Édition du 10 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La Chine rebat les cartes au Moyen-Orient

L’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran annoncé vendredi à Pékin, sous l’égide de la Chine, marque un changement d’époque. La puissance asiatique va désormais au-delà d’un rôle purement économique dans une région marquée par les conflits et se pose en médiatrice diplomatique. Une évolution rendue possible par l’effacement états-unien.

Tiré de Médiapart.

L’annonce vendredi 10 mars, à Pékin – le jour même où le président Xi Jinping était adoubé pour un troisième mandat –, d’un accord entre les deux grands rivaux du Moyen-Orient, l’Arabie saoudite et l’Iran, sous l’égide de la République populaire de Chine, a surpris tout le monde, actant l’effacement états-unien de la région et l’ancrage de la présence chinoise, qui va désormais au-delà de ses intérêts économiques. Elle constitue aussi un succès diplomatique pour la Chine peu de temps après la présentation de son plan de paix pour l’Ukraine, qui, lui, n’a guère convaincu.

Le texte, qui insiste sur le respect de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, a été co-signé par le plus haut représentant diplomatique chinois Wang Yi, membre du bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et directeur de sa commission des affaires étrangères, et les représentants saoudien, Musaad bin Mohammed al-Aiban, ministre d’État, membre du conseil des ministres et conseiller à la sécurité nationale, et iranien, Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale.

Il prévoit la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays, en quête de stabilité, « et la réouverture de leurs ambassades et missions dans un délai n’excédant pas deux mois ». Pour ce faire, les ministres des affaires étrangères devront se retrouver « pour mettre en œuvre cet accord, organiser le retour de leurs ambassadeurs et discuter des moyens de renforcer les relations bilatérales ».

La rivalité entre les deux nations musulmanes, l’une chiite, l’autre sunnite, est un facteur d’instabilité dans la région depuis 2016. L’Arabie saoudite accuse l’Iran de soutenir des milices chiites au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban. Des négociations de paix avaient débuté il y a deux ans, mais semblaient patiner. En décembre dernier, Xi s’était rendu en Arabie saoudite, un déplacement très remarqué dans un pays traditionnellement lié aux États-Unis. Le mois dernier, le président iranien Ebrahim Raisi avait effectué une visite d’État de trois jours en Chine.

L’annonce depuis Pékin marque donc un tournant important.

Tout d’abord, elle consacre une nouvelle époque : celle où la Chine sort de son rôle de partenaire exclusivement économique – de plus en plus important au fil des ans, le dernier exemple en date étant l’accord de livraison par le Qatar de gaz naturel liquéfié (GNL) pendant 27 ans, 4 millions de tonnes par an, pour un montant de 60 milliards de dollars. Comme le soulignait peu après cette signature l’analyste Justin Dargin, « la Chine a développé sa présence dans le Golfe de manière proactive et méticuleuse, contrairement à la manière quelque peu désordonnée et réactive avec laquelle l’Occident s’est engagé avec une grande partie du monde au cours de la dernière décennie ».

Un système international en faillite

Jusqu’au mandat de Donald Trump, durant lequel priorité avait été donnée aux affaires intérieures états-uniennes et à une diplomatie marquée par les « deals » et guidée par les intérêts sonnants et trébuchants à court terme, Pékin avait tissé sa toile économique dans la région mais prenait soin de laisser à Washington la main sur les questions sécuritaires.

Ce n’est plus le cas et l’accord annoncé vendredi montre que la République populaire de Chine est bien décidée à s’affirmer comme un acteur diplomatique de premier plan, conformément aux ambitions de Xi Jinping et à son Initiative pour la sécurité mondiale (GSI) dévoilée à la mi-février. Il s’agit pour Pékin de mettre en avant ses solutions pour contribuer à la paix dans le monde en se posant comme une alternative aux États-Unis.

La Chine n’a cessé de dénoncer la « mentalité de guerre froide » des Américains et leur hégémonie. Pékin peut aussi bénéficier du soutien d’une grande partie de ce que l’on désigne désormais comme le « Sud global », réunissant ces pays qui refusent de s’aligner sur les positions occidentales, promeuvent une forme de non-alignement et sont attirés par la mise en avant par les Chinois de l’importance du développement économique, des investissements et de la non-ingérence dans les affaires intérieures. Une musique agréable aux oreilles de nombre de dictateurs – Pékin promeut non pas le « règne de la loi » (rule of law) mais le « règne par la loi » (rule by law) –, mais pas seulement.

En effet, si les Occidentaux sont unis dans leur volonté d’aider l’Ukraine face à l’agresseur russe, ils n’ont pas réussi à convaincre une grande partie des pays africains et latino-américains, payant le prix de leurs erreurs passées (Irak, Afghanistan, Libye...). Si le système international bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est en faillite, la responsabilité en incombe aussi aux Occidentaux, et en particulier aux États-Unis, qui se sont illustrés par leur capacité de fouler aux pieds les principes qu’ils proclamaient lors d’interventions militaires à répétition.

Le spécialiste Rudolf Moritz juge ainsi que la Chine « est en passe de devenir une force mondiale dans le domaine du droit international ». « Nous assistons au tout début de cette évolution. Les implications pour l’ordre (juridique) international seront énormes », a-t-il ajouté.

L’un des domaines investis par la Chine est donc la résolution des conflits locaux, comme le montre l’annonce de l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Mi-février était inauguré à Hong Kong un « bureau préparatoire » de l’Organisation internationale pour la médiation, un organisme destiné, selon Pékin, à « explorer les voies d’une résolution pacifique des différends internationaux dans les nouvelles circonstances ». Les premiers pays à y participer sont l’Indonésie, le Pakistan, le Laos, le Cambodge, la Serbie, le Bélarus, le Soudan, l’Algérie et Djibouti.

Verra-t-on d’autres initiatives chinoises couronnées de succès ? Sans doute. Pour Wu Sike, ancien envoyé spécial pour les questions relatives au Moyen-Orient et chercheur à l’université du Peuple de Pékin, « la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran ne profitera pas seulement aux deux pays, mais aura également un impact positif sur la stabilité et la paix régionales, ainsi que sur la résolution des points chauds de la région, notamment la Syrie et le Yémen, et, plus généralement, sera constructive pour les questions palestiniennes et israéliennes ».

Wu Sike souligne que l’envoyé spécial du gouvernement chinois pour le Moyen-Orient « est toujours en visite en Israël et encourage un nouveau cycle de coordination avec les Nations unies, ce qui témoigne de la politique cohérente et des efforts inlassables de la Chine au Moyen-Orient ».

Les États-Unis, qui continuent à fournir la majorité des armes et des systèmes de défense du royaume saoudien, ont salué officiellement l’accord irano-saoudien sous l’égide de Pékin. Mais nul doute qu’en privé, les inquiétudes sont réelles. Pour Daniel C. Kurtzer, ancien ambassadeur états-unien en Israël et en Égypte cité par le New York Times, « c’est un signe de l’habileté chinoise pour profiter de la colère de l’Arabie saoudite à l’égard des États-Unis et d’un certain vide à ce niveau ».

Certain·es expert·es mettent cependant en garde contre tout optimisme excessif, en soulignant à quel point les points de tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran restent forts. Et le fait que le remède chinois prôné par Xi Jinping ne pourra pas guérir tous les maux du Moyen-Orient.

François Bougon

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