Édition du 3 décembre 2024

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Europe

Leur vision de l’immigration et la nôtre

L’immigration est-elle « utile » ? En finir avec un débat réactionnaire

Depuis la nomination de Bruno Retailleau et ses annonces chocs sur une loi immigration 2.0 ultra répressive, le débat sur l’équation coûts/bénéfices de l’immigration refait surface, y compris à « gauche ». Une « défense » des immigrés alignée sur les besoins du patronat qui participe d’un consensus xénophobe avec laquelle il est grand temps d’en finir.

20 novembre 2024 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/L-immigration-est-elle-utile-En-finir-avec-un-debat-reactionnaire

Depuis quelques mois quelques voix s’élèvent contre la surenchère réactionnaire à l’œuvre du côté de la place Beauvau contre les immigrés. De Sophie Binet à Olivier Faure, en passant par une large partie de la gauche institutionnelle et syndicale, la « riposte » aux politiques anti-immigrés du gouvernement participe cependant du même argumentaire. L’offensive raciste de Retailleau serait critiquable moralement, politiquement, …, mais surtout parce qu’elle manquerait l’essentiel : les « immigrés » servent à quelque chose ; ils sont utiles.

« Notre position est de dire qu’il faut en finir avec une forme d’hypocrisie, avec ces femmes et ces hommes qui font tenir le pays debout, qui travaillent, qui sont dans des conditions souvent d’exploitation, et ceux-là doivent être régularisés » explique ainsi Olivier Faure. Sophie Binet avance aussi que : « les personnes immigrées travaillent et rapportent beaucoup plus au pays qu’elles ne lui coûtent ».

L’ensemble des enquêtes et études au sujet de l’immigration corroborent ces propos : les immigrés rapportent plus qu’ils ne coûtent. Il y a cependant un problème à enfermer d’emblée tout débat sur l’immigration dans une logique comptable. Puisque l’immigration « rapporte », encore faut-il se demander quels sont les immigrés qui sont rentables ? Et bien souvent cela amène à réaliser un tri entre les travailleurs sans-papiers et les autres sans-papiers. C’est le cas notamment d’Olivier Faure, secrétaire général du Parti Socialiste qui défend une régularisation réservée uniquement aux travailleurs sans-papiers.

La logique, par-delà la différence de posture et de programme, n’est en réalité pas différente de celle qui anime les différentes organisations patronales au sujet de l’offensive xénophobe en cours. Assumant une position qui nuance les propositions du ministre de l’Intérieur, le président du Medef défendait à ce titre en septembre dernier au micro de France Info la nécessité de « ne pas s’interdire de recourir à tous les niveaux de qualification à de la main d’œuvre immigrée ». Il ajoutait que son organisation est « contre les sans-papiers car sur le plan des distorsions de concurrence, c’est inadmissible ». Une position adoubée par la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet qui a expliqué vouloir « travailler » le sujet avec son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Et une ligne en adéquation par ailleurs avec la proposition du titre de métiers en tension dans la dernière loi immigration portée par Gérald Darmamin et votée en janvier dernier. Ce titre, défendu par une partie du patronat et de la gauche syndicale et politique cherchait à favoriser la régularisation de travailleurs sans papiers dans les secteurs dans lesquels la main d’oeuvre se fait rare. Cette mesure présentée au moment des débats comme le volet progressiste de la loi ne constituait pourtant en réalité qu’un moyen d’entériner la surexploitation des travailleurs sans-papiers dans les secteurs les plus difficiles et les plus mal payés. Par exemple, dans le seul secteur de l’aide à la personne considéré comme un secteur en tension, on compte 25% de travailleurs étrangers.

Cette logique en voie d’expansion s’est accompagnée de l’intensification depuis les années 2000 de la chasse aux étrangers en situation irrégulière sur les lieux de travail, contribuant ainsi largement à alimenter la surexploitation des travailleurs étrangers. La loi du 24 juillet 2006 qui réintroduit la carte de séjour lié au travail et autorise des régularisations exceptionnelles pour les sans-papiers parrainés par leur employeur avec un contrat de travail a eu pour corollaire d’inciter davantage encore les travailleurs immigrés à accepter n’importe quel emploi tout en les rendant plus dépendants de leurs patrons. Dans le même temps, ceux qui auraient refusé de pourvoir les emplois vacants et aux conditions de travail dégradées ont vu leur expulsion facilitée. Un chantage qui n’a profité qu’aux patrons.

