Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

Entrevue avec le président de la CSN, Louis Roy (2e partie)

« Il n’y a pas eu assez d’efforts pour expliquer le capitalisme au monde »

Le nouveau président de la CSN, Louis Roy nous a accordé une longue entrevue récemment. Nous abordons, dans cette deuxième partie les enjeux sociaux et politiques.

À propos de la lutte contre la tarification et la privatisation des services publics

« Une chose qui me préoccupe, c’est qu’on semble divisés. Entre la Coalition (contre la tarification et la privatisation des services publics ) et l’Alliance (sociale), la différence fondamentale pour moi, c’est que dans l’Alliance sociale les organisations membres prônent un développement. Un développement économique, un développement social, équitable, durable, etc. Dans la Coalition, on s’est limité à la lutte contre la tarification et la privatisation des services publics. L’Alliance partage ces objectifs. Ce dont je rêve, c’est d’une coalition plus large. L’Alliance s’est créée autour des questions de budgets. Les budgets étant annuels, n’eut été de la manifestation étudiante, l’Alliance ne serait ressortie dans l’actualité qu’en février prochain. Et ça, ce n’est pas très “winner”. »

« Nous sommes dans un dilemme dans nos rapports avec la Coalition. Par exemple, dans notre cas, la CSN est membre de l’Alliance et les organisations de la CSN (conseils centraux, fédérations) sont membres de la Coalition. C’est la façon que nous avons adoptée pour fonctionner. Nos structures nous permettent de faire ça. Mais les autres organisations syndicales, sauf peut-être la FTQ ne peuvent fonctionner comme ça alors que nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Je pense que ça créé une division visuelle qui n’est pas une division idéologique et ça n’aide pas à porter plus fortement nos revendications. »

Sur le rapports entre développement économique et décroissance

« Alors, il y a un accrochage théorique là. Il faudrait clarifier ça entre nous. C’est un de nos défauts, nous de la gauche et les progressistes. Pour nous trouver des points de divisions, on est bons. Alors que la droite a tellement une vision claire de ses intérêts qu’elle peut escamoter ses divisions internes facilement. Mais il faut respecter les différences, le pluralisme idéologique. Ça fait en sorte qu’on a moins l’air unis. Nous à l’Alliance on a vu avec la manifestation des étudiantEs où il y avait 80-90% de jeunes mais les organisations de l’Alliance étaient présentes. Nous avons collaboré avec les organisations étudiantes. La Coalition était présente aussi. S’il y avait une jonction, ça ne ferait pas pleurer qu’une des deux entités disparaisse. Je suis conscient qu’il faut protéger certaines susceptibilités mais puisque j’étais absent des discussions, je peux difficilement comprendre ces divisions.

Lorsque nous avons construit le Front commun des employéEs du secteur public pour les dernières négociations, je pensais que c’était la meilleure idée de réunir toutes les organisations. Seule la Fédération autonome des enseignantEs (FAE) n’a pas joint le Front commun parce qu’elle refusait de signer le protocole de fonctionnement. Nous pensons que les fronts doivent être les plus unis possibles, surtout dans le contexte où on se fait attaquer sur la planète au complet. Et ne pas provoquer de divisions inutiles entre nous. »

Sur la concentration de la presse et le droit à l’information

« Je ne crois que le gouvernement Charest est prêt pour ça. Dans ce secteur, on a divisé la poire en deux. Le fédéral intervient dans certains dossiers, le Québec dans d’autres. Et il faudrait mettre au pas des empires comme Québecor ou Gesca. Ça prend des orientations politiques autres que celles des deux gouvernements actuellement au pouvoir. À Ottawa, nous avons le gouvernement le plus à droite depuis celui de la première grande guerre mondiale. On ne l’aura pas facile. Au Québec, c’est le gouvernement le plus proche de ces entreprises là. On parle au gouvernement de ces dossiers et on a l’impression qu’ils pensent à autre chose. Les gouvernements se disent impuissants face à ces géants. Et ce sont des monstres que nous avons créé. La convergence des médias n’a aucun sens. »

Sur la Caisse de dépôts et de placement du Québec

« La CSN siège au conseil d’administration de la Caisse. Ça ne se passe pas comme ça. Les propositions de placements n’arrivent pas au CA et ne sont pas discutées par les administrateurs. Les administrateurs discutent d’orientations générales, ce n’est pas un conseil de gestion. Quand la crise des TCAA s’est produite, la présidente de la CSN, madame Carbonneau a appris par les journaux l’ampleur des pertes de la Caisse. Nous croyons dans la Caisse de dépôt et de placements du Québec mais dans les années 80, on a fonctionnarisé la Caisse pour séparer les fonctions de l’État de la gestion de la Caisse.

