Édition du 23 avril 2024

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Immigration

La Grèce attaque les migrants, Frontex va les rejeter. Lettre ouverte au Président

Suite à la récente décision du président Recep Tayyip Erdoğan d’ouvrir les frontières de la Turquie avec la Grèce, 20 000 migrant·e·s sont coincés entre les deux pays, d’autres attaqués par les garde-côtes grecs, et l’Europe confie une mission d’envergure à l’agence Frontex pour porter « assistance » à la Grèce… mais quelle assistance est-elle prévue pour les migrant·e·s ?

Tiré du blogue de l’auteur.

« Les garde-côtes grecs tirent autour d’une frêle embarcation pour qu’elle fasse demi-tour »

2 mars 2020 : reportage de Pierre-Louis Caron en Mer Égée pour FranceInfo.

Suite à la récente décision par le président Recep Tayyip Erdoğan d’ouvrir les frontières de la Turquie avec la Grèce, 20 000 migrant·e·s se pressent vers l’Europe, 900 000 autres qui fuient les bombardements russes et syriens se prépareraient à l’exode.

« La nouvelle présidente de la Commission européenne a affirmé son soutien au gouvernement grec, et promet une aide de 700 millions d’euros fournie par les institutions de l’Union et les Etats membres, ainsi qu’un renfort de Frontex, l’agence européenne de sécurité des frontières extérieures, n’hésitant pas à parler de "bouclier de l’Europe" s’agissant de la Grèce. » 1

« La relation avec la Turquie met à rude épreuve la cohésion politique de l’Alliance atlantique » écrit la politiste Alexandra de Hoop Scheffer le 4 mars dans le journal Le Monde.2

« Dans la nuit du 2 au 3 mars, en effet 3, le gouvernement grec a demandé à l’Agence Frontex 4 de lancer une intervention rapide aux frontières sur ses frontières maritimes en mer Égée.

Ces interventions rapides aux frontières sont destinées à porter assistance aux États membres de l’Union Européenne soumis à une pression urgente et exceptionnelle sur leurs frontières extérieures, spécifiquement si un grand nombre de migrant·e·s non européens tentent de pénétrer illégalement dans le pays. »

Fabrice Leggeri, Directeur Exécutif de Frontex déclarait le 2 mars :

« Au vu de la situation qui se développe rapidement aux frontières gréco-turques, ma décision est de lancer une intervention rapide aux frontières demandée par la Grèce. Cela fait partie du mandat de Frontex d’assister un État membre confronté à une situation exceptionnelle qui requiert un soutien urgent en officiers et équipement de la part de tous les États-Membres européens et des pays associés par les accords de Shengen. »

L’Agence Frontex est contractuellement tenue d’apporter ce soutien sous cinq jours pour les officiers et dans les dix jours pour le matériel.

« Nous comptons lancer nos opérations le 12 mars », a déclaré par téléphone à l’AFP Ewa Moncure, porte-parole de Frontex.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré avoir « ouvert les portes » pour les migrants après la mort de dizaines de ses soldats dans des bombardements aériens du régime du président syrien Bachar al-Assad dans le nord de la Syrie.

Il fait ainsi pression sur l’UE et les membres de l’Otan afin d’obtenir leur soutien dans ses opérations militaires en Syrie.5 »

Lundi 2 mars, à 9h07, Ahmed Abu Emad, un migrant syrien a été tué par l’armée grecque, abattu à la gorge alors qu’il tentait de traverser la frontière à Ipsala – ville turque qui fait face à Kipa en Grèce – avec des centaines de migrants. »

https://fr.wikipedia.org/wiki/İpsala

Le poste frontière d’Ipsala le 2 mars 2020 : des milliers de migrant·e·s sont bloqué·e·s dans la zone tampon entre les deux pays.

Par ailleurs, « selon l’enquête menée par le site d’investigation allemand Correctiv, la télévision ARD et les journalistes britanniques du Guardian, Frontex tolère et se rend elle-même coupable de violations des droits fondamentaux de réfugiés. Les journalistes se fondent sur des rapports internes qu’ils ont pu consulter.

À l’origine des révélations se trouvent deux personnes cherchant à savoir si Frontex essayait vraiment de sauver des vies en Méditerranée, et qui mènent depuis lors une bataille pour plus de transparence : le journaliste allemand Arne Semsrott et l’Espagnole Luisa Izuzquiza, une militante du droit à l’information. Ensemble, à l’automne 2017, ils ont déposé la première plainte contre Frontex pour manquement à l’obligation de transparence.

Car il existe “un terrible doute, écrit Correctiv, dont les sauveteurs en mer parlent à demi-mot et qui entame la conscience de l’Europe. » 6

Nous sommes dès lors face à un durcissement de grande ampleur, alors que les migrant·e·s sont pris en tenaille entre la Syrie en guerre, la Turquie qui ouvre les frontières et la Grèce, à qui l’Europe impose de les maintenir à l’extérieur, par tous les moyens militaires à sa disposition.

