Édition du 16 avril 2024

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Cinéma

Entrevue avec Robert Monderie, réalisateur du film Trou Story

« Il n’y a rien à attendre des politiciens. La seule option, c’est la mobilisation de l’opinion publique »

Presse-toi à gauche a réalisé une entrevue avec le réalisateur du documentaire Trou Story. Robert Monderie nous parle du parcours du projet, des constats qu’il fait sur l’industrie minière et des enjeux qui, à ses yeux, doivent faire l’objet d’un débat citoyen.

PTAG : Comment s’est développé votre intérêt pour le sujet de l’industrie minière au Québec ?

R. Monderie : Je suis né à Rouyn et Richard Desjardins est né à Noranda. Alors pour nous, la réalité des mines est un sujet qui nous a toujours intéressé. Nous avons été particulièrement touché par la question des parcs à résidus miniers et les sites orphelins qui représentent un dommage perpétuel sur notre environnement. Puis le rapport du vérificateur général nous a conforté dans nos convictions, dans ce que nous voulions apporter. Quand il a affirmé que 11 des 14 compagnies minières ne paient rien en redevances au Québec, ça nous a confirmé que cette industrie était le sujet à explorer.

PTAG : Y a t-il des aspects particuliers au travail de réalisateur dans ce type de film ?

R. Monderie : Nous disposions d’images d’archives. Nous avons travaillé longtemps sur les archives disponibles dans une région relativement jeune, l’Abitibi-Témiscamingue, Toute l’histoire de ces villes minières existe sur pellicule. Ces photographie du début du siècle se retrouvent dans des musées de petites villes minières en Ontario et au Québec. Nous avons décidé que ce fonds d’archive était suffisamment riche pour une utilisation dans le documentaire. Par exemple, lorsque Cobalt s’est installé en 1903, la région est devenu l’un des endroit les plus photographié en Amérique du Nord car des centaines de mineurs se sont rués sur l’opportunité de travailler. Nous avons donc constaté la richesse de ces archives qui documentent cetye époque. C’est une des particularités de la documentation de ce film.

PTAG : Le film débute par l’Ontario pour se diriger vers le nord puis le Québec. Cette démarche suit la trame historique du développement des sites miniers, n’est-ce pas ?

R. Monderie : En effet, lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de Rouyn-Noranda, on voit bien que ça passe par Timmins, Cobalt puis Sudbury. Ce sont les mêmes capitaux, les mêmes travailleurs, la même faille géologique, etc.

PTAG : Un événement n’est pas relaté dans le film et constitue pourtant un jalon dans l’histoire des mines et des conflits ouvriers au Québec, c’est la grève des “Fros” en 1934. Pouvez-vous nous rappeller cet événement ?

R. Monderie : “Fros” est l’abréviation pour “foreigners”. Dans notre premier film “Comme des chiens en pacage” (1), nous en avions parlé. Lorsque nous avons su qu’il y avait une grève à Sudbury, nous avons préféré choisir de parler de ce fait d’actualité plutôt que d’évoquer un conflit ancien. De plus, les syndicats présents dans les villes minières ont vu leur capacité de défendre les travailleurs se réduire. Ils ne servent plus à redistribuer la richesse. Au début des années 70, lorsqu’il y avait 18 000 personnes qui travaillaient à l’Inco, il y avait une forme de redistribution de la richesse, ne serait-ce que par les fonds de pension qui demeuraient dans la communauté. Mais aujourd’hui le syndicat des mineurs à Sydbury ne regroupent que 3 000 personnes. Alors les syndicats ne sont plus garants d’une redistribution de la richesse. C’est aux communautés de s’impliquer si elles veulent une part du gateau et pas seulement sous forme de salaires.

PTAG : Comment tu te positionne face aux réactions de l’industrie et du gouvernement suite à la projection de votre documentaire ?

R. Monderie : Ce sont des éteignoirs. Ils n’ont aucun intérêt à ce que cette image circule. Ce sont des experts en relation publique pour monter des campagnes de publicité pour convaincre le monde que tout va bien. Le contrôle des médias dans les villes minières, ce n’est pas une farce, c’est un problème bien réel. Cette industrie est composée de durs à cuire et elle est consciente qu’elle a beaucoup à perdre face à l’opinion publique. Alors elle cherche à éteindre ça.

