photo et article tirés de NPA 29
Les fonctionnaires et autres groupes de travailleurs/travailleuses syndiqués bénéficiant d’une couverture de santé décente devront faire des choix difficiles entre revenu et protection. Pendant ce temps, des millions de salarié·e·s des services à bas salaire, de travailleurs du secteur agricole, de travailleurs précaires non couverts, de chômeurs/chômeuses et de sans-abri seront jetés dans la gueule du loup.
Même si Washington résout finalement le fiasco des tests et fournit un nombre suffisant de kits, les personnes non assurées devront toujours payer les médecins ou les hôpitaux pour subir un test.
La facture médicale des familles va s’envoler en même temps que des millions de travailleurs vont perdre leur emploi et l’assurance maladie fournie par leur employeur. Pourrait-il y avoir un argument plus fort et plus urgent en faveur de l’assurance maladie pour tous [Medicare for all] ?
Mais la couverture universelle n’est qu’une première étape.
Il est pour le moins décevant que, lors des premiers débats des primaires démocrates, ni Sanders ni Warren n’aient mis en évidence l’abdication des Big Pharma dans la recherche et le développement de nouveaux antibiotiques et antiviraux.
Sur les 18 plus grandes entreprises pharmaceutiques, 15 ont totalement abandonné le domaine.
Les médicaments pour le cœur, les tranquillisants et les traitements pour l’impuissance masculi-ne sont des leaders en matière de profit, et non des médicaments contre les infections hospita-lières (nosocomiales), les maladies émergentes (dengue, fièvre jaune, fièvre de Lassa, etc.) et les maladies tropicales mortelles (paludisme, filariose, bilharziose, maladie de Chagas, etc.). Un vaccin universel contre la grippe – c’est-à-dire un vaccin qui cible l’enveloppe virale – est une possibilité depuis des décennies mais n’a jamais été une priorité rentable.
Avec le recul de la révolution antibiotique, les anciennes maladies réapparaîtront en même temps que les nouvelles infections et les hôpitaux deviendront des cimetières.
Même Trump peut opportunément se plaindre des coûts absurdes des prescriptions, mais nous avons besoin d’une vision plus audacieuse qui cherche à briser les monopoles pharmaceutiques et à assurer la production publique de médicaments vitaux.
C’était le cas auparavant : pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée a fait appel à Jonas Salk – inventeur du vaccin contre la polio – et à d’autres chercheurs pour mettre au point le premier vaccin contre la grippe. Comme je l’ai écrit – il y a quinze ans – dans mon ouvrage The Monster at Our Door – The Global Threat of Avian Flu. (Le monstre à notre porte – La menace mondiale de la grippe aviaire, The New Press, 2005) :
« L’accès aux médicaments vitaux, notamment les vaccins, les antibiotiques et les antiviraux, devrait relever des droits humains. Ils devraient être universellement disponibles et gratuits.
Si les marchés ne peuvent pas fournir des incitations à produire ces médicaments à bas prix, alors les gouvernements et les organisations à but non lucratif devraient assumer la responsa-bilité de leur fabrication et de leur distribution. La survie des pauvres doit à tout moment être considérée comme une priorité plus importante que les profits des grandes entreprises pharmaceutiques. »
La pandémie actuelle renforce cet argument : la mondialisation capitaliste semble aujourd’hui biologiquement non viable en l’absence d’une infrastructure de santé publique véritablement internationale. Mais une telle infrastructure n’existera jamais tant que les mouvements populaires ne briseront pas le pouvoir des Big Pharma et des soins de santé à but lucratif.
4 – mars – 2020 Mike Davis
(Article publié dans la revue Links, en date du 12 mars 2020 ; traduction A l’Encontre)
Mike Davis est professeur d’histoire à l’Université de Californie à Irvine. Il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits en français, parmi lesquels : City of Quarz, Le pire des mondes possibles, Génocides tropicaux, Petite histoire de la voiture piégée, etc.
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