Édition du 6 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Notes sur la situation mondiale et les risques de guerres

Le monde au moment présent bruisse de risques de conflits armés, dont trois concernent des secteurs où ces conflits auraient une portée mondiale immédiate : l’Europe centrale et orientale, le Proche-Orient, la mer de Chine, auxquels vient de se joindre la question indo-pakistanaise. Dans les deux premiers les risques prennent appui sur les développements concernant deux guerres déjà engagées, celle de la Russie contre l’Ukraine et celle d’Israël contre le peuple palestinien.

Seconde guerre en Europe en 2025 ?

Concernant l’Europe centrale et orientale, les personnes sensées et raisonnables qui nous expliquent que la Russie ne peut avoir ni la volonté, ni les moyens, de déclencher à échéance rapprochée une nouvelle guerre ont raison, dans l’optique d’un monde censé et raisonnable.

Dans l’optique, toutefois, du monde réel, ils oublient trois facteurs :

1°) L’Etat et l’économie russe sont voués à la guerre et risquent de disjoncter en cas d’arrêt : ils tiennent par la dynamique guerrière, ils se sont piégés eux-mêmes dans ce processus, qui ne peut pas s’arrêter d’un coup. Une démobilisation poserait encore plus de problèmes que la mobilisation, y compris sur la sécurité intérieure.

2°) Il y a le facteur Trump. Le facteur Trump signifie qu’en cas d’attaque par exemple sur la Baltique il n’y a pas d’OTAN qui tienne. En outre on ne sait pas encore si Trump va rendre son pouvoir durable ou si les contradictions qui sont en train de monter aux Etats-Unis vont le balayer avant.

3°) Compte tenu des points 1 et 2 Poutine n’a pas forcément intérêt à attendre, car attendre, c’est attendre éventuellement la chute de Trump, d’une part, et une réaction européenne sérieuse, d’autre part, plus, éventuellement, le développement de liens économiques Europe/Chine prenant à revers l’ordonnancement actuel des alliances.

Le réarmement européen s’il s’engage sérieusement aurait cinq années devant lui – s’il s’engage sérieusement -, et les gens sensés et raisonnables les moins confiants disent que Poutine se prépare pour « dans 5 ans » : du point de vue de Poutine ceci n’est ni sensé ni raisonnable, il a intérêt à bousculer ce calendrier hypothétique.

S’il est donc tout à fait sensé et raisonnable de penser que la Russie n’a nulle intention d’attaquer qui que ce soit d’autre que l’Ukraine en 2025, dans le monde réel avec ses facteurs non pas sensés et raisonnables, mais réels, ce serait rigoureusement logique.

Attaquer où ? Des troupes russes sont en cours de concentration en Carélie, face à la Finlande. Le pouvoir chinois estimant avoir intérêt au moment présent d’appuyer sur son alliance militaire avec Moscou (y compris, par ailleurs, pour ne pas être débordé par la Corée du Nord), les entreprises chinoises du secteur militaire ne prennent actuellement plus de commandes, se tenant en réserve. La Baltique (plutôt l’Estonie et la Lettonie que la Finlande, et/ou la Lituanie et la Pologne au niveau du corridor de Suwałki) et l’Arctique (donc la Norvège) semblent être les zones immédiatement menacées.

En outre, les menaces des Etats-Unis sur le Canada et sur le Groenland ont été, de fait, un message à Poutine lui disant : le moment venu, tu pourras y aller, comme nous – et on fera la partition du grand Nord.

Pas seulement le grand Nord. J.D. Vance depuis son discours de Munich a proposé, de fait, le partage de l’Europe à Moscou, voire plus encore car son soutien à l’AfD, assorti des mesures de départ/réduction des troupes US restant en Allemagne, comporte un message mettant en cause les acquis des années 1989-1991, réunification allemande y compris (regardez la carte électorale de l’Allemagne actuelle et vous comprendrez). La politique du pouvoir US dans sa pointe avancée ne propose ni plus ni moins qu’un nouveau partage de Yalta.

Pour que ce danger ni sensé ni raisonnable mais d’autant plus réel risque le plus de se réaliser, un « cessez-le-feu » à la sauce Trump-Poutine est nécessaire en Ukraine, c’est-à-dire un cessez-le-feu au maximum aux conditions de la Russie, qui affaiblisse au maximum l’Ukraine tout en permettant à la Russie d’ouvrir un nouveau front.

