Édition du 3 décembre 2024

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Élections Québec 2014

La campagne électorale, l’éducation et le printemps québécois

S’il est si peu question d’éducation dans cette campagne électorale, n’est-ce pas paradoxalement le meilleur indice que le printemps érable a fait voler en éclats le cadre étroit de la démocratie représentative ?

Anthony Glinoer est professeur de littérature à l’Université de Sherbrooke, co-auteur de Le printemps québécois. Une anthologie (Écosociété, 2013)

La campagne électorale, l’éducation et le printemps québécois

La fin de campagne approchant, il apparaît désormais clairement que l’éducation n’aura que la portion congrue dans les enjeux discutés en vue des élections du 7 avril. Selon un sondage récent (CROP-SRC), à peine 5 % des répondants ont placé l’éducation parmi les principales priorités des élections. Aucun des quatre principaux partis n’a fait campagne sur ce sujet ou n’a pris d’engagement nouveau en la matière. Les fédérations étudiantes donnent bien encore de la voix pour souhaiter une revalorisation de l’aide financière mais des grandes questions soulevées en 2012 sur l’accessibilité aux études, sur le rapport de l’éducation aux entreprises et au service public, sur le rôle de la recherche fondamentale, on ne pipe plus mot. Le silence à propos du futur de l’éducation au Québec est devenu si assourdissant que les recteurs en sont venus à réclamer par voie de publicité dans la presse un refinancement des universités. Deux ans après la grande manifestation du 22 mars 2012, que reste-t-il donc du printemps érable dans cette campagne électorale ?

Les raisons du silence

Les sujets de préoccupation ne manquent pourtant pas. Après un départ tonitruant au lendemain des élections de septembre 2012 (abrogation de la loi 12, annulation du projet libéral de hausse des frais de scolarité), bientôt suivi par l’organisation d’un Sommet sur l’enseignement supérieur décevant aux dires de tous les acteurs, le gouvernement minoritaire formé par le Parti québécois a principalement pris deux sortes de mesures dans le domaine de l’éducation. D’une part il a annoncé quelques réformes à caractère hautement symbolique (création de chaires de recherche sur l’identité québécoise, instauration d’un cours obligatoire d’histoire du Québec dans les cégeps), d’autre part il a imposé des mesures d’économie, parfois draconiennes, à tous les niveaux d’enseignement. En ce qui concerne les universités, les compressions budgétaires annoncées ont été de 246 millions $ étalées sur plusieurs années. En conséquence les deux derniers exercices financiers ont produit des effets douloureux. À l’Université de Sherbrooke, où j’enseigne, les facultés et les départements ont été obligés de couper des postes non permanents, de gonfler le nombre d’étudiants dans les cours et même d’économiser sur les photocopies et les frais de courrier… Pendant ce temps, le grand réinvestissement de 1.7 milliard $ annoncé par le gouvernement Marois en début de mandat ne fait toujours partie d’aucun budget et on se met à douter qu’il aura été autre chose qu’un écran de fumée.

De tout cela, il n’est question ni dans les journaux, ni dans les débats télévisés et à peine dans les plates-formes électorales. À quoi attribuer une telle désaffection ? Une première raison est toute simple : le Parti Québécois, le Parti Libéral du Québec et la Coalition Avenir Québec partagent la même crainte d’ouvrir la boîte de Pandore de l’éducation postsecondaire et tâchent donc d’en dire le moins possible – en témoigne leur consensus prudent sur l’indexation des frais de scolarité. Une deuxième raison tient sans doute au contrecoup du tourbillon médiatique dans lequel les questions d’éducation ont été plongées voici deux ans. Six mois durant, les manifestations, les déclarations des ministres et des porte-paroles étudiants, les injonctions en cour ou encore les concerts de casserole ont entretenu les flux et les fils d’actualités. À l’heure de l’information en continu consultée sur tablette ou sur téléphone intelligent, il n’est guère surprenant qu’une fois la grève terminée, à défaut d’actualité brûlante, les sujets de fond liés à l’éducation soient redevenus invisibles.

La lutte pour le « commun »

Toutefois, à bien y penser, il se peut que la question soit mal posée et que s’interroger sur les traces du printemps québécois dans la campagne électorale revienne à vouloir faire entrer ce vaste mouvement social dans un cadre trop étroit. Pour reprendre les termes des philosophes Michael Hardt et Antonio Negri, on pourrait dire que le mouvement de 2012 a été, au-delà de l’opposition à la hausse des frais de scolarité, une lutte collective pour le « commun » caractérisée entre autres par un besoin de participation politique hors des structures traditionnelles, une opposition aux inégalités sociales et au saccage environnemental, une volonté de protection des minorités ou encore un désir de se saisir de formes et de moyens de communication publique alternatifs.

La grande marche pour le jour de la Terre, le 22 avril, a été le symbole le plus éclatant de cette myriade de revendications devenue un projet pluriel et partagé. Chez les dirigeants politiques et dans les médias de masse, la perplexité a été totale à l’égard de ce mouvement en apparence désordonné, sans leader bien identifié, constitué hors des appareils syndicaux et associatifs, à la fois insaisissable et chaque jour renaissant, et cela, contre tous les pronostics, des mois durant. Ce fut alors moins dans les officines politiques que dans les rues, sur les pancartes et sur les réseaux socio-numériques que de grandes questions de société ont été soulevées et débattues. Elles étaient posées avec maladresse parfois, avec spontanéité et clairvoyance politique souvent. Elles ne pouvaient guère être canalisées par les voies traditionnelles d’expression politique, ne s’avérant pas résumables à une liste de revendications précises portées par une organisation bien intégrée dans les structures de la démocratie représentative. Cette énergie « constituante », pour suivre encore Hardt et Negri, a irrigué durant le printemps québécois toute une génération de jeunes adultes et l’a initiée à la réflexion et à l’action politiques. La campagne actuelle ne s’en ressent pas mais, après tout, une société démocratique ne repose pas seulement sur des urnes et des bulletins de vote.

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