Édition du 16 avril 2024

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Solidarité internationale

Soulèvement à Oaxaca au Mexique

La culture et l’APPO : Quand la lutte sociale se conjugue avec lutte culturelle

Depuis le mois de mai 2006, l’État d’Oaxaca est en ébullition. La grève et les actions du syndicat de l’éducation (section 22 du CNTE-SNTE), après avoir été durement réprimées par le nouveau gouverneur frauduleusement élu, se sont transformées en un vaste soulèvement coordonné par l’APPO, l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Notons que l’État est dirigé par le PRI, le parti qui a dominé le pays pendant près de 70 ans, et que la démission du gouverneur actuel est la première revendication de l’APPO. Rassemblant plus de 300 organisations sociales, autochtones, syndicales, de femmes et autres organisations populaires, l’APPO s’appuie sur la culture traditionnelle des autochtones pour transformer la société tout en faisant de la réappropriation de la culture un aspect central de la lutte.

La tradition en support à la lutte

Oaxaca est un des États du Mexique avec la plus forte proportion d’autochtones, dans un pays où la majorité de la population est composée de métis. Dans ce contexte, deux traditions ont pu alimenter la mobilisation coordonnée par l’APPO.

Tout d’abord, le « tequio » est un devoir de travail collectif gratuit pour la communauté. La participation aux actions, comme les manifestations par exemple, s’est menée en partie dans cet esprit dans les communautés mobilisées. La tenue nocturne de barricades, qui se sont répandues dans l’État afin de protéger les quartiers de la police et des bandits, a aussi été perçue comme un devoir de citoyen dans plusieurs quartiers et villages. Les municipalités populaires, qui ne sont plus dirigées par les anciennes mairies du PRI, ne perçoivent plus l’argent de l’État et du fédéral nécessaire à leur fonctionnement. Les employés municipaux se retrouvent donc en bonne partie à effectuer leur travail gratuitement dans l’esprit du « tequio ».

Une deuxième tradition se rapproche du « potlatch » ou du « potluck ». Ces repas communautaires où chacun apporte ce qu’il peut ont permis d’approvisionner en nourriture et autres nécessités les manifestations et les barricades, mais surtout le campement (plantón) installé sur la place centrale de la capitale.

Le peuple reprend les fêtes populaires

Si les traditions ont servi les mobilisations de l’APPO, ces dernières ont souvent pris la forme d’une réappropriation de fêtes populaires. Dans un État pauvre où le tourisme est un élément central de l’économie, la culture a été transformée en marchandise commerciale. L’État et le PRI ont fortement soutenu l’instrumentalisation des fêtes populaires pour les riches touristes.

La plus grande de ces fêtes est la « Guelaguetza » , qui a eu lieu le 17 juillet. Les danses traditionnelles des différentes nations autochtones de l’État y sont représentées. Cette fête est aujourd’hui présentée dans le stade de la capitale au prix de 300 pesos (30$ canadiens), ce qui exclut d’office la grande majorité de la population. Cette année, l’APPO a empêché la tenue de la version commerciale de cette fête. Par contre, une « Guelaguetza » populaire, ouverte à toute la population, a été organisée en parallèle.

Dans la ville de Zaachila, qui rassemble plusieurs milliers d’habitantEs, l’ancien maire conrrompu a quitté les lieux et l’opposition, favorable à l’APPO, tente de gérer la ville. Une de leurs actions a été d’organiser la fête nationale de façon à ce que ce soit chacun des quartiers qui bâtisse son char allégorique et qui soit responsable de son segment de défilé.

Une autre fête, qui est toujours restée populaire elle, est la « nuit des radis » du 23 décembre. J’ai eu la chance d’y participer. On y conçoit et présente des sculptures créées à partir de radis géants cultivés dans la région. Cette année, l’APPO a organisé une fête parallèle, à quelques rues du centre de la capitale où était installée la fête traditionnelle (avec un fort dispositif de répression). En plus des sculptures en forme de prisonnier politique, d’hélicoptère ou de PRIiste tout déformé, la soirée comportait une présentation musicale et de la danse.

J’ai pu constater la sous-culture présente dans l’APPO : danses traditionnelles, musique de la région, chants révolutionnaires latinos (surtout chiliens) et locaux, le tout animé tour à tour par une femme et un homme qui ont pris le temps de féminiser leur présentation, ce qui est très rare chez les latinos. À plusieurs reprises, la foule a pris le contrôle de l’animation en reprenant les slogans des manifestations.

Enfin, dernière en liste, la fête des rois, incontournable au Mexique, a permis à l’APPO d’organiser une grande fête pour les enfants à Oaxaca, sous une forte présence policière.

L’aspect culturel de la révolte démontre la profondeur du mouvement à Oaxaca qui a su jumeler revendications économiques et politiques et réappropriations culturelles. Cette reprise en main de sa culture est génératrice de dignité pour un peuple en acculturation touristique et de légitimité pour une lutte massive et populaire. Espérons que cette expérience saura nous faire réfléchir sur la reprise en main de nos fêtes, carnavals et festivals dont la commercialisation est avancée, sinon consommée.

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