Un tel « cessez-le-feu » visant à entériner l’occupation de la Crimée, du Donbass et des régions ukrainiennes méridionales, pourrait théoriquement permettre à Poutine de préparer un nouvel assaut contre l’Ukraine voire la Moldavie, mais l’armée ukrainienne de 900 000 hommes et femmes et le peuple ukrainien qui s’y attendent constitueraient un obstacle de taille : le meilleur, ou plutôt le pire, cessez-le-feu trumpo-poutinien, ne semble pas en mesure à ce stade d’annuler ou d’affaiblir ce facteur (d’où la reprise par Trump, à la demande de Poutine, des pressions visant à délégitimer Zelensky) .

Si Poutine veut exploiter la fenêtre de tir que lui fournirait ce dit « cessez-le-feu », ce serait donc plutôt ailleurs, à savoir la Baltique.

Inversement, aider l’Ukraine au maximum et immédiatement constituerait la chose la plus efficace à faire au service de la paix. Le réarmement européen tel qu’il est programmé par les chefs d’Etat et par la Commission européenne est loin d’y répondre : il enrichirait les trusts de l’armement, il pourrait donner lieu à nouveau à des achats aux Etats-Unis bien que l’objectif de « l’indépendance » soit de plus en plus mis en avant, et il mettrait l’accent sur le nucléaire français et britannique. Il ne répond donc pas à l’objectif d’aide immédiate à l’Ukraine, bien qu’il soit vrai que la question d’un réarmement européen se pose bel et bien.

L’aide immédiate à l’Ukraine, elle, peut se faire en puisant dans les stocks existants, en stoppant les ventes aux dictatures (la France depuis 2022 est devenue le second exportateur d’armes et ses clients sont les dictatures et monarchies pétrolières et l’Inde) et les livraisons à Israël, pour réorienter les livraisons vers l’Ukraine.

En apportant rapidement et massivement (ainsi que tentent de le faire les pays baltes) drones, artillerie de défense, moyens de renseignement, et aviation déconnectée des Etats-Unis, à l’Ukraine, elle interdirait toute nouvelle progression aux troupes russes et produirait leur recul, lequel aurait des conséquences déstabilisatrices sur le régime poutinien.

La question militaire européenne est donc une question politique immédiate qui concerne avant tout l’aide à l’Ukraine et qui demande une autre politique que celles de Macron, Merz, Starmer, et bien entendu que celle de Meloni qui cherche à se tenir au plus près de Trump.

Le fait que la gauche et le syndicalisme ne mènent pas campagne pour cette autre politique militaire, laquelle serait bien entendu un aspect de l’autre politique d’ensemble, démocratique, sociale et écologique, qu’il faut défendre, est un manque décisif contribuant à la montée du risque de guerre. En s’illusionnant sur la « paix en Ukraine » à quelque condition que ce soit, en faisant fi des populations sous occupation, voire en préconisant le « cessez-le-feu partout », on fait en réalité le jeu de la guerre. C’est donc le « pacifisme » à gauche qui, en empêchant de lutter pour une politique militaire démocratique immédiate, contribue le plus au risque de guerre.

La résistance ukrainienne reste le principal facteur de paix, la seule lutte réelle pour la paix et le seul antifascisme digne de ce nom étant la lutte contre l’Axe Trump/Poutine. La puissante mobilisation prolongée de la jeunesse serbe, entrainant toute la société, pointe avancée des mobilisations populaires montante dans les Balkans, ainsi qu’en Turquie, défie aussi l’ordre de Trump/Poutine. Or, l’Union Européenne qui dit défendre la démocratie, traite le pouvoir serbe comme s’il était légitime, et la France de Macron a fait de ce pouvoir proche de Poutine l’un de ses clients pour les Rafales. Question sociale, question démocratique et question militaire, là aussi, devraient être liées par les forces dites de gauche, car elles sont liées.

Le salut de Gaza passe par la défense de la révolution syrienne.

En ce qui concerne maintenant le Proche et le Moyen Orient, les personnes sensées et raisonnables au moment présent n’osent plus dire grand-chose, car le viol massif du cessez-le-feu suivi de la pire offensive contre le peuple de Gaza, par le pouvoir et l’armée israéliens, faisant totalement fi du sort des otages israéliens du Hamas, depuis le 18 mars 2025, apparaissent ouvertement comme n’étant vraiment ni sensés, ni raisonnables.

