Édition du 11 novembre 2025

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Planète

Jane Goodall s’est éteinte, son héritage scientifique et militant perdure

La primatologue britannique Jane Goodall est morte le 1er octobre, à l’âge de 91 ans. Celle qui a bouleversé sa discipline laisse en héritage un institut et une nouvelle génération de chercheurs prêts à marcher dans ses pas.

Tiré de Reporterre.

C’est une pionnière de la primatologie et une activiste infatigable, à la curiosité et à l’émerveillement inépuisables, qui s’est éteinte. La Britannique Jane Goodall est morte mercredi 1er octobre à Los Angeles, à l’âge de 91 ans. Elle laisse derrière elle des apports scientifiques considérables et une approche révolutionnaire de l’étude des grands singes, basée sur l’observation de long terme et l’attention aux sentiments et émotions.

Jane Goodall n’avait que 26 ans et aucun diplôme universitaire quand elle a débarqué sur le site tanzanien de Gombe, aux abords du lac Tanganyika, en juillet 1960. Le paléontologue kényan et britannique Louis Leakey l’avait embauchée comme secrétaire puis, impressionné par son sens de l’observation, l’a missionnée pour étudier les chimpanzés sauvages. « Il croyait alors en son regard naïf, sans carcan universitaire », explique l’éthologue Emmanuelle Grundmann. Il a eu le nez creux : il n’a fallu que quatre mois à la jeune femme pour découvrir que les chimpanzés de Gombe, adeptes de termites, effeuillent des tiges qu’ils introduisent et tournent dans les terriers pour cueillir leurs proies — dit autrement, ils fabriquent et utilisent des outils.

« Il faut désormais redéfinir l’homme ou accepter le chimpanzé comme humain », commente Leakey, un propos rapporté par Le Monde.

Militante écologiste

Avec ses complices l’Étasunienne Dian Fossey, qui étudiait les gorilles au Rwanda, et la Canadienne Biruté Galdikas, qui s’est dévouée aux orangs-outans de Bornéo, elle a fondé la primatologie moderne et bouleversé sa méthodologie. Emmanuelle Grundmann l’a rencontrée au tournant des années 2000, alors qu’elle-même était étudiante au Muséum national d’histoire naturelle.

« Outre la fabrication d’outils, Jane Goodall a découvert de nombreux comportements chez les chimpanzés : des guerres, des comportements d’entraide, d’empathie, l’existence de cultures », admire-t-elle. Des observations consignées et analysées dans de nombreux livres — My Friends the Wild Chimpanzees (1969), In the Shadow of Man (1971), The Chimpanzees of Gombe : Patterns of Behavior (1986) — et qui l’ont entrainée dans une carrière universitaire. Elle a décroché un doctorat en éthologie à l’université de Cambridge en 1965.

« Mais la première chose qu’elle a apportée à la primatologie, c’est la reconnaissance de chaque chimpanzé comme un individu distinct, avec sa personnalité propre », poursuit Emmanuelle Grundmann. Jane Goodall était ainsi connue pour donner des noms aux chimpanzés qu’elle observait, une pratique inédite dans la recherche occidentale qui numérotait les animaux. « Je me souviens d’un de mes professeurs au Muséum qui trouvait ça scandaleux », rit Emmanuelle Grundmann.

Elle avait aussi pour habitude, comme Diane Fossey d’ailleurs, de se fondre dans le groupe qu’elle observait, jusqu’à partager des moments de la vie quotidienne. « Maintenant, on a tendance à garder un peu plus de distance, pour ne pas biaiser les observations, indique Marie Pelé, directrice de recherche en éthologie et en primatologie au laboratoire Ethics de l’Université catholique de Lille. Mais à l’époque, c’est quelque chose que personne n’avait jamais fait, d’approcher autant les individus en les considérant comme tels. »

Ce lien révolutionnaire à l’animal l’a rapprochée des primatologues japonais, précurseurs de la discipline et qui, à l’instar du spécialiste des macaques japonais Kinji Imanishi, refusaient de hiérarchiser le vivant. Elle a d’ailleurs entretenu avec certains d’entre eux, comme Tetsurō Matsuzawa, des liens très forts.

Pour Marie Pelé, tout ceci fait de Jane Goodall une « pionnière dans cette démarche de rapprocher l’être humain des autres espèces animales ». La chercheuse continue d’ailleurs d’explorer cette même voie en s’intéressant « à ces comportements qu’on a longtemps considérés comme spécifiquement humains mais dont on s’aperçoit qu’ils existent aussi chez d’autres espèces animales : comportements économiques à travers les échanges réciproques et calculés, expression des émotions par le dessin ».

