Édition du 16 avril 2024

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Histoire

La légitimité historique de la révolution d'Octobre

David Mandel est professeur au Département de sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal, militant socialiste et syndical.

Le centième anniversaire de la Révolution russe ravive de vieux débats. Ses détracteurs continuent de la présenter comme un coup d’État fomenté par quelques bolcheviks. Un siècle après les faits, la reconnaissance d’Octobre 1917 comme une nécessité politique de l’époque, impliquant les masses ouvrières et paysannes elles-mêmes, semble rester un enjeu déterminant la légitimité des révolutions futures. Ce texte de David Mandel, traduit par La Gauche et relu par l’auteur, revient sur cette question fondamentale.

Plaider en faveur de la légitimité historique d’Octobre et de l’abolition subséquente du capitalisme va aujourd’hui à l’encontre de l’historiographie dominante. Il va de soi que « légitimité » ne signifie pas « inévitabilité ». Rien dans l’histoire d’un peuple n’est inévitable. Il y a toujours des voies de développement alternatives, surtout en période de crise révolutionnaire. Mais la voie libérale-démocratique n’était pas praticable pour la société russe.

Que signifie « légitimité historique » ?

Cela signifie avant tout qu’Octobre n’était pas un acte arbitraire organisé dans le dos de la société par un groupe d’idéologues marxistes voulant mener une « expérience socialiste ». Un projet de document sur l’enseignement de l’histoire commandité par le gouvernement russe actuel parle de « La Grande Révolution russe de 1917 » et de « l’expérience soviétique » entamée en octobre 1917 […] comme des « événements parmi les plus importants du 20e siècle » (1). La Révolution de février est donc qualifiée de « grande », mais Octobre est réduit à une « expérience » qui aurait détourné la Russie de son développement naturel, sous-entendu, la démocratie capitaliste.

Or, suite à mes propres recherches (2), je conclus qu’Octobre était bien une révolution populaire. Les travailleurs et les paysans voulaient sauver la révolution démocratique de février de la contre-révolution des classes possédantes. Et puisque la révolution d’Octobre était menée contre ces classes et dirigée par le mouvement ouvrier, sa dynamique a conduit à la suppression du capitalisme.

Il n’y a pas de démocratie capitaliste si la bourgeoisie considère que les libertés démocratiques menacent sa domination. Or, la bourgeoisie russe et, plus encore, la noblesse, craignaient de ne plus disposer de l’appareil répressif de l’autocratie dans leur face à face avec les classes laborieuses – les travailleurs et les paysans. La société russe était profondément polarisée. Cette situation avait des racines profondes et ce ne sont pas les bolcheviks qui l’ont créée en octobre 1917. « Nous sommes accusés de semer la guerre civile », déclarait un ouvrier bolchevik à la conférence des délégués des ouvriers et des soldats du premier district municipal de Petrograd en mai 1918. « Il y a ici une grosse erreur, sinon un mensonge... Les intérêts de classe ne sont pas créés par nous. Ils existent dans la vie, c’est un fait. » (3)

Réformes sociales et atermoiements de la bourgeoisie

La peur du peuple était telle que même les éléments les plus radicaux des classes possédantes n’avaient mené qu’une opposition lâche et fondamentalement impuissante à l’autocratie. Le démocrate constitutionnel (membre du KD, parti libéral) V.A. Maklakov l’a exprimé de la sorte dans un article célèbre, publié en 1915 : « […] une automobile roule sur une route de montagne, son conducteur est fou, la catastrophe menace ; des passagers [lire : des politiciens libéraux] savent conduire, mais votre mère [la Russie, clairement identifiée à la domination sociale des classes possédantes] est assise à l’arrière ; les passagers sont paralysés par la peur que leur lutte pour le volant entraîne la voiture dans l’abîme. » (4)

Ainsi en février 1917, lorsque les ouvriers de Petrograd, appuyés par la garnison, ont renversé l’autocratie, on aurait pu croire que les possédants saluaient la révolution mais ils étaient profondément inquiets. V.V. Stankevich, un socialiste populaire (droite), commissaire militaire sous le gouvernement provisoire en 1917 déclara : « Officiellement, ils jubilaient. Ils criaient ‘hourra’ aux combattants pour la liberté et marchaient sous des drapeaux rouges. Ils disaient ‘notre’ révolution mais dans leur cœur, ils étaient horrifiés. » (5)

En réalité, ces classes possédantes avaient bien trop peur des masses populaires pour pouvoir supporter une démocratie libérale. Avaient-elles quelque chose à craindre ? L’aristocratie terrienne, oui, sans aucun doute : la réforme agraire voulue par les paysans mettrait fin à leur existence en tant que classe. De même, la bourgeoisie ne pouvait rester indifférente à la perspective d’une réforme agraire sans compensation, qui violerait la sacro-sainte propriété privée. En outre, une partie très importante des terres était hypothéquée auprès des banques, ce qui rapprochait les deux classes de possédants (6).

