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Italie : la gauche est favorite mais pour faire quoi ?

La gauche italienne est à nouveau face au piège de la prise du pouvoir. Donné grand favori il y a encore quelques semaines pour devenir le prochain président du conseil en Italie, Pierluigi Bersani voit les choses se compliquer. Surfant sur la dynamique de primaires ayant attiré aux urnes plus de 3 millions d’électeurs en décembre dernier, le leader du Parti démocrate (centre-gauche) gérait jusqu’alors tranquillement son avance dans les sondages.

18 février 2013 | mediapart.fr

La gauche italienne est à nouveau face au piège de la prise du pouvoir. Donné grand favori il y a encore quelques semaines pour devenir le prochain président du conseil en Italie, Pierluigi Bersani voit les choses se compliquer. Surfant sur la dynamique de primaires ayant attiré aux urnes plus de 3 millions d’électeurs en décembre dernier, le leader du Parti démocrate (centre-gauche) gérait jusqu’alors tranquillement son avance dans les sondages.

Allié au parti Gauche écologique et libertés (SEL), il doit maintenant, à une semaine du scrutin qui se tiendra dimanche 24 et lundi 25 février, faire face à la montée en puissance de la droite autour de Silvio Berlusconi, ainsi qu’à celle du tribun et humoriste Bepe Grillo. Il doit surtout se résoudre à envisager sérieusement l’hypothèse d’une alliance de gouvernement avec Mario Monti, le président du conseil sortant, apôtre de l’austérité, déjà annoncé par certains comme ministre des finances d’un futur gouvernement Bersani. L’hypothèse divise aujourd’hui la gauche italienne, éternellement condamnée au grand écart idéologique pour espérer devenir majoritaire dans un pays sociologiquement conservateur.

En fin d’année dernière pourtant, la question d’une alliance de la gauche italienne avec Monti paraissait hors sujet. À 61 ans, Bersani sortait vainqueur d’une primaire qui fut un vrai succès populaire, lançant une dynamique calquée, semblait-il, sur celle qui avait porté François Hollande au pouvoir en France. La stratégie de Bersani semblait d’autant plus solide que sa personnalité consensuelle a permis de réunir l’aile centriste d’un Matteo Renzi, le charismatique maire de Florence qui fut la révélation des primaires, et les partisans de Nichi Vendola, un écolo-socialiste homosexuel et catholique, porteur d’un discours plus radical.

« La force de Bersani est d’avoir été le point d’équilibre permanent entre Renzi et Vendola, résume Sandro Gozi, l’un des porte-parole du parti démocrate. Il est un mélange de Martine Aubry et de François Hollande. Il vient de la gauche, du parti communiste, mais il a fait preuve d’un grand pragmatisme et s’est fait connaître par ses libéralisations, lorsqu’il était ministre du développement économique de Romano Prodi. »

« Bersani a en commun avec Hollande le fait d’être en quelque sorte un anti-leader, sans grand charisme et très concret, renchérit Arturo Scotto, candidat aux législatives pour le SEL, le parti de Vendola. C’est un ex-communiste italien, mais il est très attentif aux équilibres avec le monde catholique et avec la bourgeoisie productive italienne. » « Trouver un homme politique normal en Italie, c’est tellement compliqué... Et là on en tient un qui a une carrière traditionnelle, et qui a notamment dirigé l’Émilie-Romagne, sourit Alfio Mastropaolo, professeur de science politique à Turin. Il appartient à une tradition sociale-démocrate qui est celle des grands partis européens. »

« S’il est loin d’être un “capopopolo”, il parvient à en jouer, dit Hervé Rayner, universitaire spécialiste de l’Italie à Lausanne. Il met en avant sa simplicité, la méritocratie de son parcours. Il vient de la même région que Prodi, et revendique à la fois ses origines populaires et sa légitimité technocratique. Il se veut celui qui rassure, qui ne commet pas d’excès, qui assume d’être prudent. » « En choisissant de se confronter aux électeurs lors des primaires, là où beaucoup craignaient qu’il ne se fasse coopter par les apparatchiks du PD, il a su apparaître rassurant face à ses deux principaux adversaires, tout en innovant », remarque Beatrice Biagini, candidate parisienne du parti démocrate pour les Italiens de l’étranger.

Un candidat peu charismatique

Avec cette primaire, le parti démocrate semblait surtout avoir tourné la page des ambiguïtés qui l’avaient fragilisé l’an dernier. Le PD fut l’un des soutiens décisifs du gouvernement d’experts de Mario Monti mis en place fin 2011. Il a donc permis l’adoption de réformes structurelles souvent très impopulaires – par exemple la réforme des retraites –, malgré l’opposition virulente des syndicats à l’époque. La primaire aurait eu le mérite de clarifier les choses.

