même argumentaire xénophobe habituel concernant les étranger·es, les immigré·es, les musulman·nes au nom de différences culturelles et/ou religieuses, développant l’idée d’un «  ennemi intérieur  » qui viendrait ronger l’ordre établi. Mais cette idéologie repose aussi sur la peur de l’indifférenciation des sexes, de la destruction du masculin et de l’hétérosexualité. Éric Zemmour incarnera parfaitement cette pensée lorsqu’il parle par exemple de «  crise de la masculinité  » et en revendique un retour aux anciens rôles de genre (2) ; tandis qu’en Allemagne, le parti d’extrême droite AFD luttera pour une «  masculinité renforcée   » (3).

Pour l’idéologie d’extrême droite, la famille joue un rôle privilégié. Elle est considérée à la fois comme la cellule de base de la société et à la fois comme le cadre dans lequel vont se transmettre les valeurs et l’identité nationale, d’où le mot d’ordre historique  : «  Travail, Famille, Patrie  ». Or les femmes occupent un rôle central dans la famille  : elles assurent la reproduction générationnelle et elles prennent en charge l’éducation des enfants. Dans ce contexte, les femmes représentent un moyen de répondre aux dangers créés et perçus par l’extrême droite  : face au grand remplacement, il faut que les femmes (blanches et françaises) fassent des enfants  ; face au risque de destruction de la famille, il faut que les femmes soient en couple (hétérosexuel) etc.

Les femmes comme instrument pour déployer l’idéologie

Cela signifie au fond que l’extrême droite a besoin de l’adhésion des femmes à son projet politique patriotique et réactionnaire. Or, de ce point de vue, l’extrême droite a longtemps été confrontée à un problème  : les femmes s’engageaient moins auprès des groupes d’extrême droite et votaient moins pour leurs formations politiques. On parle alors de Radical Right Gender Gap. Ce fossé (gap) a longtemps existé : il trouvait probablement sa source dans la réticence des femmes à s’engager pour des idées extrêmes, par ailleurs souvent représentées par des hommes politiques particulièrement virulents et traditionnellement opposés à l’avancée des droits des femmes. On retrouvera d’ailleurs l’existence de ce même écart d’engagement entre les hommes et les femmes parmi le public d’Éric Zemmour, ce qui a poussé ce dernier à s’engager dans la campagne #LesFemmesAvecZemmour afin de gonfler son électorat. Pour les groupes d’extrême droite, ce Radical Right Gender Gap constitue deux difficultés majeures  : d’abord, le projet porté par l’extrême droite repose en grande partie sur l’adhésion y compris idéologique de ces dernières, ensuite, sans le vote des femmes se pose la question de leur accession au pouvoir. Ainsi, en 2002, si seules des femmes avaient pu voter, Jean-Marie Le Pen ne serait pas parvenu au second tour de l’élection présidentielle. Gagner les voix des femmes est donc primordial.

Fémonationalisme et masculinisme

Pour répondre à ces difficultés, l’extrême droite a développé une rhétorique fémonationaliste (qui va parfois se décliner en homonationalisme, sous certaines conditions) qui vient instrumentaliser les droits des femmes dans l’objectif de défendre son projet raciste, xénophobe et islamophobe. Cette rhétorique se développe selon trois angles principaux  : le choc civilisationnel, l’instrumentalisation des violences faites aux femmes et la proposition d’une forme protectrice du patriarcat.

Pour l’extrême droite, il s’agit d’abord de s’approprier les précédentes victoires obtenues par le mouvement féministe en France et en Europe, afin d’asseoir l’idée de la supériorité civilisationelle de l’Occident sur les cultures arabes, musulmanes ou africaines. Cela leur permet alors, tout en développant un discours raciste qui dénonce les autres cultures comme arriérées, et de défendre des lois antivoile en France au prétexte de «  libérer   » les femmes musulmanes. Marine Le Pen déclarait par exemple en 2015 : «  Si nous perdons, le voile sera imposé à toutes les femmes, la charia remplacera notre Constitution, la barbarie s’installera   ». On retrouve peu ou prou la même dynamique au sujet des violences sexistes et sexuelles : l’extrême droite s’est approprié les discours de lutte contre les violences faites aux femmes mais uniquement dans le but de servir sa propagande raciste. Ainsi, alors que l’écrasante majorité des violences sont commises par des hommes proches, connus de la victime, l’extrême droite choisit de se concentrer uniquement sur les agressions commises dans l’espace public, par des hommes racisés. Et ce discours va largement se diffuser  : en avril 2024, Europe 1 titrait ainsi un article «  Les étrangers à l’origine de 77 % des viols élucidés dans les rues de Paris en 2023 » (4) en parlant seulement des 28 viols élucidés à Paris et en oubliant les 93 970 autres ayant lieu en moyenne chaque année. Enfin, apparaît de plus en plus dans leur discours l’idée que le patriarcat serait un cadre de vie protecteur pour les femmes  : le mariage et la famille leur offriraient un cadre de sécurité (financière et physique) et permettraient l’épanouissement. Cette tendance explose avec le mouvement Tradwife (contraction de Traditional Wife « épouse traditionnelle ») aux États-Unis qui a pris des proportions considérables durant le Covid où près de 860 000 femmes ont perdu leur emploi (contre 200 000 hommes) en popularisant l’image de la femme au foyer tout entière consacrée au bien-être de son mari et de ses enfants. En France, des influenceuses TradWife vont aussi faire leur apparition et se développer sur les réseaux sociaux : ainsi, l’influenceuse Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole de Génération identitaire, explique «  Une femme vous aime pour le statut que vous lui apportez, le style de vie que vous lui offrez, le divertissement que vous lui procurez  ».

