Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Grande-Bretagne

La Révolution Corbyn

L’évènement est bien plus important que nous n’aurions pu l’imaginer. C’est un changement radical dans la politique britannique, comparable à ce qui s’est passé en 1979 lorsque le Parti travailliste s’est effondré, que Thatcher s’est emparée du pouvoir et que la contre-révolution néolibérale a commencé.

Tiré du site d’Ensemble.

James Callaghan, le Premier ministre battu en 1979, confiait à son conseiller la veille du scrutin : « c’est un changement politique radical. Quoi que nous puissions faire, cette élection tourne autour de Madame Thatcher ». Et Thatcher a effectivement réussi la plus grande transformation des rapports de force électoraux depuis la guerre. Et, à nouveau, nous avons un nouveau changement radical. Les élections générales britanniques de 2017 ont tourné autour de Jeremy Corbyn : il a réalisé la plus grosse progression électorale d’un parti depuis la guerre. Un changement radical : pas simplement un scrutin parmi d’autres, mais un retournement de situation, un ébranlement tectonique de la politique britannique, une renaissance du réformisme, de la social-démocratie et du Parti travailliste comme le mouvement populaire et radical qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Nous assistons au début d’une transformation de l’ensemble du paysage politique telle que l’on en connaît qu’une par génération.

Un vieux camarade m’a envoyé un texto pour me dire qu’il adhérait au Parti travailliste. Il fait partie des 150.000 personnes qui ont rejoint le Parti travailliste depuis l’élection, augmentant le nombre de ses membres jusqu’au chiffre stupéfiant de 800.000. Cela signifie qu’un électeur travailliste sur 15 est membre du Parti. En comparaison, le Parti conservateur a 150.000 membres et le ratio entre électeurs et membres du Parti est de 90.

Le jeune âge de celles et ceux qui rejoignent aujourd’hui le Parti travailliste fournit une autre indication du fait qu’il s’agit bien d’un mouvement social. Plus de 250.000 jeunes se sont inscrits sur les listes électorales durant la campagne électorale. 63% des 18 – 34 ans ont voté pour le Parti travailliste, alors que seulement 27% ont voté pour le Parti conservateur.

Lorsque les médias caractérisent l’élection générale britannique de 2017 comme « une révolte de la jeunesse », ils ont tout à fait raison. On rapporte que, à travers tout le pays, des rassemblements de jeunes scandaient le nom de Jeremy Corbyn. Ce vieux militant socialiste de 68 ans, ancien député de base, est devenu pour des centaines de milliers de jeunes le symbole de l’espoir en un monde meilleur, plus juste et plus décent.

Ce sont les jeunes, les gens tolérants et idéalistes qui ont voté pour le Parti travailliste. L’enjeu de cette élection était l’affrontement entre deux pays et deux visions de ce que la société doit devenir.

Mais il y a plus. Nous avons assisté à la renaissance du réformisme social-démocrate comme mouvement politique de masse en Grande-Bretagne. La « révolution Corbyn » - appelons-la comme ça … - est la déclinaison britannique d’un phénomène mondial qui a déjà inclus Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, la campagne de Bernie Sanders aux Etats-Unis et celle de Jean-Luc Mélenchon en France.

A chaque fois, l’élan du réformisme de masse s’engouffre dans l’outil le plus adéquat : parfois ce sont de nouvelles coalitions de gauche, ailleurs de nouveaux partis radicaux et quelques fois, comme aux Etats-Unis et ici en Grande Bretagne, ça se passe à l’intérieur de partis « à gauche du centre » et qui semblaient désespérément pourris.

Le revirement a été spectaculaire. Le New Labour a été écrasé, pour l’instant. Des opportunistes, très droitiers, comme Chuka Umunna and Stephen Kinnock, qui viennent de passer deux années à saper le leadership de Corbyn, font savoir maintenant qu’ils sont désireux de servir au sein du cabinet fantôme !

Il faut espérer que Corbyn sera assez têtu pour composer une direction qui croit dans le Manifeste du Parti travailliste et dans le réformisme social-démocrate et qui cherche bien à représenter les intérêts des gens ordinaires, pas ceux des riches, des multinationales ni à favoriser leur propre carrière.

Le message délivré par cette élection générale n’aurait pas pu être plus limpide : c’est un rejet sans aucune ambiguïté de la politique que défendent des gens comme Umunna et Kinnock. Les 13 millions de gens qui ont voté pour le Parti travailliste l’on fait parce que le dirigeant de ce parti est un partisan du socialisme et parce que le manifeste de ce parti est un programme social-démocrate de réformes dans l’intérêt de la majorité travailleuse.

C’est cela qui doit déterminer tout ce qui suivra.

Alors que règne une euphorie consécutive aux élections, il ne faut pas se laisser aller aux illusions. Si nous sommes bien en présence d’un renversement de situation, si au bout du compte les gens ordinaires de la société britannique, conduits par la jeunesse, sont en révolte contre les inégalités grotesques et les injustices de l’ère néolibérale, si ceux qui sont la grande majorité lancent la riposte contre la minorité, il va y avoir une opposition massive venant des riches, des banques, des multinationales, de l’Etat, des médias et de leurs lèche-bottes du monde politique.

Voter ne va pas suffire. Nous aurons besoin de mobilisations dans la rue, dans les localités, les campus et les entreprises. Nous aurons besoin de manifester, de faire grève, de participer à des actions de masse.

D’abord, il faut renverser le gouvernement de Theresa May. C’est un régime de droite dure, qui met en œuvre l’austérité et les privatisations, qui prépare un Brexit raciste dopé par les suffrages des misogynes, des homophobes et des bigots anticatholiques d’Ulster. Ce gouvernement est largement détesté et désespérément faible et instable. Notre tâche est de le chasser. Notre tâche est de nous assurer que le mastodonte néolibéral – temporairement stoppé par cette élection étonnante et la renaissance du Parti travailliste comme mouvement social de masse – ne se remette pas en marche.

Neil Faulkner

Collaborateur au site Left unity (Grande-Bretagne).

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