Ils sont pourtant, hélas, parfaitement logiques du point de vue de Netanyahou, tant pour son intérêt personnel étroit que pour la ligne de fuite en avant de l’extrême-droite raciste qui le soutient, et qui se sent pousser des ailes en raison de l’Axe Trump/Poutine.

L’alternative sensée et raisonnable en effet, celle, ici, du cessez-le-feu, conduisait à la chute de deux pouvoirs politiques aux destins liés : celui du Hamas et celui de Netanyahou.

A Gaza l’irruption de manifestations contre le Hamas, violemment réprimées par celui-ci mais aussi, de fait, par les bombardements israéliens, est un fait récent marquant. Et s’il est vrai que le clivage principal dans la société judéo-israélienne ne porte pas directement sur le rapport colonial aux Palestiniens (à l’exception de Standing Together), le clivage aigu sur la démocratie, l’Etat de droit et la corruption, envers Netanyahou et ses sbires, est essentiel pour les possibilités de défense de leurs droits par les Palestiniens.

Mais le fait central dont Netanyahou, et derrière lui Trump et Poutine, veulent annuler la portée, c’est la révolution syrienne. Une Syrie souveraine et démocratique serait un exemple pour toute la région, et un appui décisif aux Palestiniens pour se débarrasser du Hamas, de l’« axe de la résistance » et donc pour pouvoir combattre efficacement Netanyahou et la colonisation, ainsi qu’aux Libanais pour reconquérir Etat de droit et démocratie. Netanyahou a donc intérêt à exploiter et aggraver au maximum la crise du nouveau régime syrien.

Celle-ci peut s’expliquer globalement : la victoire populaire massive sur le régime d’Assad contredisait totalement l’ordre de Trump, de Poutine, de Netanyahou, de l’Iran, tous ensemble et à la fois, mais si le nouveau pouvoir formé par le Hayat-Tahir-al Cham (HTC) ne présentait pas le danger de vouloir instaurer un soi-disant Etat islamique comme bien des commentateurs l’ont prétendu, il n’avait guère d’autre boussole que de tenter de passer pour le garant d’un ordre bourgeois acceptable.

Un pouvoir démocratique déterminé aurait sans doute engagé rapidement un processus électoral constituant allant de pair avec la formation d’une armée nationale populaire prenant la place des milices. Là, le HTC a combiné compromis avec l’ancien appareil d’Etat d’Assad et règlements de comptes quasi privés. Voici quelques semaines, le « dérapage » s’est produit, attisé par les provocations extérieures (en l’occurrence : iraniennes d’un côté et turques de l’autre) : des alaouites ont subis des massacres de masse. Il ne s’agissait pas de règlements de comptes avec des hommes de l’ancien régime, lesquels ont bien sûr utilisé la situation, mais de massacres communautaires.

Ceci a ouvert une nouvelle situation, dans laquelle Netanyahou s’engouffre, en cherchant à manipuler les druzes, avec un objectif : surtout pas une Syrie souveraine et démocratique, exemple pour toute la région et appui politique inédit aux Palestiniens et aux Libanais.

La révolution syrienne, avec la résistance ukrainienne, est la pointe avancée de la contre-offensive des peuples à l’Axe Trump/Poutine. Il faut la soutenir impérativement, en exigeant la levée de toutes les sanctions toujours maintenues, et en diffusant des informations issues de la Syrie.

Et soutenir la résistance palestinienne, qui ne consiste pas dans les opérations armées du Hamas dont le trait n°1, outre son orientation pogromiste envers les Juifs, est de dessaisir les Palestiniens de toute autonomie, mais dans la manière héroïque, formidable et terrible, dont ce peuple résiste avec ses pieds en ne partant pas.

Le soutien à cette véritable résistance palestinienne passe par le soutien à la révolution syrienne et par le combat contre l’Axe Trump/Poutine, porteur d’une politique dans laquelle tout est lié : menace génocidaire sur les Ukrainiens, menace génocidaire sur les Palestiniens, menace de déportation massive des migrants, menace contre l’Etat de droit.

