Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Livres et revues

Jean-François Lisée ou les contradictions de la gauche efficace

Jean-François Lisée vient de publier un petit livre qui risque d’avoir un écho important. [1] On peut se réjouir de le voir épingler des arguments sans fondement de la droite en démontrant empiriquement leur fausseté.

Les mérites essentiels du livre de Lisée se trouvent dans le refus du rapetissement du Québec et dans la reconnaissance des acquis des classes populaires mais il néglige trop, par contre, d’indiquer qu’ils sont les fruits de leurs luttes acharnées et courageuses.

Pensée molle et définitions floues

Selon Lizée, la gauche serait optimiste, confiante dans la capacité des membres de la société de vivre ensemble et de former des communautés. Elle viserait à corriger les inégalités induites par le marché et ferait de l’État un instrument essentiel pour assurer l’égalité des chances et protéger les citoyens et les citoyennes contre les risques de la vie. La définition de la gauche est donc ramenée à un certain nombre de postulats et d’attitudes qui font complètement abstraction des classes sociales, de l’histoire et des grands partis et mouvements d’opposition à la société capitaliste qui ont donné tant d’expressions concrètes à la gauche. La gauche ne se définirait pas par la défense de la majorité non-possédante, par la volonté de transformation sociale et par le refus de l’inégalité.

Il affirme que pour lui la gauche, celle qui compte, c’est la gauche sociale-démocrate. Elle se retrouve essentiellement au PQ où elle a même réussi à s’imposer. C’est la seule gauche réelle, c’est la gauche efficace. Et il nous expliquait, dans un autre livre [2] que c’est une expression qu’il a empruntée à François Legault qui se définissait comme tel.

La droite, elle, serait pessimiste sur la nature humaine. Elle carburerait à la détestation de soi. Elle verrait la vie comme une compétition acharnée entre les individus. Elle rechercherait toujours la sécurité contre une violence toujours possible. Elle ne définirait l’égalité qu’en termes de droits individuels. La droite aussi subit un traitement réducteur et simplificateur. Elle n’aurait rien à voir avec la défense du statu quo. Son discours n’aurait rien à voir avec la défense de la minorité possédante, de l’oligarchie régnante. Cette restriction du champ de définition de la droite lui permettra plus tard de la présenter, du moins dans certaines de ses composantes, comme un allié essentiel au projet souverainiste.

« Dans un environnement nord-américain qui vire nettement à droite ? à Ottawa et à Washington -, le Québec a pour défi de trouver un point de passage entre la régression sociale incarnée par les propositions néolibérales et un refus de changement qui nous condamnerait au surplace. » Les élites québécoises, elles, n’auraient pas viré à droite. Le libre-échange, la privatisation de pans des services publics, la défiscalisation des revenus des plus riches, le culte du déficit zéro, tout cela ne ferait pas partie des pratiques et des discours de la droite d’ici et d’ailleurs... Ou du moins, il garde sur ces sujets un silence gêné.

Des démonstrations courtes, mais qui ne manquent pas d’intérêt

Il rejette tout une série d’affirmations de la droite et ill leur oppose une série d’affirmations qu’il tente de fonder sur des faits. Voici ces affirmations :

1. Le Québec n’est pas économiquement médiocre. Si on se fie au taux de croissance du PIB, le Québec, écrit-il, brille parmi les meilleurs.

2. Les Québécois [3] n’ont pas un niveau de vie très faible en comparaison de leurs voisins. 90 % des Québécois ont un niveau de vie moyen supérieur de 13% à celui de 90% des Américains.

3. Les Québécois sont travaillants. La preuve, le taux d’activité des personnes de 15 à 64 est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE.

4. Les Québécois sont productifs. Selon les calculs de 2009, la valeur de la production par heure travaillée était de 44,79$ contre seulement 42,58$ en Ontario, et 52,12$ aux États-Unis.

5. La population du Québec n’est pas la championne de la pauvreté sur le continent. Selon le taux de faible revenu des habitants d’après la mesure du panier de consommation, le Québec se rangeait au deuxième rang des provinces canadiennes en 2007.

6. Le Québec n’est pas un enfer fiscal. La charge fiscale de la famille québécoise moyenne est la seule du G7 qui reçoit davantage de l’État qu’elle ne lui en donne.

7. Le haut taux de syndicalisme québécois n’est pas un boulet puisque le taux de croissance du Québec et des États-Unis suit une courbe très comparable. Plus, ce taux élevé de syndicalisation (39%) fait baisser le vol systématique de fruits du labeur des salariés.

8. Le Québec n’impose pas un fardeau trop lourd à ses entreprises. Si on compare la fiscalité des entreprises d’ici avec celle d’autres pays, le Québec est le moins gourmand.

9. Les Québécois paient des impôts élevés, mais en ont pour leur argent. Les Québécois se sont donné beaucoup plus de services que leurs voisins Ontariens à un coût plus raisonnable.

10. Le Québec n’est pas infesté de fonctionnaires, puisque le Québec a 25 fonctionnaires pour 1000 habitants alors qu’on en compte 38 pour l’Ontario et 28 pour le Canada.

11. Les Québécois paient 7 milliards de plus à l’État que les Ontariens, mais ils reçoivent 17,5 milliards de plus en services de l’État que les Ontariens.

12. Le Québec ne souffre pas d’un des pires endettements du monde. En fait, le Québec est beaucoup moins endetté que la moyenne des pays industrialisés.

13. Les Québécois pourraient se passer de la péréquation. Ce n’est là qu’un épouvantail.

14. Les Québécois ne sont pas nombrilistes et renfermés sur eux-mêmes. 79 % des Québécois ont une opinion favorable des Canadiens anglais.