On a remplacé l’État par des technocrates et ça donne des situations comme en Grèce. Et c’est aussi l’approche de (François) Legault. On va mettre des comptables comme premier ministre. C’est en plein ce que veut le capitalisme. On ne veut plus de politiciens, on veut des comptables. Combien de fois madame Jérome-Forget a t-elle dit “Moi je fais des partenariats publics-privés parce que les politiciens quand ils se mêlent de ces affaires-là, ils font de la merde. Alors on est mieux de donner ça directement au privé. Comme ça, tout ira bien”.

On voit où ça nous mène. En Angleterre par exemple, le gouvernement coupe partout, sauf dans les PPP puisqu’il est lié par contrat pour 35 ans. Alors dans le même comté, un hôpital public voit son budget amputé de 20% alors que l’autre hôpital construit et géré en PPP ne subit pas les coupures car il est protégé par contrat. Il y 10 ans, je lisais un rapport de l’OCDE et les recommandations du rapport en question se sont matérialisées 2 ans plus tard. Je me suis demandé si les rédacteurs du rapport possédaient une boule de cristal. Mais non, c’est eux la boule de cristal. C’est eux autres qui placent les rails alors le train ne peut aller ailleurs.

Partout où j’interviens, j’aborde ces questions là. Les IndignéES prennent soudainement conscience de ça. Je trouve ça positif car ça fait davantage de monde qui comprennent ces enjeux là. Toutefois, au niveau de l’action, ils en sont aux premiers balbutiements. Mais ce que les IndignéEs disent actuellement, c’est la même chose que nous disons depuis des années. Des gens disent d’eux que ce ne sont que quelques “weirdos” et 3-4 sans abris mais même si ce n’était que ça, et je sais que ce n’est pas ça, mais ce serait déjà positif que des gens se révoltent. Et c’est la raison pour laquelle il faut les protéger, empêcher qu’ils se fassent “bulldozer”. Ce qu’ils sont en train de démontrer, c’est que lorsque la population veut, elle est capable de comprendre le stratagème dans lequel nous sommes embarqués. Elle est capable de réagir de dire Stop on ne veut pas de ça. Il arrive souvent que les populations le font par réflexe.

C’est le rôle des syndicats dans ces situations de faire de l’éducation politique. Parce que nous sommes les mieux placés pour le faire, avec d’autres organisations par exemple certains groupes populaires qui font un meilleur travail que nous dans bien des cas, pour utiliser les situations de crise, pour faire avancer le choses. En 2008, nous avons manqué notre coup. Il n’y a pas eu assez d’efforts pour expliquer le capitalisme au monde. »

Sur la dette publique et son rôle d’épouvantail pour justifier les coupures dans les services publics

« Il y a un matraquage médiatique pour imposer les solutions que tu soulignes. TVA affiche un baromètre de la dette. C’est un débat truqué. Par exemple, les régimes de retraites sont inscrits à la dette, pourtant il s’agit de prévisions. Il n’y a aucun actif dans le budget du gouvernement. Pourtant, l’État possède des hôpitaux, des écoles et la valeur des ces bâtiments n’apparaît pas au calcul.

Les dépenses relatives à la construction des deux gros hôpitaux universitaires à Montréal apparaissent mais la valeur des édifices est absente. Si l’entreprise privée fonctionnait comme ça, elle ferait faillite dès maintenant. Les budget du gouvernement reposent sur des principes comptables, mais ce n’est pas la réalité. C’est la réalité d’une grille d’analyse que des comptables ont mis en place. Il faut démonter ce discours-là. »

Enjeux politiques

La CSN et les prochaines élections

« Non, la CSN s’est interdit ça dans ses règlements au début des années 70. Il y a des gens qui remettent ça en question mais ça doit se faire en congrès alors ça ne peut se faire pour les prochaines élections puisque nous sortons tout juste d’un congrès. Mon camarade Marc Laviolette n’est pas d’accord avec cette orientation. Il veut débattre de cette question. Je pense qu’il faut remettre cette question en débat. Nous sommes dans une période de renouveau du syndicalisme.

Nous sommes constamment en mouvement. Cette question est cyclique dans l’histoire du mouvement ouvrier. Est-ce que les premières Guildes de travailleurs appuyaient des partis politiques ? Ça prends des formes différentes selon les époques. Peut-être en sommes nous rendus à un moment de l’histoire où il faut questionner ça. Personnellement, je m’interroge si un appel de la CSN à appuyer Québec solidaire ferait en sorte que QS aurait davantage de votes. Je suis assez humble sur cette question là.