La menace génocidaire contre les Palestiniens, indépendamment de l’emploi fétichiste du terme « génocide » jusque-là, par un mouvement dit propalestinien aussi impuissant qu’il est étendu, risque de se concrétiser maintenant, maintenant que « Genocide Joe » a été battu (et que ce mouvement y a contribué) : par la destruction totale de Gaza et la concentration, en un camp, de ses deux millions d’habitants qui y seront affamés, au Sud du territoire, par l’accélération drastique de la colonisation en Cisjordanie, le tout allant avec la transformation de la société israélienne en un Etat policier et totalitaire.

Ajoutons que la séance de longue durée de « ball-trap à Bab-el-Mandeb » – voir à ce sujet monarticle de décembre 2023 – n’a rien à voir avec le « soutien à la résistance palestinienne » mis en avant par les Houthis, et participe d’un grand jeu stratégique renchérissant conditions et tarifs du fret maritime et des compagnies d’assurance, dans lequel les Houthis, qui partagent avec l’Arabie saoudite la mission de réprimer les aspirations démocratiques des Yéménites, sont les instruments combinés de l’Iran, de la Russie et de la Chine, les Etats-Unis menant la bataille maritime contre eux depuis 2023.

En outre, la rive africaine de la mer Rouge, théâtre de la guerre en réalité la plus sanglante de ces dernières années, à peu près totalement passée sous silence, de la part du régime néo-impérial éthiopien contre le peuple du Tigré, suscite les intérêts impérialistes, avec l’Ethiopie, nouveau champ d’investissement de capitaux des « BRICS+ » dont elle est membre, et les Etats fantômes issu de la Somalie où l’administration Trump agite le délire de déporter les Gazaouis …

Or, les affaires croquignolesques de fuites du ministre taré et suprématiste de la Défense américaine, Pete Hegseth : successivement invitation par erreur d’un journaliste non trumpiste sur une boucle de messagerie Signal non sécurisée portant sur les frappes anti-Houthis, boucle comportant Vance et autres hauts dirigeants, dont l’un se trouvait à Moscou, puis nouvelle révélation sur le fait qu’Hegseth partage avec sa famille et son avocat les informations confidentielles sur ce même sujet …, le tout associé à la pénétration de l’appareil d’Etat US par les services russes sous l’administration Trump, ne laisse guère de doute sur le fait que la Russie est parfaitement au courant des gesticulations US en mer Rouge et dans l’océan Indien, censées menacer l’Iran.

Gaza : contre le Hamas et les bombardements israéliens, « Nous refusons de mourir ».

Mer de Chine, Taiwan … et grèves, grèves, grèves.

Concernant la mer de Chine, la menace de guerre pour « reprendre » Taiwan, de la part de la RPC (République Populaire de Chine), s’est accentuée, ce que des exercices et provocations militaires fréquents, ainsi que des opérations de « guerre hybride » ne cessent de manifester, depuis l’arrivée de Trump.

On sait que la ligne générale de Trump, mais pas seulement de lui, était de séparer la Russie de la Chine en livrant l’Ukraine à la Russie. C’est manifestement très mal engagé.

Mais à la tentative d’un ordre mondial antichinois à deux (« duplice » Etats-Unis/Russie) pourrait se substituer, au moins pour un temps, celle d’un partage à trois (« triplice ») incluant la Chine, et lui livrant donc Taiwan en même temps que l’Europe, au moins orientale et centrale, serait livrée à la Russie, et que les Etats-Unis mettraient la main sur l’Amérique du Nord jusqu’au Groenland.

Le transfert, qui est engagé, des ateliers de production de la première firme productrice de semi-conducteurs au monde, TSMC, de Taiwan aux Etats-Unis, faciliterait le « deal » temporaire.

L’érection de la Corée du Nord en acteur de l’ordre impérialiste multipolaire, comme centre de production d’armes et fournisseur de la Russie, suivi de l’envoi de troupes nord-coréennes contre l’Ukraine, a « doublé » la Chine, qui ne contrôle pas Pyongyang, mais a pour l’heure plutôt poussé le régime chinois à renforcer son orientation eurasiatique.

Cependant, intervient depuis le 2 avril dernier, massivement, un facteur supplémentaire, la guerre tarifaire de Trump. Le partage impérialiste du monde est associé à la fragmentation du marché mondial et de la division internationale du travail, combinée à la « mondialisation », reproduisant, dans des conditions aggravées, la situation mondiale de fragmentation des années 1930. Et la première offensive tarifaire était très défavorable à la Chine, en fait destructrice de son commerce extérieur. Elle était, par contre, favorable à la Russie, qu’elle épargnait ainsi que la Corée du Nord, mais l’affectait par ricochet par la déflation des prix pétroliers.