« Le succès des primaires s’explique d’abord parce qu’il y a un vrai espoir d’un retour de la gauche au pouvoir, juge Sara Prestianni, une autre candidate du SEL pour les législatives. La gauche a accepté de manière silencieuse le retour au pouvoir de Mario Monti fin 2011, en partie parce que l’on observait ce qu’il se passait au même moment en Grèce. Il n’y a donc pas eu de contestation. Mais une fois que la date des élections a été fixée, il y a eu la volonté de s’exprimer à nouveau, de reprendre la parole. »

« Ces primaires nous ont fait beaucoup de bien, abonde Sandro Gozi, promoteur de l’exercice des deux côtés des Alpes (il a participé en France aux rapports du think-tank Terra Nova). Après une période extraordinaire pour nous, où le PD a soutenu un gouvernement n’ayant pas nos idées, elles nous ont permis de sortir de l’ombre des affrontements sourds de notre parti, pour se confronter à la lumière. Et cela a mis en difficulté la droite, qui a finalement été incapable d’organiser des primaires, avec le retour du chef Berlusconi. Ils se sont ringardisés. »

Pour autant, la dynamique populaire des primaires est aujourd’hui toute relative. « Il y a en Italie, un électorat de centre gauche, plutôt diplômé, qui aspire à être davantage respecté et veut compter un peu plus dans la vie politique, estime Alfio Mastropaolo. On lui a donné l’opportunité de le faire, très bien. Mais ce fut surtout une grande opportunité médiatique pour le parti démocrate. »

Depuis, le caractère effacé de Bersani fait douter les observateurs, alors que les médias s’intéressent davantage à la percée des animaux politiques Berlusconi et Grillo. Peu charismatique, Bersani semble mal à l’aise dans cette campagne hivernale, qui se déroule principalement à la télévision et via les réseaux sociaux. Au même moment, la montée en puissance de l’insubmersible Silvio Berlusconi, qui se présente aux élections avant tout pour échapper à la justice, et multiplie les coups d’éclat télévisés, est spectaculaire.

« C’est la première fois dans l’histoire italienne que l’on vote dans les mois les plus froids de l’année, remarque Arturo Scotto. Cela affecte grandement le rapport avec l’électorat. La formation de l’opinion se fait quasi exclusivement à la télévision car les “places” qui sont le lieu traditionnel des campagnes électorales en Italie ne sont pas praticables. De ce point de vue, Berlusconi est avantagé, car il continue d’être le politique qui maîtrise le mieux l’outil médiatique. »

Le poids du scandale Monte Paschi

Enfin, l’arrivée sur la scène politique de Mario Monti a achevé de troubler le jeu. En décidant de se lancer dans la bataille électorale, Il professore a changé la donne pour le parti démocrate. La plateforme de partis centristes qui promet, en cas de victoire, de réaliser « l’agenda Monti » a détourné certains des électeurs du PD. Mécaniquement, elle a donc affaibli les marges de manœuvre du parti de centre gauche. Et rend improbable le scénario auquel certains continuent tout de même de croire à Rome : celui d’une double majorité pour Bersani, à la chambre des représentants comme au Sénat.

« La déclaration de Mario Monti a fait retomber la gauche italienne dans la confusion, et le PD a connu quelques départs pour rejoindre le centre-droit, reconnaît Beatrice Biagini. Cela pose un problème à Bersani, puisqu’il doit se positionner contre lui, mais sans pouvoir critiquer son bilan, puisque le PD l’a soutenu. » Le président du conseil sortant pensait plier l’élection en annonçant son intention. Las, son bilan, reposant surtout sur sa capacité à assumer l’austérité (lire notre analyse), ne semble pas si apprécié qu’il pensait. « Il lui arrive d’être agressif envers nous, et très dur avec Vendola, regrette Sandro Gozi. C’est étonnant et vraiment pas malin. Il pensait provoquer un tremblement de terre en annonçant son entrée dans le jeu politique. Mais rien ne s’est passé. Et cela devient même dangereux pour lui, car il peut terminer derrière Grillo. »

Même en mauvaise posture, Monti risque toutefois d’être incontournable pour Bersani et la gauche, qui, faute de majorité au Sénat, serait dans l’obligation de transiger avec lui. Si le parti démocrate reste favori pour la chambre des députés, la bataille pour la majorité au Sénat s’annonce particulièrement rude. Bersani pourrait ainsi avoir besoin de l’aide de Monti pour gouverner. Il concentre donc ses attaques sur Berlusconi, et arrondit les angles lorsqu’on lui parle du centriste.

« Le “traitement Monti” a fonctionné sous deux aspects : éviter le précipice et redonner au pays un élément de crédibilité sur le plan international et sur les marchés. J’aime d’ailleurs souligner que Mario Monti ne l’a pas fait tout seul, mais avec le soutien loyal de notre parti », a-t-il expliqué dans un entretien aux Échos.