Pourtant, en février 1917, les travailleurs, y compris les bolcheviks, n’avaient pas l’intention de renverser le capitalisme. Les objectifs populaires étaient : une république démocratique ; une paix démocratique et juste ; les huit heures ; la réforme agraire. Les deux derniers objectifs étaient évidemment sociaux. Un des agitateurs du Soviet de Petrograd en mars 1917 l’affirmait : « Les travailleurs ne peuvent pas obtenir la liberté sans l’utiliser dans le même temps pour alléger leur fardeau, lutter contre le capital. » (7) Au lendemain de la révolution de Février, les ouvriers ont obtenu les huit heures, purgé les usines des dirigeants les plus odieux, demandé des hausses de salaire, cherché à élire des comités d’usine permanents pour les représenter face aux directions, obtenu un droit de regard de ces comités sur le règlement de travail, l’embauche, le licenciement.

C’était beaucoup, surtout pour la Russie. Mais les travailleurs ne pensaient pas ainsi menacer le capitalisme. Et les représentants les plus éclairés de la bourgeoisie le comprenaient. En mars 1917, N.V. Nekrasov, ministre des Chemins de fer, tentait de calmer les craintes : « Il ne faut pas craindre l’apparition d’éléments sociaux. Il faut plutôt s’efforcer de diriger ces éléments dans la bonne direction… Ce que nous devons atteindre n’est pas la révolution sociale, mais l’évitement de la révolution sociale par la réforme sociale » (8).

Au début, les industriels semblaient vouloir suivre ce conseil. Mais leurs concessions étaient temporaires, ils voulaient les reprendre dès que possible. Quelques semaines seulement après la révolution, la presse bourgeoise (non socialiste) commença à dénoncer les « demandes excessives » des travailleurs et la menace qu’elles constituaient pour les vaillants soldats dans les tranchées. Comme c’était l’alliance ouvriers-soldats qui avait rendu la révolution possible, les travailleurs ont immédiatement perçu une tentative de division. Ils ont commencé à soupçonner un lock-out [grève patronale] caché. Avant la révolution, les lock-out avaient été une arme favorite des patrons. Des lock-outs à Saint-Pétersbourg avait porté un coup décisif à la première révolution russe, en 1905.

La bourgeoisie crée elle-même le chaos

Les soupçons des travailleurs ne se sont qu’accrus quand ils ont vu le Gouvernement provisoire refuser d’adopter des mesures sérieuses contre le chaos économique croissant. Le ministre du Commerce et de l’Industrie, A.I. Konovalov, lui-même industriel, démissionna pour protester contre un plan plutôt modeste de régulation économique, émanant de la Commission économique du Soviet de Pétrograd. Celle-ci était contrôlée par les socialistes modérés, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires (SR), partisans de l’alliance avec la bourgeoisie libérale. Quelques semaines plus tard, Konovalov menaçait publiquement les travailleurs : « Si les esprits ne se calment pas, nous serons témoins de centaines de fermetures. » (9) Or, Konovalov était un « gauchiste » parmi les industriels.

Ainsi, à partir de la fin du printemps de 1917, une majorité des travailleurs de la capitale se sont convaincus que la bourgeoisie faisait un lock-out caché. Face à la menace de l’effondrement économique et du chômage de masse, ils essayèrent d’imposer leur contrôle sur la documentation des entreprises, afin de vérifier les causes invoquées pour les problèmes de production. Mais ils se rendirent compte qu’un tel contrôle était vain tant que la bourgeoisie aurait de l’influence au gouvernement. Ce n’est donc pas un hasard si la première assemblée importante de représentants des travailleurs de la capitale à voter pour le transfert du pouvoir aux soviets fut la Conférence des comités d’usine, au début du mois de juin.

