Édition du 16 avril 2024

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Le Monde

L'arme juridique au service de l'impérialisme ?

Comme il fallait s’y attendre, dernièrement, le président américain Joe Biden a souhaité que les criminels de guerre russes soient traduits en justice pour les atrocités commises en Ukraine. Ce n’est pas la première fois que des responsables américains haut placés formulent pareil souhait.

Dans le passé, la justice des États-Unis (et parfois celle de pays alliés) ont lancé des mandats d’arrêt internationaux contre des résistants arabes membres d’organisations (comme l’OLP) appartenant à des organisations qualifiées de "terroristes" à la suite d’opérations clandestines de leur part. Le gouvernement israélien les a souvent imités tout en y ajoutant des assassinats (y compris à l’étranger) par ses services secrets de militants palestiniens et ce, en violation du droit international. Il n’a pourtant jamais été question de poursuivre en justice les tueurs sionistes. La justice israélienne ne les a jamais inquiétés non plus. Au contraire, depuis longtemps la Cour suprême israélienne a refusé d’interdire cette pratique au nom de la "sécurité nationale".

En particulier depuis une quarantaine d’années, on note aux États-Unis la montée du néo-impérialisme qui se traduit par la délégitimation des opposants armés (toutes catégories confondues) aux intérêts occidentaux dans le Tiers-Monde. Évidemment, c’est plus facile quand il s’agit de militants et militantes d’organisations non étatiques, c’est—à-dire non protégés par le système juridique et politique d’un État souverain. Ils sont donc plus faciles à dénigrer et plus vulnérables face à la justice d’États établis.

La République américaine et certains de ses alliés (ou "satellites") s’érigent ainsi en tribunal du monde, prétendant définir ce qui est bien (la défense de leurs intérêts) et ce qui est "mal" (les projets des résistants et résistantes à leur impérialisme).

Il y a donc un double standard en la matière.

Mais la situation est devenue plus complexe depuis la mise sur pied de la Cour pénale internationale en 1998, chargée de juger les personnes accusées de génocide, crimes contre l’humanité, crime d’agression et crimes de guerre. Elle peut toutefois exercer sa compétence si la personne accusée est le ressortissant d’un État membre ( c’est-à-dire qui a signé et ratifié le traité fondant le Cour) si le crime supposé est commis sur le territoire d’un État membre de la Cour ou encore si l’affaire lui est transmise par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

La Cour ne peut ne peut cependant agir que lorsque les juridictions nationales refusent ou ne disposent pas de la capacité de juger ceux et celles de ses ressortissants accusés de crimes internationaux ou qu’elles multiplient les tactiques dilatoires pour éviter d’en arriver là. Pour résumer, la Cour n’intervient que lorsque les systèmes de justice internes s’avèrent défaillants.
Il existe en ce moment dix-sept pays qui font l’objet d’une enquête de la Cour pénale, toutes concernant des États du Tiers-Monde. Il serait trop long de les énumérer ici, mais il est pertinent de révéler que l’Autorité palestinienne a adhéré à la Cour, laquelle fait enquête sur les abus israéliens commis sur le territoire de son voisin, ce qui n’a pas l’air de réfréner pour autant les ardeurs colonisatrices israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ni la violence exercée par Tsahal à l’endroit des Palestiniens et Palestiniennes. Jamais un président américain n’a menacé des responsables israéliens de poursuites devant la justice internationale.

Pour en revenir au conflit russo-ukrainien, il ne fait aucun doute comme nous l’affirmions au début de cet article que des atrocités ont été commises par des militaires russes et en particulier par le "groupe Wagner", des mercenaires au service de Moscou. Une enquête s’impose donc là-dessus, laquelle pourrait relever en dernière analyse de la Cour pénale internationale si la justice russe démontre des défaillances ou une complaisance coupable envers les individus soupçonnés de crimes contre les Ukrainiens et Ukrainiennes.

On sait aussi (ou plutôt on ignore trop souvent) que des collaborateurs civils du Donbass (région russophone de l’est de l’Ukraine dont la majorité de population espère l’annexion à la Fédération de Russie) ont été zigouillés par des résistants ukrainiens. Serait-ce là également un crime susceptible d’accusations en justice ? Il faudrait vérifier et dans l’affirmative, traîner les meurtriers en justice. Si Moscou gagne la guerre ou du moins réussit à conserver le Donbass, là on peut lui faire confiance...

Dans sa déclaration sur les criminels de guerre russes, Biden est demeuré volontairement vague et pour cause. En tant que président de la Fédération de Russie, Poutine est intouchable, car il bénéficie de l’immunité diplomatique, du moins tant qu’il demeurera en poste, ce qui risque de durer encore longtemps. De leur côté si les États-Unis ont signé le traité fondant la Cour pénale internationale, ils ne l’ont pas ratifié (le Sénat ni la Chambre des représentants ne l’ont formellement entériné, si on comprend bien). Biden a affirmé en substance qu’il n’était pas question pour le gouvernement américain de déférer un de ses ressortissants devant cette instance, vu que la justice américaine est impartiale et qu’elle n’hésite pas à condamner le cas échéant ses citoyens reconnus coupables de crimes de guerre.

Il y a une part de vérité dans cette assertion, mais il serait intéressant d’examiner de plus près ce qu’il en fut lors de la guerre du Vietnam. Quoi qu’il en soit, peut-on imaginer meilleure expression d’un sentiment de supériorité morale et de bonne conscience impérialiste ?

Jean-François Delisle

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