Cette offensive globale a été perdue par Trump : les taux d’intérêts de la dette publique états-unienne se sont mis à monter, l’ensemble de la finance internationale cherchant à s’en dessaisir, signe d’une perte historique de confiance dans la solvabilité de ce qui est encore la première puissance impérialiste mondiale, et facteur d’endettement aggravé pour elle. D’où les manœuvres de recul de Trump qui n’ont cependant absolument pas ramené « la stabilité ». Et, dans le krach boursier des 2-5 avril, la firme TSMC est de celles, avec les « GAFAM », qui ont le plus perdu.

Ces développements donnent l’impression d’une Chine patiente et sûre d’elle et d’un pouvoir qui se joue de cet agité de Trump en voyant loin, lui. Or il faut le dire : cette représentation est fausse. Toute la période de guerre des tarifs commerciaux a vu des signes d’affolement dans les sommets chinois, de longues absences de Xi Jinping et la poursuite de purges concernant les appareils militaires et de sécurité. Mais surtout, il y a une nouvelle vague de grèves en Chine. Je donne ici un long extrait, il le mérite, en traduction de l’italien du très précieux blog d’Andrea Ferrario, qui a lui-même résumé le texte chinois des informations provenant de la chaine Telegram d’un groupe chinois d’opposition dénommé « Bolchevik » :

« L’article des activistes chinois commence par décrire la mobilisation importante des travailleurs de BYD [construction automobile] à Wuxi [près de la côte Sud, au Fujian] et Chengdu [énorme ville au Sichuan] qui, entre fin mars et début avril, ont organisé une grève coordonnée dans plusieurs provinces impliquant des milliers de personnes. Cet événement est identifié comme un modèle pour les luttes ultérieures des travailleurs chinois. Malgré la répression violente des forces de police, qui a temporairement freiné le mouvement, l’expérience accumulée de lutte a continué à prospérer ailleurs, contribuant à construire une base matérielle solide pour la croissance des luttes de classe.

Selon les données recueillies par la plateforme « Yesterday » (yesterdayprotests.com), jusqu’au 22 avril 2025, en plus de la grève de BYD, au moins 17 autres grèves et manifestations à grande échelle ont eu lieu. L’article les énumère méticuleusement, en fournissant des dates, des lieux et les revendications de chacun. Parmi eux se trouvent 200 employés d’hôtel qui ont fait grève à Shenzhen du 31 mars au 20 avril pour réclamer des salaires impayés ; des milliers de travailleurs de l’aciérie d’Anyang dans le Henan, qui ont manifesté le 1er avril pour réclamer leurs salaires et leurs avantages sociaux suite à la fermeture de l’usine ; des dizaines de médecins et d’infirmières de Fuzhou, dans le Jiangxi, se sont rendus au gouvernement de la ville le 7 avril pour réclamer leurs salaires impayés.

La liste continue avec les travailleurs de l’automobile en grève à Wenzhou et Nanjing entre le 7 et le 8 avril ; des centaines de travailleurs d’une usine de conteneurs à Fuqing, dans le Fujian, se sont mis en grève les 9 et 10 avril ; les travailleurs de l’industrie de précision à Shenzhen qui ont organisé une deuxième grève le 10 avril pour exiger des avantages de redéploiement ; des centaines d’ouvrières d’une usine d’électronique à Wuhan, dans le Hubei, qui se sont mises en grève le 10 avril mais ont été réprimées ; et de nombreuses autres manifestations dans diverses villes et secteurs industriels.

L’article se concentre ensuite sur trois cas considérés comme particulièrement significatifs.

Le premier est la lutte des chauffeurs de camions de déchets de construction à Chongqing [autre ville majeure du Sichuan], du 11 au 16 avril. Ces travailleurs, qui font un travail sale et éreintant mais ne reçoivent que des « miettes », se sont regroupés pour protester contre les tentatives du service de gestion de la ville de les exclure du marché de l’enlèvement des déchets ou de les forcer à accepter des salaires inférieurs par le biais d’un système de certification qui favorise les entreprises monopolistiques. Leur action coordonnée dans plusieurs quartiers a conduit le service de gestion urbaine à abandonner temporairement ces pratiques. L’article souligne qu’il s’agit d’un exemple rare de victoire du jour au lendemain dans le contexte économique actuel, attribuant ce succès à la capacité des travailleurs à s’unir au niveau de la ville et à paralyser efficacement la production. Les auteurs émettent l’hypothèse que derrière un tel mouvement organisé, il doit y avoir des dirigeants ouvriers déterminés et des structures organisationnelles efficaces.