Transférer le pouvoir aux soviets pour éviter la contre-révolution

Transférer le pouvoir aux soviets, pour les travailleurs, signifiait éliminer l’influence des classes possédantes sur la politique de l’État. Ils étaient de plus en plus convaincus que ces classes étaient contraintes à la contre-révolution. Le gouvernement provisoire était une coalition de représentants de ces classes avec les socialistes modérés. Pendant les huit mois de son existence, il n’avait pas réussi à réaliser un seul des objectifs des classes populaires dans la révolution de Février. Au lieu de cela, pressé par les Alliés, il lançait en juin une nouvelle offensive, rejetait la régulation économique et s’opposait au contrôle ouvrier. De plus, fin août, avec le soutien à peine caché de ces membres libéraux et du Premier ministre, une conspiration militaire, visant à supprimer les organisations populaires, les soviets en premier lieu, a été déjouée par la mobilisation des travailleurs de la capitale.

Les travailleurs russes ont pleinement soutenu l’insurrection d’Octobre et le transfert du pouvoir aux soviets. Supprimer toute influence des classes possédantes sur le gouvernement était pour eux la seule possibilité d’éviter une contre-révolution et de réaliser la promesse de février. Ils ne s’attendaient pas à des miracles. Ils ont vu que l’effondrement industriel et la faim approchaient. Et les bolcheviks n’ont pas promis de miracles.

Dans la capitale russe, les travailleurs, surtout les bolcheviks, comprenaient qu’ils auraient face à eux non seulement les classes possédantes, mais aussi la plupart de l’intelligentsia, à quelques exceptions près. Mais au moins le transfert du pouvoir aux soviets offrait une chance de sauver la révolution. Avec l’espoir que l’exemple russe inspirerait les révolutions dans d’autres pays, qui viendraient ensuite à l’aide à leur tour.

Alors que les bolcheviks sont souvent condamnés pour avoir organisé l’insurrection et déclenché une guerre civile, ils méritent plutôt d’être cités en exemple pour cela ! En tant que parti ouvrier, ils ont honnêtement accompli leur devoir – ils n’ont pas abandonné les gens au moment critique.

En revanche, les mencheviks de gauche – alors qu’ils partageaient le point de vue des bolcheviks sur les projets contre-révolutionnaires des possédants – sont restés à l’écart, parce qu’ils ne croyaient pas qu’un gouvernement basé uniquement sur les soviets, c’est-à-dire sur les travailleurs et les paysans, sans participation des couches intermédiaires de la société, serait viable. Or, ces couches intermédiaires, et surtout l’intelligentsia, avaient choisi le camp de la bourgeoisie, ou essayaient vainement de se tenir au-dessus de la mêlée. Quant aux mencheviks et SR de droite, ils persistaient à vouloir inclure au pouvoir des représentants de la bourgeoisie : « C’est une révolution démocratique bourgeoise, disaient-ils, la seule possible dans la Russie arriérée » – tout en fermant les yeux sur la contre-révolution.

La légende du coup d’État bolchevik

Ceux qui considèrent les bolcheviks comme un groupe d’idéologues et d’usurpateurs ont du mal à expliquer comment un tel groupe, sans aucune expérience de gouvernement, sans le soutien de la majorité de la société éduquée, sans armée (au moins pendant plusieurs mois), a pu tenir le pouvoir contre les classes possédantes de Russie et d’ailleurs. En fait, le parti bolchevik de 1917 était la chair de la chair de la classe ouvrière. C’est le secret de son succès.

On est très loin de l’image ultérieure d’un « parti léniniste » autoritaire et hiérarchique, de révolutionnaires professionnels. Dans ce cas, il n’y aurait jamais eu de seconde révolution. Seule la pression des couches inférieures et intermédiaires du parti a forcé la majorité réticente du Comité central à agir en octobre. Ce même Comité central qui était allé jusqu’à brûler les lettres de Lénine exigeant la préparation de l’insurrection !

En octobre, les trois quarts des 40 000 adhérents du parti bolchevik à Saint Pétersbourg étaient des ouvriers (10). Les comités de district et de ville étaient en grande majorité ouvriers. Et ces ouvriers formaient la partie active, politiquement consciente et déterminée de la classe ouvrière. Ils ont osé prendre la direction de la révolution, en sachant que les chances de victoire étaient minces. Ils avaient avant tout un fort sens de leur dignité – humaine et de classe – et étaient déterminés à ne pas céder sans combattre.

C’est à ces bolcheviks que Lénine a fait appel en octobre contre la majorité du Comité central du parti. Ce dernier préférait attendre l’élection de l’assemblée constituante, comme si cette assemblée pouvait guérir magiquement la société russe de sa division profonde. Le putsch de Kornilov à la fin août 1917 (pour lequel le parti KD, hégémonique parmi les classes possédantes en 1917, ne cachait pas sa sympathie) a démontré clairement le genre de régime que celles-ci désiraient.