15. Enfin, le faible taux de natalité des Québécois n’est pas un signe de déclin. Le taux de natalité des Québécois n’est pas différent de celui des autres pays occidentaux.

Bien fait, vite fait. Les dénigrements du Québec que véhicule la droite sont dénoncés et démontés les uns après les autres. Mais, l’esprit critique semble manquer de souffle. En démontant le noir portrait que dessinent les discours de droite de la réalité du Québec, l’auteur oublie de porter un discours critique sur la réalité du Québec d’un point de vue de gauche.

Il reste qu’un discours de gauche se serait peut-être interrogé sur la concentration de la richesse dans les mains d’une oligarchie, sur l’accaparement du pouvoir économique et culturel par une minorité possédante, sur la défiscalisation des hauts revenus et des entreprises qui est directement liée à l’endettement du Québec, sur les pressions à la privatisation des secteurs de la santé et de l’éducation, sur les restrictions des droits syndicaux et les difficultés légales dressées à la syndicalisation, sur le fait que les fruits de l’augmentation de la productivité du travail ne reviennent pas aux travailleurs et aux travailleuses sous forme de réduction du temps de travail et de meilleurs revenus, sur la désindustrialisation désastreuse et les licenciements massifs, sur la destruction de la terre, des rivières et de la forêt par des entreprises pouvant tout se permettre... Le choix des discours et des pratiques de la droite qu’il passe en revue fait preuve d’une étonnante restriction mentale.

Il propose de faire encore mieux, mais comment au juste

Pour faire encore mieux, Jean-François Lisée, propose au nom d’une posture, décrite comme celle de la gauche efficace, d’augmenter la productivité du travail, de tabler sur notre énergie, et de trouver d’autres revenus que les impôts pour financer « notre générosité ».

Il propose que le gouvernement paye les taxes de la PME sur la masse salariale, si elle présente un plan pour la productivité et la protection de l’environnement. Pour inciter à innover, c’est le temps d’introduire une telle carotte, nous dit-il.

Favoriser la baisse d’impôts au nom de la création d’emplois et de richesses, voilà un thème assez coutumier que l’on retrouve chez la droite. Mais l’expérience américaine, comme canadienne, a démontré que les réductions d’impôts des entreprises n’ont pas été réinvesties, mais ont été redistribuées sous forme de dividendes aux actionnaires. Lisée évite, lui de s’interroger sur le fait que si, depuis le milieu des années 70, le produit intérieur brut par travailleur a substantiellement augmenté cela n’a pas été le cas des salaires des travailleurs et des travailleuses. Les gains de productivité ont été empochés par les seuls patrons.

Il écrit que la distribution de revenu par l’impôt est la méthode la plus efficace de financer les programmes sociaux et de redistribuer la richesse, mais l’environnement fiscal ne le permet pas, affirme-t-il, et il reprend à son compte l’épouvantail de la fuite de nos plus hauts salariés si on devait imposer une fiscalité plus progressiste et faire preuve ainsi d’un manque évident de pragmatisme fiscal. C’est pourquoi il faut trouver des revenus ailleurs.

Il propose donc d’augmenter de 60 % les tarifs d’Hydro-Québec et les prix du mazout et du gaz, avec une baisse des impôts pour compenser le tout. Il propose enfin d’augmenter les droits de scolarité. Il parle même de faire payer aux étudiant-e-s les coûts réels de leur formation et de leur permettre de ne payer que lorsque les diplômés seront des hauts salariés.

Favoriser la redistribution des richesses vers les plus riches et le renforcement de la tarification des services publics pour le plus grand nombre, voilà contre quoi la gauche se mobilise. Les propositions de la gauche efficace ressemblent vraiment trop à celles que nous servent les gouvernements de centre droit, et avec la même justification en plus : on ne peut faire autrement ! Il n’y aurait pas d’alternative !

Pour J.F. Lisée, la souveraineté ne peut être le fruit que d’une grande coalition de la gauche et de la droite.

Lisée peut prétendre vouloir mettre la droite K.-O. Il compte sur elle pour la formation d’une grande coalition souverainiste. Il convient que le mouvement indépendantiste moderne s’est constitué au centre gauche au début de la Révolution tranquille. Mais il refuse complètement de regarder sérieusement l’histoire du Parti québécois, quand il minimise la place de la droite au sein du PQ. Cette dernière se serait contentée de mener des batailles dossier par dossier (pragmatisme fiscal (!), appui au libre-échange avec les États-Unis). Ces victoires auraient satisfait la droite et lui auraient permis de se maintenir dans la coalition souverainiste (ici péquiste).

Quel travestissement ! Cette droite qui défendait le libre-échange, le déficit zéro, la privatisation, la déréglementation, était représentée par des premiers ministres et les ministres péquistes qui endossaient des politiques néolibérales. Ce sont ces secteurs qui ont été les premiers à remettre en question l’importance et la faisabilité de l’indépendance.

Lisée prétend stigmatiser une certaine droite, mais il le fait pour défendre une autre droite et pour défendre son importance dans la lutte pour la souveraineté du Québec. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une certaine droite sort de son livre avec une nouvelle légitimité. Après Legault, ce ténor de la gauche efficace n’a pas fini de nous surprendre.


[1Jean-François Lisée, Comment mettre la droite K.-O. En 15 arguments, Stanké, 2012.

[2Jean-François Lisée, Pour une gauche efficace, Boréal, 2008

[3la féminisation semble un procédé ignoré de Jean-François Lisée

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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