Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

L’équilibre de la terreur : Qui a peur de la grosse méchante bombe iranienne ?

Uri Avnery [1] , counterpunch.org, 3-5 avril 2015

Traduction, Alexandra Cyr

Je dois commencer par faire un aveu choquant : je n’ai pas peur de la bombe nucléaire iranienne.

Je sais que ça me classe dans les êtres anormaux, presque parmi les « têtes fêlées », mais qu’est-ce que j’y peux ? Je suis incapable de tomber dans la peur comme un véritable Israélien. J’ai beau essayer, la bombe iranienne ne me rend pas hystérique. Mon père m’a un jour enseigné comment résister au chantage : « imagines-toi que l’épouvantable menace faite par le maitre chanteur est déjà passée. À ce moment là, tu peux lui dire d’aller au diable ».

J’ai testé cet avis à plusieurs reprises et je lui ai trouvé beaucoup de sens. Donc, en ce moment, je l’applique à la bombe iranienne. J’imagine que le pire est arrivé. Les épouvantables ayatollahs possèdent la bombe et peuvent éradiquer le petit Israël en une minute.

Et alors ?

Selon des experts étrangers, Israël possède plusieurs centaines de bombes nucléaires. Les estimés vont de 80 à 400. Si l’Iran lançait ses bombes sur Israël et en éradiquait presque tout, moi y compris, les sous-marins israéliens éradiqueraient l’Iran. Quelle que soit mon opinion à propos de M. Netanyahu, je lui fais confiance de même qu’aux responsables de notre sécurité pour que leurs capacités de deuxième frappe soit intactes. Encore la semaine dernière, nous avons appris que l’Allemagne avait livré à notre marine un sous-marin à la fine pointe technique exactement dans ce but.

Les Israéliens-nes plutôt stupides, (et il y en a autour de nous), répondent : « OK. Mais les dirigeants de l’Iran ne sont pas des êtres normaux. Ce sont des fous. Des fanatiques religieux. Ils sont prêts à risquer la disparition de leur pays pour détruire l’État sioniste. Comme dans un jeu d’échec ».

Ces raisonnements sont le fruit de décennies de diabolisation des Iraniens. Leurs dirigeants sont vus comme des mécréants sous-humains.

Pourtant, la réalité nous enseigne qu’ils sont très réservés dans leurs actions, des politiciens très calculateurs. Ils ont l’allure des marchands prudents dans le bazar. Ils ne prennent pas de risques inutiles. La ferveur qu’on a pu voir dans les premières années du régime Khomeyni est révolue depuis longtemps. Et même lui n’aurait pas rêvé de poser un geste qui ressemble autant à un suicide national.

Dans le récit biblique, le roi persan Cyrus 11 Le Grand, a permis aux Juifs captifs à Babylone, de retourner à Jérusalem et de reconstruire leur temple. À cette époque, la Perse était déjà une civilisation ancienne de culture et politiquement. Après leur « retour de Babylone », les Juifs installés autour de Jérusalem ont vécu 200 ans sous suzeraineté persane. J’enseigne dans les écoles que ce fut une période de bonheur pour les Juifs.

Depuis, l’histoire et la culture persanes ont survécus un millénaire et demi de plus. C’est une des plus vieilles civilisations du monde. Elle a donné une grande religion et en a influencé beaucoup d’autres dont le judaïsme. Les Iraniens-nes sont profondément fiers-ères de cette civilisation.

Imaginer que les leaders actuels pourraient envisager un seul instant de prendre le risque de mettre l’existence de leur pays en jeu parce qu’ils détestent Israël, est à la fois ridicule et mégalomaniaque. Tout au long de l’histoire, les relations entre les Perses et les Juifs ont été excellentes. Lors de la fondation d’Israël, l’Iran était considérée comme un allié naturel. David Ben Gourion l’incluait dans sa « stratégie de la périphérie » avec les autres nations arabes de la région.

Le Chäh qui avait été réinstallé à la tête de l’État par les services secrets américains et britanniques, était un proche allié d’Israël. Téhéran regorgeait d’hommes d’affaires et de conseillers militaires israéliens. (Plus récemment), l’Iran a servi de base aux agents israéliens travaillant avec les Kurdes du nord de l’Irak en lutte contre Sadam Hussein. Après la révolution islamique, Israël a soutenu l’Iran au cours de la cruelle guerre contre l’Irak. La fameuse affaire dite « Irangate [2] » qui a mis en scène Ms. Amiran Nir et Oliver North, n’aurait jamais eu lieu n’eurent été des liens anciens entre les deux pays. Même en ce moment, l’Iran et Israël arrivent à s’entendre pour faire avancer un vieux projet, l’oléoduc Eilat-Ashkalon ; il est construit par les deux pays.

Si le pire se confirme, l’Israël nucléaire et l’Iran nucléaire vivront dans l’équilibre de la terreur. Pas très agréable comme perspective c’est clair, mais ce n’est pas une menace existentielle. Malgré tout, à ceux et celles qui vivent dans la terreur des capacités nucléaires iraniennes, je donne cet avis : utilisez le temps qui reste. Avec l’accord américano-iranien, nous avons au moins 10 ans avant que l’Iran ne puisse passer à la phase finale de la préparation de la bombe.