De plus, cette régularisation quasi exclusivement par le travail participe d’une logique de multiplication et de hiérarchisation des titres de séjour qui aboutissent in fine à une précarisation du séjour. Les récentes politiques migratoires restrictives organisent cette fabrique du sans-papier très largement fonctionnelle au système capitaliste. Cette « organisation pyramidale » [1] de l’immigration selon la stabilité du titre de séjour instaure une pression permanente, comme une épée de Damoclès sur la tête des travailleurs sans-papiers pour qu’ils acceptent leur assignation à la surexploitation.
De la surexploitation au consensus raciste

Toutes ces positions qui ont en commun de conditionner la régularisation des sans-papiers de façon plus ou moins assumée à leur rentabilité pour le patronat jouent également un jeu dangereux et plus insidieux encore. Ce faux débat sur les coûts/bénéfices des travailleurs sans-papiers pour le patronat participe en effet à conforter les politiques pro-immigration choisie contre ladite immigration subie et, en dernière instance, alimente le consensus xénophobe et raciste à l’œuvre. L’immigré est alors perçu comme acceptable à la condition qu’il soit une ressource, un corps corvéable à merci qui permettra au patronat de baisser les coûts de la main d’œuvre, y compris « blanche », dans des secteurs qui ne sont pas délocalisables comme le bâtiment, l’aide à la personne ou encore la restauration

Accepter de défendre la logique de l’immigration choisie, c’est défendre la précarisation subie de tous les sans-papiers et une dégradation des conditions de l’ensemble de la classe ouvrière. Une telle position revient à s’adapter largement aux propositions du Rassemblement National et plus largement aux politiques migratoires réactionnaires. Elle cherche à « rassurer » les travailleurs nationaux auxquels on rabâche depuis des années que les immigrés « vont voler leur travail » ou qu’ils « profitent des services publics ». Comme une manière de dire : « ne vous inquiétez pas trop travailleurs nationaux - et blancs - certains immigrés nous rapportent de l’argent ». Des propositions qui se révèlent donc inutiles voire dangereuses au moment de lutter contre le racisme qui infuse dans notre classe.

Pourtant sur cette voie, la « gauche » a joué une partition active. L’adaptation au langage libéral et à ses politiques en effet n’est pas une nouveauté. On pensera par exemple à la ligne protectionniste et nationaliste des années Marchais au PCF ou encore à François Mitterrand qui, dans les années 90 affirmait que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers avait été atteint dans les années 70. En rejoignant progressivement la position de la droite, le PS a fini par imposer l’idée qu’il n’y aurait pas d’alternative et que l’immigration constituerait en soi un problème dont il s’agirait de minimiser les conséquences négatives.

On remarquera enfin à quel point les discussions autour des « bénéfices » du travailleur immigré, du RN à la gauche, participent d’une discussion plus large sur la productivité des travailleurs immigrés ou non. Comment ne pas voir que la surenchère anti-immigré de l’extrême-droite et du macronisme et l’offensive anti-sociale contre les « assistés » partagent le même vocabulaire et la même logique intrinsèque ? Comment ne pas voir que dans la séquence austéritaire en cours ce sont l’ensemble des travailleurs qui sont menacés ici et là de licenciements ou de baisses de salaires précisément parce que la crise ferait qu’ils ne « rapporteraient » plus assez ?

Il y aurait bien évidemment une discussion plus large à porter au débat sur qui fait « tourner la société » et surtout au profit de qui. Mais en réduisant cet enjeu à la seule question de l’immigration, les hérauts de « l’utilité de l’immigration » participent d’une double division : entre les immigrés eux-mêmes (ceux qui seraient utiles et ceux qui ne le seraient pas), entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux ensuite.

A rebours de ces logiques de division et d’adaptation au consensus xénophobe et sécuritaire, les syndicats et les organisations qui se réclament de la gauche devraient au contraire chercher à unifier les travailleurs nationaux et immigrés et refuser la logique de précarisation du séjour à l’oeuvre. Cela passe par revendiquer la régularisation de tous les sans-papiers sans condition, l’ouverture des frontières et la liberté de circulation pour toutes et tous. Alors que le gouvernement mène des politiques austéritaires d’ampleur et que le patronat prévoit des plans de licenciements massifs, ces revendications doivent s’accompagner de la défense du partage du temps de travail entre tous et toutes, de la fin des contrats précaires. Ce sont les seules mesures capables de résorber le chômage, d’en finir avec la surexploitation d’une partie de notre classe et avec la division travailleurs étrangers et nationaux qui ne profite qu’aux grands capitalistes.

[1] Said Bouamama, Des classes dangereuses à l’ennemi intérieur, Editions Syllepse, p.139

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