Le deuxième cas examiné concerne les manifestations dans une mine chinoise en Indonésie, où le 16 avril des centaines de travailleurs chinois ont entamé une lutte pour récupérer les salaires et les comptes impayés. Inspirés par cette action, les travailleurs indonésiens ont rejoint la grève le 18 avril, démontrant ainsi comment la solidarité internationale peut émerger naturellement des luttes des travailleurs malgré les différences culturelles. L’article souligne comment l’intégration du marché mondial et la migration centralisée de la main-d’œuvre ont créé des intérêts communs parmi les travailleurs de nationalités différentes.

Le troisième cas concerne les ouvriers d’une usine de papier à Zhaoqing, dans le Guangdong, qui ont manifesté du 7 au 22 avril contre les licenciements et les salaires impayés. Face à la police armée qui bloquait l’entrée de l’entreprise, les travailleurs ont réagi par des moqueries collectives en dialecte local [cantonais], démontrant qu’ils ne craignaient pas la répression et manifestant une haine ferme envers la classe dirigeante. Cette attitude est interprétée comme emblématique de l’esprit militant des travailleurs à travers le pays alors que la vague de grèves s’intensifie.

L’article conclut en soulignant que la récession économique et la guerre commerciale mondiale qui ont déclenché la vague actuelle de grèves ne font que commencer, ce qui suggère que les luttes des travailleurs pourraient s’intensifier davantage dans le contexte d’un probable ralentissement économique mondial.

Un texte similaire, mais moins détaillé, a également été publié par le China Labour Bulletin, qui donne également un bref aperçu des luttes de mars. Vous pouvez également y consulter ses cartes détaillées des grèves et des manifestations des travailleurs. Autres sources qui suivent quotidiennement les luttes sociales en Chine : Labor Power et Yesterday [v. ci-dessus], Labor Fact qui publie occasionnellement des informations. La chaîne Telegram du célèbre dissident Teacher Li se concentre principalement sur les phénomènes généraux de protestation et d’insubordination, mais publie également souvent des documents sur les actions des travailleurs. »

Ce sont là des données centrales. Est-il besoin de préciser que ce sont là des grèves économiques, mais qu’en tant que telles leur contenu politique est décisif, chacune constituant un affrontement avec le pouvoir du PCC, le « Parti Capitaliste Chinois » : « La lutte de classe à classe est une lutte politique » (Marx, Misère de la Philosophie).

La grève en Indonésie indique en outre que la lutte des classes en Chine intérieure et la lutte des classes dans toute la région interagissent. Ce sont ces données fondamentales, et non pas les Etats-Unis, qui font avant tout hésiter Xi Jinping et son oligarchie à propos de Taiwan. Ils sont en train de digérer Hong-Kong, et ce n’est pas fini. Taiwan pose un autre problème. Traditionnellement, une vision « anti-impérialiste » considère sommairement que la nation chinoise s’est réunifiée contre les Japonais et les occidentaux et donc que Taiwan en fait partie, mais en fait Taiwan n’a été liée à la Chine que tardivement et épisodiquement et sa population est plus diverse, par la présence de diverses couches de chinois et par celles de peuples austronésiens, que dans les régions chinoises côtières proches. Elle aurait peut-être adhéré à une Chine démocratique, unifiée réellement par en bas, celle pour laquelle combattait le vrai fondateur du communisme chinois, Chen Duxiu, autour du mot d’ordre de constituante. Mais la Chine de Mao, de Deng puis de Xi est restée un empire, qui opprime des nationalités, construit militairement par en haut et qui est devenu un repoussoir pour les Taiwanais, qui doivent être libres de s’autodéterminer. Leur intégration à la Chine de Xi ne pourrait qu’être un écrasement totalitaire. Réciproquement, leur aspiration à l’indépendance peut être une source d’inspiration pour les Chinois continentaux.