On dit souvent que les racines du totalitarisme stalinien étaient déjà présentes dans la conception « léniniste » du parti. Mais le parti en 1917 était une organisation ouverte et démocratique. Ainsi les bolcheviks de la capitale ont plus d’une fois rejeté les positions adoptées par le Comité central et soutenues par Lénine.

Pour ce qui concerne les tendances totalitaires, il suffit de rappeler le soutien unanime des bolcheviks de Petrograd, au lendemain de l’insurrection, à la formation d’une coalition allant des bolcheviks aux socialistes populaires. Si cette coalition n’a pas été formée, c’est parce que les socialistes modérés ont rejeté le principe d’un gouvernement responsable devant les soviets, sans représentants des classes possédantes, et voulu que les bolcheviks soient minoritaires au gouvernement, alors qu’ils avaient la majorité au Congrès des Soviets. […]

Malgré cela, les mencheviks et les SR, dès les premiers jours du gouvernement soviétique, ont qualifié celui-ci de « dictature bolchevique ». En réalité, l’organisation bolchevique dans la capitale a presque disparu dans l’année suivant Octobre. Les travailleurs politiquement actifs – la plupart étaient organisés dans le parti bolchevik – ont estimé que, les gens ayant pris le pouvoir, il fallait en priorité travailler dans les soviets, dans les administrations économiques, et organiser l’Armée rouge. Ce n’était clairement pas le comportement d’un parti voué à établir son pouvoir totalitaire.

Konstantin Chelavine, membre du comité bolchevik de Pétrograd, en a témoigné : « Une série de camarades responsables et hautement qualifiés qui ont traversé l’école de l’illégalité ont été infectés par un esprit exclusivement ‘soviétique’, sans parler de la génération plus jeune. […] Tous ces camarades estimaient que l’activité réelle était maintenant, par exemple, d’organiser le soviet de district de l’économie, et certainement pas de ‘fermenter’ dans le comité de parti du district. […] Les districts étaient organisés comme des républiques indépendantes avec leurs propres commissaires – du travail, de l’éducation, etc. Les meilleures forces du parti ont été jetées dans ce tourbillon de construction… Lorsque le soviet du district de Vasileostrovski a déménagé dans un nouveau bâtiment, il a relégué le comité du parti au cinquième étage en se demandant à quoi il pouvait encore servir. » (11)

Ne pas faire de l’histoire à rebours

Il est toujours tentant de lire l’histoire en arrière, dans ce cas, du régime totalitaire de Staline à l’insurrection d’octobre, voire à la brochure de Lénine, « Que faire ? » (12). Le stalinisme, évidemment, n’est pas sorti de nulle part. Mais si le parti, dès la guerre civile, a remplacé les soviets comme véritable centre du pouvoir, la cause réside dans les conditions sociales et politiques de cette période, et pas dans une sorte d’ADN idéologique du parti bolchevik.

Victor Serge, un anarchiste belge arrivé à Petrograd en 1919, est rapidement devenu un partisan du gouvernement soviétique (après la guerre civile, il fut actif dans l’opposition au stalinisme). Voici ce qu’il écrivait en 1920 : « La suppression des soi-disant libertés ; la dictature soutenue si nécessaire par la terreur ; la création d’une armée ; la centralisation pour cause de guerre de l’industrie, de l’approvisionnement et de l’administration (d’où le contrôle de l’État et la bureaucratie) ; et enfin la dictature d’un parti. Dans cette chaîne redoutable de nécessités, il n’y a pas un seul lien qui n’est pas rigoureusement conditionné par celui qui le précède et qui ne conditionne pas à son tour celui qui lui succède. » (13)

Serge a reconnu qu’un tel état pourrait générer des intérêts puissants qui tendraient à le maintenir même quand la menace de la contre-révolution aurait disparu. Il appelait à la vigilance, et espérait que la révolution dans les pays développés ne serait pas aussi difficile qu’en Russie. En même temps, il a reconnu que, dans la lutte éventuelle contre le pouvoir de la bureaucratie, « les communistes devront se baser sur une activité profondément révolutionnaire qui sera longue et difficile ».