Les prochaines élections québécoises, ça va être un peu compliqué pour le Québécois ordinaire qui ne suit pas la politique à tous les matins. Le parti de Legault va beaucoup mélanger les cartes. C’est toujours la même question du changement. L’effet “Jack Layton”, c’est la volonté de changement. Dans les rangs de la CSN, ça s’est vécu de façon étrange. Sur le plancher des rencontres pré-congrès, personne n’abordait la question. En marge toutefois, le monde disait “Je pense que je vais voter NPD cette fois” malgré leurs antécédents nationalistes. Moi je n’y croyais pas mais c’est la tendance générale au changement qui guide les décisions.

Alors la prochaine élection provinciale risque d’être un peu comme ça. J’ignore ce que le PQ va faire mais actuellement ils sont en triple salto renversé arrière et nous attendons pour voir s’ils vont retomber sur leurs jambes ou sur leur tête. Les libéraux se sont tassés à “gauche”. Ils ne cherchent plus la chicane avec les syndicats alors qu’ils nous présentent maintenant comme des partenaires privilégiés et essentiels. Ça fait changement avec la lettre que le gouvernement Charest nous a adressé en 2003 alors qu’il prétendait que les syndicats sont un frein au progrès. Alors aujourd’hui, on se fait dire que nous sommes des partenaires essentiels, on se pose des questions.

Pour les prochaines élections, le rôle de la CSN sera d’essayer de démêler les affaires, montrer les partis sous leur vrai jour. »

Sur les convictions socialistes du nouveau président de la CSN

« Pour les gens de la CSN, ce n’est pas une surprise. À l’externe, on m’a dit que quelques réactions du patronat montraient des signes d’inquiétude, qu’ils interprétaient ça comme un durcissement de la CSN. C’est certain qu’au niveau du ton, ça va être différent. Mais Claudette Carbonneau avait son ton à elle et ses orientations. Les positions défendues sont celles de la CSN. Tout est dans la manière de porter ces positions.

J’ai une vison socialiste des choses depuis des années. J’ai passé des tracts pour le NPD à 14-15 ans. Alors ce n’est pas nouveau pour moi. C’était nouveau pour bien du monde mais pas pour moi. Lorsque je regarde le débat qu’a eu le NPD sur “socialiste” ou “social-démocrate”, je m’interroge. Si on observe la scène politique internationale, la social-démocratie pour moi, c’est rendu à droite comme les démocrates-chrétiens. Le terme socialiste a été utilisé à toutes les sauces et ça été galvaudé.

Ce que le socialisme veut vraiment dire, c’est que la priorité, c’est d’avoir des services sociaux, d’avoir une base pour une répartition de la richesse pour tous et un maximum d’égalité des chances. Après on rentre dans les détails organisationnel, : quel type de gouvernement ? Quel type de développement, etc. Je ne suis pas en politique alors je ne m’avance pas à ce niveau. Je pense que les associations de travailleur-euse-s, les centrales syndicales ont le devoir de défendre un point de vue socialiste. Sinon elles n’existent pas. Le syndicalisme libre ne peut s’exercer que dans des sociétés socialistes.

Là où les syndicats participent à des gouvernements de droite, les syndicats ne sont plus libres. Là où les syndicats appuient une dictature, ce sont des syndicats de droite. Et même dans des sociétés dites démocratiques où la droite est au pouvoir les syndicats ne sont pas libres. Regardez le cas du syndicat des postiers avec le gouvernement Harper. Le syndicat des postiers est une organisation militante, alors Harper cherche à les casser. Même chose à Air Canada qui n’est pourtant pas un syndicat aussi militant. Le prochain port de mer qui va aller en grève, ça va être pareil.

Tu ne peux pas faire du syndicalisme libre, développer des idées et répartir la richesse si tu n’es pas dans une société de type socialiste. Nous sommes dans une société dite démocratique. Le gouvernement n’a pas pris le pouvoir par la force. Par contre, ils se maintiennent au pouvoir par le mensonge et parfois par l’intimidation, par les pressions. Par exemple, le gouvernement Harper à Ottawa est en train de tuer tout groupe qui s’oppose à ses politiques. C’est une forme d’intimidation. La force vient tout de suite après. Si on veut développer une société à caractère socialiste, il faut le dire. Il faut dire ce que l’on veut changer. Oui le changement, mais un changement progressiste. Pas le changement dans le sens de Legault.

Nous les centrales nous sommes concentrés sur notre travail de syndicalistes pendant des années et c’est correct. Nous sommes intervenus sur des questions comme l’indépendance du Québec. Mais l’indépendance, si c’est pour appliquer les politique de l’OCDE ou du FMI, c’est moins intéressant. Il y a plein de pays qui sont indépendants et qui sont pris dans la crise jusqu’au cou. On est incapables de régler la question de l’indépendance en premier. »

Louis Roy

Président de la CSN

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