Lutte des classes et lutte démocratique sont plus que jamais liées et l’Asie orientale l’illustre avec force : en Corée du Sud, la population et au premier rang la classe ouvrière ont chassé un président qui aspirait à la dictature en se référant à Trump. Mauvaise nouvelle pour Trump, mais aussi pour Xi Jinping, mais aussi pour Kim-Jong-Un.

Grèves de masses en Chine, avril 2025.

Inde/Pakistan, en plus du reste …

Cependant, alors qu’une chaleur mortelle approchant les 50 degrés, au mois d’avril dans l’hémisphère Nord, accable les peuples pendjabi, cachemiri, sindhî … présents de part et d’autre de la « frontière » taillée par la violence en 1947, les chefs d’Etat Modi, en Inde, ethno-nationaliste hindou, affaibli par les dernières élections et par l’effervescence sociale dans le pays, et le premier ministre Sharif, au Pakistan, de la Ligue musulmane, sont tentés par la fuite en avant guerrière pour surmonter les mouvements sociaux et frapper des boucs émissaires dans leurs deux pays.

L’attentat de Pahalgam, au Cachemire, 26 morts le 22 avril dernier, a été saisi par Modi pour intensifier la terreur antimusulmane en Inde et annoncer que le Pakistan allait subir des représailles militaires. Dans l’immédiat, les victimes sont les populations à nouveau expulsées de part et d’autre d’une frontière qui ne vient pas de la lutte des peuples, mais d’une manipulation coloniale relayée par des forces réactionnaires.

Modi doit rétablir une autorité ébréchée et l’Inde, dans le concert de la multipolarité impérialiste, doit s’affirmer. Il joue donc avec le feu, les deux Etats ayant l’arme nucléaire. Chine, Etats-Unis et Iran leur ont demandé de se calmer !

La dynamique d’un éventuel conflit armée indo-pakistanais pousserait la Chine, allié et tuteur économique du Pakistan, à intervenir, ce qui ne semble pas lui convenir à cette étape.

Il n’est donc pas impossible qu’en plus de tout ce qui précède, un « accident » majeur n’éclate aussi de ce côté-là. Cependant, les dirigeants indien et pakistanais sont principalement mus par l’utilisation de leur conflit récurrent pour calmer menaces et contestations internes. Ils ne cherchent pas à entrer dans un conflit armé total. Mais ils sont capables de le provoquer, au risque de déchainer également la révolution dans le sous-continent.

* * *

Les quatre zones dont il vient d’être question sont les plus « sensibles » en raison de la connexion immédiate entre les évènements militaires qui s’y produisent et peuvent s’y produire, et les grandes puissances impérialistes de la planète. Ce sont loin d’être les seules zones de guerre : cet article ne prétend pas à l’exhaustivité.

La situation dans l’Est du Congo, où le Ruanda se comporte comme une sorte de mécano sous-impérialiste et prédateur, ce que ne légitime en rien le fait que son régime ait pris le pouvoir suite au génocide de 1994 ; les tensions en Afrique occidentale notamment entre le Mali et l’Algérie, l’impérialisme russe étant maintenant le gardien prétorien des dictatures au Mali, au Burkina, au Niger, en Centrafrique ; la guerre des factions militaires au Soudan, qui a joué le rôle d’une contre-révolution et qui menace de génocide certains peuples comme les Massalits ; la dictature mafieuse au Venezuela tentée d’opérer une diversion armée au Guyana … : tous ces foyers d’horreurs sont réactivés dans le désordre mondial de l’Axe Trump/Poutine et du grand partage avec Xi.

Ce n’est pas un retour au XIX° siècle, c’est pire : à l’ère au grand réchauffement climatique, c’est la barbarie impérialiste qui arrive. Il est illusoire, où que vous soyez, de croire y échapper. Seule issue, la lutte sociale, bien sûr, et seule perspective réaliste (et non grigri culturel) : la révolution, démocratique et prolétarienne, mouvement réel qui est déjà là car il s’agit de notre survie et de celle de nos enfants. A ces généralités, il convient d’ajouter que la question militaire s’impose dans toute stratégie révolutionnaire. Le survol auquel je viens de me livrer, dans chaque secteur, la pose à sa manière. La question militaire, c’est-à-dire celle des armes pour la révolution et les combats populaires, combinée à celle de leur attitude envers les conflits armées, en toute indépendance de classe, c’est-à-dire de la manière d’intervenir dans ces conflits, qu’elle soit, selon les cas, pacifiste, belliciste, défaitiste ou défensiste.