PTAG : Elles rencontrent surement des difficultés à recruter des acteurs parce que dans la plus récente publicité de l’Alliance minérale québécoise, on n’y voit qu’une roche avec une boule disco.

R. Monderie  : L’industrie passe à côté des vrais enjeux. Les vrais enjeux, ce sont les minerais de fer et de nickel. On ne parle pas de minerais rares où l’expertise québécoise ferait défaut. Nous possédons l’expertise pour développer ces mines. Les gisements visés par le Plan Nord sont tous identifiés, aucune prospection n’est nécessaire. L’extraction de boulettes de fer se fait au Québec depuis des décennies. Il faut plus de transformation au Québec, plus de participation de l’État dans l’exploitation. Il y a un drame qui ne fut pas traité dans le film, c’est le démantèlement des société d’État comme la SOQUEM ou la SOQUIP. Les personnes qui ont démantelé ces entreprises d’État au profit de l’entreprise privée travaillent maintenant pour les compagnies qui ont profité de ce démantèlement. Il y a Jacques B. Gélinas qui a bien décrit ce phénomène.

J’espère que les opposantEs au gaz de schiste réalisent que ce fait historique est un scandale. C’est une trahison terrible, c‘est donner des actifs, c’est un bradage de nos ressources pour moi.

PTAG : Il y a un fort mouvement citoyen actuellement qui remet de telles choses en question, notamment par rapport au gaz de schiste, au pétrole et aux mines avec la Coalition Québec meilleure mine. Qu’en penses-tu ?

R. Monderie : C’est super encourageant. C’est la seule note encourageant dans le débat selon moi. Je suis persuadé qu’il n’y a rien à attendre des politiciens. La seule option, c’est la mobilisation de l’opinion publique. Je suis vraiment impressionné par le travail de Québec meilleure mine. Et j’espère une telle réaction de la part des citoyenNEs qui vivent le long du St-Laurent qui vivent un problème fort différent de ceux vécus en Abitibi-Témiscamingue. Les mines rapportent des revenus aux gens qui y travaillent alors que l’industrie du gaz de schiste et du pétrole n’a aucun lien avec les communautés riveraines. Elles seront probablement en mesure de réagir plus vigoureusement car elles n’ont pas d’intérêt matériel immédiat dans cette industrie.

PTAG : Un des rares points que l’on pourrait reprocher au documentaire, c’est l’absence de perspectives. Puisque nous ne nous opposons pas en principe à l’exploitation des mines, est-ce que vous avez développé une approche sur ce que pourrait être une exploitation correcte des mines au Québec ?

R. Monderie : Pas beaucoup. C’est un documentaire qui veut faire le bilan de 100 d’exploitation minière au Québec. On aimerait que ça donne le goût aux QuébécoisEs d’être plus curieux par rapport au sujet et plus revendicateur dans l’exploitation des ressources. Ce qui nous désole, c’est que l’État québécois ne possède aucune forme de participation dans cette exploitation, que les redevances soient plutôt minimes. Mais nous n’avons pas de pistes de solutions concrètes. Si on regarde Terre-Neuve qui a une participation de 51% dans Hibernia. Le gouvernement n’a pas hésité à agir. Si on parle d’Osisko, en 1986, c’était SOQUEM qui possédait le gisement que veut exploiter Osisko aujourd’hui. Alors au Québec, on a cédé les droits de ces ressources aux entreprises privés. Alors si le film permet de montrer que ces compagnies ne donnent rien. Tout ce que tu peux obtenir d’eux doit être pris de force, doit être exigé sinon c’est zéro.

Notes

1- Comme leurs deux villes natales, qui ont fusionné en 1986, Robert Monderie et Richard Desjardins s’associent en 1977 pour tourner ensemble leur premier documentaire, Comme des chiens en pacage, portrait sans complaisance de la ville de Rouyn, qui fête alors ses cinquante ans.

Robert Monderie

Réalisateur de Trou Story, l’Erreur boréale et autres.

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