Le déni de la réalité

Il faut bien noter que pour l’extrême droite il ne s’agit donc jamais de «  coller au réel  »  : peu importe donc que la majorité des violences faites aux femmes se déroule dans leur propre foyer. Peu importe que les violences faites aux femmes trouvent leur source dans la domination patriarcale. Peu importe aussi les vraies disparités en matière de droits des femmes dans les pays d’Europe. Tout ce qui compte, au final, c’est le discours de peur déployé pour gagner  : l’instrumentalisation de faits divers, la déformation de la vérité, le mensonge, l’aveuglement, ne sont que des tactiques consciemment utilisées pour prendre le pouvoir.

En miroir, l’extrême droite a aussi un projet pour les hommes et tend donc à s’adresser à eux au travers de discours masculinistes. L’idée étant d’abord de prétendre que le féminisme a mis les femmes en position de force et qu’aujourd’hui les hommes se retrouvent affaiblis, voire opprimés par les avancées de ces dernières années. À travers la rhétorique incel (célibataire involontaire), des pans entiers de l’extrême droite vont faire le lien entre le sexisme et le racisme. Si les femmes ne veulent pas avoir de rapport avec eux, c’est à la fois parce que le féminisme les a détournées des hommes mais aussi parce qu’elles choisissent les hommes noirs ou arabes5 plutôt que les hommes blancs. L’antiféminisme est ainsi lié à l’idéologie raciste et extrémiste. Ces mouvances vont jusqu’au passage à l’acte terroriste  : à Montréal et aux États-Unis, l’extrême droite masculiniste tue.

Les femmes de plus en plus attirées vers l’extrême droite

En parallèle de ces discours politiques, les partis et les groupes d’extrême droite bénéficient des avancées féministes pour les femmes dans la société. Ainsi, Marine Le Pen déclarait par exemple, au sujet des lois sur la parité en politique  : «  J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde  ». Au fur et à mesure, de nouvelles figures féminines de la droite et de l’extrême droite émergent  : Marine Le Pen, Marion Maréchal Le Pen, Doria Moutot, Thaïs d’Escufon etc. Ces femmes ont alors deux rôles  : d’abord de propager la parole du Rassemblement national ou de l’extrême droite en général, ensuite de féminiser leur organisation et d’attirer vers elle d’autres femmes. Cette arrivée des femmes va accompagner et renforcer le processus de dédiabolisation de l’extrême droite et du RN en cours depuis plusieurs années.

Et cette technique finit malheureusement par porter ses fruits  : les femmes se tournent de plus en plus vers l’extrême droite. Selon Christèle Marchand-Lagier  : «  Il y avait sept points d’écart entre les femmes et les hommes lors de l’élection présidentielle de 1988 et de 1995, six points d’écart en 2002, et trois en 2007. En 2012, il reste vraisemblablement un point d’écart   » (6). Ainsi, le RN aurait gagné dix points dans l’électorat féminin entre 2019 et 2024, passant de 19 % à 30 % (7). Selon elle, c’est auprès des femmes les plus dépendantes que le vote RN progresse le plus  : moins diplômées, dans des emplois plus précaires ou sans emploi, mariées plus jeunes, avec de faibles ressources. Elle écrit  : «  C’est donc bien le rapport au monde politique mais également social et professionnel des classes populaires qu’il faut interroger pour comprendre le repli sur l’abstention ou le vote FN de ces femmes  ». Pour ces femmes, l’extrême droite a donc réussi à s’imposer comme une option enviable.

Pourtant l’extrême droite représente une imposture et un piège total pour les femmes  : attaques contre le droit à l’avortement comme en Italie, en Pologne ou aux États-Unis, attaques contre le droit à porter le voile et stigmatisation des femmes musulmanes, attaques générales contre les salaires, les aides sociales, qui porteront préjudice d’abord aux femmes. Tout le programme développé par l’extrême droite vise uniquement à maintenir les femmes dans leur foyer et à leur faire perdre leur autonomie.

Un espoir se porte toutefois sur la nouvelle génération de jeunes femmes qui se politisent en grande partie sur les réseaux sociaux et qui bénéficie d’un renouveau des luttes féministes et antiracistes : au sein de cette jeune génération, le Radical Right Gender Gap est en train de réapparaitre (8).

Notes

1. Juliette Léonard, « Féminisation de l’extrême droite. La comprendre pour mieux la combattre  ? », Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE asbl), décembre 2022.
2. Noémie Lair, « Nous avons exhumé 25 ans de sorties sexistes d’Éric Zemmour », France Inter, 4 novembre 2021.
3. « Antiféminisme », Kreatur. Le Magazine féministe d’Arte, épisode 13, disponible jusqu’au 2 mars 2051.
4. Jean-Baptiste Marty, « Les étrangers à l’origine de 77 % des viols commis dans les rues de Paris en 2023 », Info Europe 1, 18 avril 2024.
5. Pierre Gault, “MASCUS : Infiltration chez les hommes qui détestent les femmes”, france.tv slash / enquêtes, everprod, 2024. Documentaire complet disponible sur Youtube.
6. Christèle Marchand-Lagier, « Le vote des femmes pour Marine Le Pen. Entre effet générationnel et précarité socioprofessionnelle », dans Travail, genre et sociétés, n° 40, 2018/2, p. 85-106.
7. Agence France Presse, « En France, la fin du “fossé de genre” vis-à-vis du vote d’extrême droite », 14 juin 2024. Dépêche AFP disponible sur Mediapart.
8. « A new global gender divide is emerging », The Financial Times.

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