S.V.P. utilisons ce temps pour faire la paix.

La haine iranienne du « régime sioniste », (l’État d’Israël), découle du destin du peuple palestinien. Le sentiment de solidarité avec la situation désespérée des Palestiniens-nes est profondément ancré chez les peuples musulmans. Cela fait parti de leur culture à tous. C’est très authentique même si les dirigeants-es en détourne le sens, les manipule ou les ignore.

Puisqu’il n’existe pas de base précise à la haine iranienne contre Israël, on peut dire que la seule base valide est le conflit israélo-palestinien. Donc, pas de conflit, pas d’inimitié.

La logique nous souligne que si nous avons plusieurs années avant que nous ayons à vivre dans l’ombre de la bombe iranienne, utilisons ce temps pour mettre fin au conflit. À partir du moment où les Palestiniens-nes pourront déclarer que s’en est fini de l’historique conflit avec Israël, plus aucun dirigeant iranien ne pourra soulever son peuple contre nous.

Depuis plusieurs semaines maintenant, M. Nétanyahu affiche publiquement sa fierté d’avoir réussi quelque chose d’historique. Pour la première fois, le pays fait pratiquement parti de l’Alliance arabe.

Partout dans la région, le conflit entre les musulmans sunnites et chiites, fait rage. Le camp chiite est dirigé par l’Iran et inclut les Chiites d’Irak, le Hezbollah au Liban et les Houtis au Yémen. (M. Nétanyahu par ignorance ou autrement, inclut le Hamas dans ce groupe alors qu’il est sunnite). Le camp adverse, sunnite, comprend l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les pays du Golfe (persique). M. Nétanyahu laisse entendre qu’Israël a été accepté dans cette alliance.

Cela fait désordre !

L’Iran lutte contre le groupe armé état islamique en Syrie et en Irak deux ennemis mortels d’Israël. Il soutient le régime Assad à Damas que le Hezbollah soutient également et qui se bat contre le groupe armé état islamique. De son côté, l’Arabie saoudite soutient les extrémistes sunnites syriens qui luttent contre B. Al Assad et le groupe armé état islamique. La Turquie pour sa part soutient l’Iran et les Saoudiens qui se battent contre M. Assad. Et ainsi de suite…

Je suis loin d’aimer les dictateurs militaires arabes et les monarchies corrompues. Franchement je les déteste. Mais si Israël arrive à devenir officiellement membre de quelque coalition arabe que ce soit, ce serait historiquement sans précédent ; la première fois depuis les 130 ans du conflit arabo-sioniste.

Quoiqu’il en soit, les relations d’Israël avec les pays arabes sont secrètes sauf dans les cas de la Jordanie et de l’Égypte. Et encore là, les contacts sont distants et plutôt froids. Je parle des relations entre les régimes pas entre les peuples. Une paix véritable avec les pays arabes est impossible sans la paix avec les Palestiniens-nes tout comme cette paix n’est possible que si la paix existe avec les pays arabes.
Donc, s’il y a une chance de faire la paix officiellement avec l’Arabie saoudite et les États du golfe, de transformer la froide paix avec l’Égypte en une paix véritable, M. Nétanyahu devrait la saisir au plus vite. Les conditions d’une entente sont là déjà sur la table : c’est le plan de paix de l’Arabie saoudite, autrement appelée « Initiative arabe » qui a été adoptée il y a bien des années par la Ligue arabe. Il est basé sur la solution des deux États palestinien-israélien.

M. Nétanyahu pourrait étonner le monde entier en faisant un « De Gaulle » de lui-même : faire la paix avec le monde arabe sunnite (comme De Gaulle a fait en Algérie) ce qui forcerait les Chiites à en faire autant.

Est-ce que j’y crois ? Non, mais si Dieu le veut, même un manche à balai peut tirer.
Et en ces jours de la Pâques juive, où on commémore l’imaginaire sortie d’Égypte on se rappelle que les miracles arrivent.


[1- Uri Avnery est un écrivain israélien, militant pour la paix au sein de Gush Shalom (dont il est un des fondateurs. N.d.t.) . Il a contribué au livre de Counter punch, The Politics of Anti-Semitism.

[2Au cours de l’administration Reagan, durant les années 80, des représentants des USA ont vendu des armes aux Iraniens alors ennemis déclaré du pays. Avec les profits de ces ventes, ils ont soutenu les « Contras » au Nicaragua. Ces milices contre révolutionnaires menaient la guerre contre le gouvernement de gauche de D. Ortéga. Le Congrès américain avait refusé toute aide à ces groupes. Encore aujourd’hui, il subsiste des zones d’ombre dans cette affaire dont les protagonistes ont été traduits en justice. N.d.t.

Mots-clés : Asie/Proche-Orient Iran

Sur le même thème : Asie/Proche-Orient

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...