Or, par-delà l’impression de diversité voire d’éclatement que peut donner le tableau des « points chauds », ils ont un point commun qui est la marque de la réaction sur toute la ligne que constitue la multipolarité impérialiste, c’est l’abaissement de l’Europe.

On voit arriver d’une part la liquidation des restes de possessions « outremer » des puissances européennes. Le Groenland est ici symbolique, dernière possession européenne de très grande taille relevant du continent américain. S’opposer, comme le fait sa population, à la menace étatsunienne, ne conduira pas à réaffirmer son appartenance danoise, mais conduit à sa véritable souveraineté et indépendance.

La France, pour le reste, est en première ligne au plan mondial. On a la liquidation engagée de la Françafrique, qui va conduire au heurt des peuples avec l’impérialisme russe : ce heurt ne ramènera pas la Françafrique, mais est la voie vers la vraie indépendance. De même pour l’outremer française, avec cette anomalie mondiale que constitue le parc français de Zones Economiques Exclusives (ZEE) maritimes : la menace chinoise en Kanaky/Nouvelle-Calédonie n’est évidemment pas un argument contre son indépendance. Mais il est clair que les restes coloniaux européens ne sont pas convoités par les autres impérialismes pour leur assurer la liberté !

D’autre part et surtout, on voit arriver le projet d’asservissement du continent européen lui-même, soit par livraison de l’Europe centrale et orientale à la Russie, soit par soumission de tout le continent via des gouvernements d’extrême droite, éventuellement flanqués de populo-staliniens « de gauche » à la sauce Wagenknecht.

Que l’on se comprenne bien : le fait que les puissances impérialistes européennes soient l’objet d’une tentative les visant de mise hors-jeu, de la part des mastodontes américain, chinois et russe, est en soi indifférent aux intérêts de l’humanité et n’appelle nulle défense des dits impérialismes européens, ancêtres de tous les autres et concepteurs premiers de tous leurs crimes.

Mais le rétablissement d’une domination russe, qui serait le relais des capitaux chinois et du retour partiel des capitaux américains mais exercerait directement son knout, sur l’Est du continent, n’est pas indifférent au « statut » notamment de l’Allemagne, où le spectre de la partition du pays revient à travers la carte électorale, et aussi à la situation de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni.

De ce fait, les réflexions du genre « la menace russe concerne les baltes mais pas l’Europe occidentale » sont déplacées et erronées, si l’on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de la « menace russe » en tant que telle, mais de la décadence impérialiste comme forme barbare du capitalisme au XXI° siècle, dans le cadre d’un partage du monde qui, lui-même, ne conduira pas à l’entente entre les mastodontes qui se le seront partagés, mais à la guerre entre eux.

Le vrai combat pour empêcher cette guerre, c’est donc le combat pour l’indépendance de l’Europe, mais une Europe non impérialiste. Les forces politiques qui cherchent à réagir dans le sens d’une résistance, d’un réarmement, européens, en gros les libéraux, conservateurs « classiques », démocrates-chrétiens, social-démocrates et écologistes à l’échelle du continent, ne peuvent l’engager vraiment, car leur base est celle de la défense des impérialismes européens.

Il ne s’agit pas de défendre les impérialismes et le capitalisme européens, il s’agit de défendre les conquêtes sociales, démocratiques et culturelles. Et cette bataille sera une bataille centrale de l’affrontement mondial entre les classes. Elle va faire de l’Europe, non pas le foyer de la domination capitaliste et impérialiste qu’elle a été, mais un épicentre révolutionnaire mondial, à rebours de toutes les phrases sur le « Sud global », qui n’existe pas mais dans lequel des dizaines de peuples se battent pour survivre contre le désordre barbare actuel.

L’union démocratique et socialiste des peuples européens comme perspective, et dans l’immédiat la défensive pour sauver les Ukrainiens, les Palestiniens et l’Etat de droit : cette perspective stratégique en Europe, avec sa dimension militaire qui ne sera pas un à-côté mais un aspect essentiel, c’est la forme contemporaine concrète de la révolution prolétarienne et démocratique pour sauver un avenir humain dans un monde habitable.

VP, le 02/05/25.
Source : APLUTSOC https://aplutsoc.org/2025/05/02/notes-sur-la-situation-mondiale-et-les-risques-de-guerres-par-vincent-presumey/

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