Trouver la force d’une révolution contre la bureaucratie

Ces mots de Serge entrent en écho avec ceux d’un ouvrier bolchevik lors d’une conférence des comités d’usine à Petrograd en janvier 1918. La situation industrielle était catastrophique. Les délégués à la conférence étaient unanimes sur la nécessité de centraliser l’autorité économique afin que les ressources limitées puissent être réparties de manière rationnelle selon les besoins les plus urgents. Le Soviet économique venait d’être créé, et la conférence devait envisager des règlements afin que ses ordres soient contraignants pour les comités d’usine. Un délégué anarchiste a proposé un amendement : les ordonnances seraient contraignantes, sauf dans les cas où l’ordre contredirait les intérêts de la classe ouvrière. Le président du présidium, un travailleur bolchevik, a répondu :

« Nous avons pensé insérer cette réserve. Mais nous ne l’avons pas fait, en nous disant que le sovnarkhoz [conseil économique] n’est pas un organe créé par la bureaucratie, il n’est pas nommé d’en haut, nous l’avons choisi nous-mêmes, nous pouvons le rappeler et il est composé de personnes que nous pouvons révoquer... Le sovnarkhoz est un organe de classe, basé sur le prolétariat et les paysans les plus pauvres. Il ne nous semble guère nécessaire d’exprimer ce genre de manque de confiance en eux… Je pense que seul un anarchiste pourrait proposer un tel amendement, car ils rejettent toute sorte de direction... [Mais] si ces organes se séparent réellement des masses, alors, bien sûr, nous devrons présenter un tel amendement. Et ce ne sera pas suffisant – nous devrons renverser ces organes et peut-être faire une nouvelle révolution. Mais il nous semble que, pour l’instant, le Soviet des Commissaires du Peuple est notre soviet. » (14)

Ce que Serge et ces travailleurs craignaient se produisit. Mais au moment de faire une nouvelle révolution, la classe ouvrière, qui en avait déjà menées trois, n’a pas trouvé la force d’en faire une quatrième. Sans aucun doute, le facteur décisif dans le développement autoritaire du régime soviétique a été la dispersion de la classe ouvrière, déjà très minoritaire dans ce pays largement paysan, qui s’est produite étonnamment vite dans les tout premiers mois après Octobre. Pendant un quart de siècle, la classe ouvrière urbaine avait été l’avant-garde de la lutte pour la démocratie. Peu de temps après Octobre, elle a pratiquement cessé d’exister en tant que force politique indépendante. Le parti communiste prétendait la représenter. Au moins dans les premières années, il en organisait les meilleures forces. Mais le parti ne pouvait se substituer à la classe sociale en tant que force sociopolitique active, capable d’exercer un contrôle effectif sur l’Etat qu’elle avait créé.

Notes :

(1) Http ://rushistory.org/wp-content/uploads/2013/11/2013.10.31-Концепция_финал.pdf, Site de la Société russe d’histoire, consulté le 2 février 2014.
(2) Ce texte repose en grande partie sur D. Mandel, Les soviets de Petrograd. Les travailleurs de Petrograd dans la Révolution russe (1917-1918), M Éditeur, Page 2, Syllepse, à paraître en 2017.
(3) Pervaia konferentsiia rabotchikh i krasnogvardveiskikh deputatov 1-go gorodksovo raiona, Petrograd, 1918, p. 248.
(4) Russkie vedomosti, no, 221, 1915.
(5) V.V. Stankevitch, Vospominania 1914-1919 gg., Leningrad, 1926, p. 33.
(6) Au début de 1917, les banques détenaient autant de prêts hypothécaires aux propriétaires fonciers qu’elles avaient prêté à l’ensemble de l’industrie. T.V. Osipova, Rossiiskoe kres’tiÍanstvo v revolioutsii i grazhdanskoi voiny, Moscou, Streletz, 2001, p. 7-8.
(7) Pravda, 17 mars 1917.
(8) Retch’, 29 mars 1917.
(9) Novaia zhizn’, 19 mai 1917.
(10) Ce qui suit est en grande partie basé sur The Petrograd Workers, à paraître.
(11) Chevaine, « Iz istorii Peterburgskogo komiteta bol’chevikov v 1918 godu », Krasnaa letopis’, no. 2 (26) (1928) p. 111.
(12) Sur ce point, lire Lars Liih, Lenin Rediscovered : What Is To Be Done in Context, http://ouleft.org/wp-content/uploads/lenin-rediscovered.pdf. Liih montre de façon convaincante que les idées de cette brochure étaient largement partagées dans la social-démocratie d’Europe.
(13) V. Serge, Revolution in Danger. Writings from Russia. 1919-1921. Chicago, Haymarket, 1920, pp. 142-143 ; 150.
(14) Oktiabr’skaia revolioutsia i fabzavkomy, vol. IV., Saint-Pétersbourg, 2002, pp. 323-24.

David Mandel

Professeur retraité à l’Université du Québec à Montréal

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