  1. « Elle a montré que les femmes pouvaient partir sur le terrain »

En tant que femme, Jane Goodall a aussi ouvert la voie à de nombreuses chercheuses dans le monde entier. « Elle a été la première et surtout la plus médiatisée, raconte Emmanuelle Grundmann. Elle a montré que les femmes pouvaient faire de la science et partir sur le terrain, ce qui était hors de question auparavant. »

C’est d’ailleurs grâce à elle qu’est née la vocation de Marie Pelé : « Dès petite, je savais que je voulais observer des animaux en Afrique. Mais c’est en voyant un documentaire sur ses travaux de terrain à Gombe, en 1997-1998, que j’ai eu le déclic : je me suis tournée vers mon père et je lui ai dit "c’est ça que je veux faire". Jane Goodall a ensuite eu un rôle pivot dans mon parcours. »

Très vite, l’éthologue britannique se double d’une militante écologiste. En 1977, elle a fondé le Jane Goodall Institute. Aujourd’hui présente dans 25 pays, l’organisation œuvre pour la conservation des chimpanzés sauvages sur toute la ceinture équatoriale africaine, du Sénégal et de la Gambie jusqu’à la Tanzanie.

« Nous nous adaptons systématiquement à chaque situation, précise Galitt Kenan, directrice du Jane Goodall Institute France. Nous pouvons aussi bien gérer un parc national qu’être partenaire d’une réserve naturelle communautaire. Ces actions sont menées par, pour et avec les populations locales. » L’institut possède aussi deux sanctuaires en Afrique, où sont recueillis 290 chimpanzés blessés, orphelins, sauvés du trafic ou de la boucherie. « 5 000 chimpanzés vivent aussi sous notre protection dans leur habitat naturel », précise encore la directrice.

Un cri d’alarme sur notre lien dévastateur à la nature

Outre ce travail de terrain, l’institut de Jane Goodall porte une action de plaidoyer pour des lois nationales et internationales de lutte contre la déforestation et le trafic d’animaux sauvages. Jane Goodall a aussi créé en 1991 le programme Roots & Shoots destiné aux plus jeunes, qui propose des actions telles que nettoyage de forêts et plantation d’arbres.

« Elle sentait que le monde ne tournait pas très rond et qu’il était indispensable de sensibiliser les jeunes, en particulier dans les pays qui abritent les grands singes, avec cette idée qu’on ne protège que ce qu’on connaît, se souvient Emmanuelle Grundmann, qui est également fondatrice de l’antenne française du Jane Goodall Institute. Elle avait conscience que la vie n’était pas simple dans les zones tropicales. Mais elle voulait montrer qu’il existait des alternatives à la déforestation, à la chasse et au trafic, qui pouvaient être mises en place par les populations locales. »

  1. « Plaider pour une réconciliation entre les humains et les autres animaux était devenu toute sa vie »

À partir du début des années 1990 et jusqu’à sa mort, elle n’a cessé d’arpenter le monde avec son chimpanzé en peluche, enchaînant sans relâche les conférences pour la défense des grands singes et de leur environnement, alertant sur notre responsabilité indirecte dans la déforestation via notre consommation d’huile de palme, de bois tropicaux, de minerais et de pétrole.

« Elle dégageait quelque chose d’incroyable, un mélange de cette humilité propre aux grandes figures, de douceur et de détermination, se souvient Emmanuelle Grundmann. Elle délivrait un message de paix. On sentait que plaider pour les chimpanzés et pour une réconciliation entre les humains et les autres animaux était devenu toute sa vie. »

Ce dont se souvient Galitt Kenan, c’était de son « humour absolument incroyable » : « Comme elle était très observatrice et attentionnée, elle voyait beaucoup de choses et faisait des remarques extrêmement drôles. C’était aussi sa manière de mettre tout le monde à l’aise, de désamorcer les sources de stress. » Mais aussi et surtout de son message d’espoir : « Il était au cœur de son dernier livre, The Book of Hope : A Survival Guide for Trying Times, paru en 2021. Elle ne percevait pas l’espoir comme quelque chose de passif : l’espoir, c’est se relever les manches et agir. »

Elle laisse derrière elle des scientifiques et militantes prêts à poursuivre son combat. « Ce n’est pas un hasard si j’ai étudié les animaux et en particulier les grands singes, et si j’écris des livres autour de la nature et des animaux, dit Emmanuelle Grundmann. C’est pour essayer de transmettre cette fascination mais aussi ce cri d’alarme sur notre lien dévastateur à la nature, comme elle l’a si bien fait pendant toute sa vie. »

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