C’est du fait de cet affrontement programmé avec des personnes susceptibles de bénéficier du droit d’asile dans les pays européens que de nombreuses ONG viennent de lancer cet appel de la plus extrême urgence au président Macron, l’invitant à respecter et faire respecter les conventions internationales signées et ratifiées par les pays européens et notamment la France.

Espérons que le mot “Fraternité” écrit en plus petits caractères que “Liberté” et “Égalité” lors du discours de Mulhouse, ne sera le signe d’aucune régression de la pensée française par le fait du président .

Voici le texte, suivi des organisations signataires.

Lettre ouverte de plusieurs organisations à l’attention du Président de la République

Objet : Situation à la frontière entre la Grèce et la Turquie

Monsieur le Président,

Paris, le 4 mars 2020

Depuis plusieurs jours, un nombre important de personnes en grande détresse affluent aux frontières entre la Turquie et la Grèce. Elles sont prises au piège, coincées entre les deux lignes de frontières. Parmi elles, un nombre important de réfugié-e-s syrien-ne-s et une grande proportion de femmes et d’enfants.

L’instrumentalisation de ces populations par le Président turc ne fait aucun doute mais la réponse européenne ne peut être purement sécuritaire. Si les enjeux sont aussi diplomatiques en raison de la situation au nord de la Syrie et dans les pays avoisinants, ils sont avant tout humanitaires.

Nous ne pouvons voir se reproduire la situation de 2015 en pire. La « crise » qui se joue aux frontières de l’Union européenne concerne avant tout l’accueil des personnes réfugiées.

La réaction des autorités grecques et l’impuissance de l’Union européenne sont humainement catastrophiques et politiquement inacceptables. Les principes de base du droit international sont bafoués : blocage des frontières, suspension du droit d’asile, menace de renvoyer « si possible dans son pays d’origine » toute personne entrée sur le territoire grec sans procéder au moindre examen de situation.

Au moment où l’extrême droite attise plus que jamais les tensions, nous pensons qu’il y a urgence à tout faire pour que l’Union européenne et ses Etats membres fassent preuve d’une humanité à la hauteur des besoins. Elle a politiquement tout à perdre en refusant de voir la réalité des enjeux.

Le droit européen permet de faire face à cette situation : la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine est prévue spécifiquement pour les cas exceptionnels comme ce qui se passe aujourd’hui à la frontière gréco-turque. Ce mécanisme peut être enclenché sur demande de tout Etat membre. Cet Etat peut être la France.

Vous avez à de nombreuses reprises appelé à la solidarité européenne. C’est pourquoi les signataires de cette lettre vous demandent d’intervenir en ce sens et de tout faire pour que l’Union européenne prenne les mesures nécessaires pour accueillir dignement celles et ceux qui se présentent à ses frontières dans le respect des normes internationales, du droit européen et tout simplement des droits de l’Homme.

Vous comprendrez que cette démarche soit rendue publique.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

Signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), Association des avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Association de soutien aux Amoureux au ban public, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (Ardhis), Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac), Auberge des migrants, Carré géo-environnement, Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), Centre Primo Lévi, La Cimade, Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire), Confédération générale du travail (CGT), Emmaüs France, Fédération syndicale unitaire (FSU), Forum réfugiés-Cosi, Jesuit refugee service France (JRS France), Ligue des droits de l’Homme (LDH), Médecins du monde (MDM), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Roya citoyenne, Secours Catholique-Caritas France, Solidarité laïque, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM), Tous migrants, Union syndicale Solidaires, Unir les associations pour développer les solidarités (Uniopss), Utopia 56.

Avec le soutien de : Association Revivre, Droit au logement (DAL), CARE France, Coordination Solidarité urgence développement (Sud), France terre d’asile, Groupe URD, Réseau éducation sans frontières (RESF).

Contact : Ligue des droits de l’Homme, 138 rue Marcadet 75018 Paris – 01 56 55 51 06 – direction@ldh-france.org

Notes

1- https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/affaires-etrangeres-emission-du-samedi-07-mars-2020

2- https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/04/la-relation-avec-la-turquie-met-a-rude-epreuve-la-cohesion-politique-de-l-alliance-atlantique_6031735_3232.html

3- https://frontex.europa.eu/media-centre/news-release/frontex-to-launch-rapid-border-intervention-at-greece-s-external-borders-NL8HaC

4- « L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes », officiellement créée le 6 octobre 2016. Son budget sera progressivement augmenté, passant de 143 millions d’euros initialement prévus pour 2015 à 322 millions d’euros en 2020. Le personnel de l’agence devrait ainsi augmenter progressivement de 402 membres en 2016 à 1 000 d’ici à 20203. Une force de réserve de 1 500 gardes, dont 170 français1, utilisant des moyens d’intervention rapides, sera constituée.

5- Agence France-Presse, publiant dans Mediapart le 5 mars https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/050320/frontiere-grece-turquie-l-agence-europeenne-frontex-lancera-le-12-mars-son-operation-de-soutien

6- https://www.courrierinternational.com/article/enquete-lagence-frontex-ce-geant-europeen-hors-de-controle 06/08/2019

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