Mais cette perspective d’alliance sur fond de politique de rigueur n’est guère engageante pour l’électorat de gauche, « sensible à deux priorités en Italie, selon Alfio Mastropaolo : la moralité de la vie politique et le retour à l’emploi. Et ce que dit Bersani sur ces deux priorités, est très faible. » En face, les dernières sorties du candidat Berlusconi (par exemple sa promesse de rembourser aux Italiens l’impôt foncier mis en place par Monti) ont même fait resurgir la peur, au sein de la gauche italienne, du scénario de 2006. Cette année-là, Prodi, donné largement vainqueur depuis des mois, s’était imposé d’une poignée de voix à peine face à un Berlusconi qui s’était révélé excellent dans la dernière ligne droite.

Autre difficulté pour le parti démocrate, survenue en janvier : le scandale de la banque Monte Paschi di Sienna, troisième établissement d’Italie et « banque la plus vieille du monde », accusée d’avoir truqué ses comptes avec des produits dérivés fortement risqués. Or, la fondation qui chapeaute la banque est constituée de nombreuses figures du PD. Indirectement, le parti se trouve accusé d’avoir fermé les yeux sur la gestion chaotique de cette institution italienne.

« Ce scandale représente le nœud systémique de toutes les errances de la vie politique italienne, des liens incestueux entre les collectivités locales et les banques, où se mêlent aussi influences de l’Opus Dei et de la franc-maçonnerie, soupire Sandro Gozi. Si nous sommes élus, il va falloir clarifier ces situations de banques dépendant de collectivités locales. » Toutefois, le quadra rénovateur l’admet : « C’est ma position, le débat est beaucoup moins tranché dans le parti. »

« La gauche italienne a une obsession : le centre »

Pour Laurence Morel, spécialiste de l’Italie à l’université Lille-2, le suspense est limité quant au type de politique que mènera le PD au pouvoir : « Bersani sera sans doute modérément lié aux syndicats, menant une politique plutôt autonome, dans la lignée de Mario Monti et des “nécessaires sacrifices” à réaliser pour l’avenir de l’Italie. » De fait, certaines figures du PD ne cachent pas leur envie d’une alliance la plus large possible.

Pour le député PD Sandro Gozi, « les primaires ont montré que la coexistence entre différentes lignes politiques est possible et qu’il y a encore nécessité pour le PD d’élargir, aussi bien à Vendola qu’aux centristes. Il faut aller au-delà du “compromis historique” (entre les communistes et les démocrates chrétiens - ndlr), qui est aujourd’hui périmé ». Également au PD, Beatrice Biagini assume à peu près le même discours, qui en dit long sur les marchandages qui s’annoncent : « Il faudra une alliance très large, et cela passera par des négociations locales, en Sicile avec l’extrême gauche, en Lombardie avec le centre droit de Monti. »

Mais ce scénario s’annonce douloureux. Une alliance Bersani-Monti risque de braquer les partis de gauche qui se sont alliés, lors des primaires, avec le PD. Ce serait un « suicide », a prévenu Nichi Vendola, qui ne veut pas en entendre parler. « Le centre gauche doit donner un signal de rupture net sur l’économie et le social avec le montisme et le berlusconisme, estime Arturo Scotto, du SEL. S’il devait y avoir une égalité de sièges au Sénat, due aux effets d’une loi électorale qui favorise la paralysie, nous demanderions de nouvelles élections, après avoir changé la loi électorale, pour donner au pays une majorité plus stable. »

Ce débat, enclenché dans la dernière ligne droite de la campagne, se révèle d’autant plus explosif que Bersani est resté volontairement ambigu sur un certain nombre de dossiers. Que pense-t-il, par exemple, de la promesse de Vendola de revenir sur la réforme des retraites adoptée par Monti l’an dernier ? Est-il partisan, comme le demande Mario Monti, d’approfondir encore un peu plus la réforme du marché du travail ? Sur ces deux dossiers clés, le favori reste silencieux.

À trop se concentrer sur une éventuelle alliance à venir avec Monti, Bersani risque aussi de démobiliser son électorat le plus à gauche, mettent en garde certains observateurs. À l’extrême gauche, le magistrat Antonio Ingroia avec la coalition Rivoluzione civile, qui réunit des anciens de Rifondazione communista et certains du parti Italie des valeurs, fondé par le juge anti-corruption Antonio di Pietro, espère dépasser les 5 %. Une autre partie de l’électorat de la coalition du PD et du SEL pourrait aussi se tourner vers Bepe Grillo, l’humoriste qui ratisse large, capitalisant sur les déçus de droite comme de gauche.

« La gauche italienne a une obsession, c’est de regarder vers le centre », se lamente Alfio Mastropaolo, chercheur en science politique à l’université de Turin. Bersani joue la carte des électeurs du centre, et ne pense qu’à préparer une alliance avec Monti. Alors qu’à gauche du parti démocrate, il y a aussi des électeurs de Grillo à aller chercher. Le PD ne se préoccupe pas assez de ses propres électeurs de gauche, il ne cultive pas assez son propre terrain. »

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