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22 mars 2025
Dans cet article, j’étayerai l’affirmation selon laquelle la montée de l’extrême droite est la caractéristique déterminante de la période actuelle. Je tenterai ensuite d’articuler une stratégie internationale de lutte contre cette montée et de souligner son rôle stratégiquement indispensable pour les socialistes dans la période actuelle.
Le nouvel autoritarisme et la polycrise
La seconde élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a marqué un moment de transition, où le nouvel autoritarisme en pleine ascension a pris une forme plus claire. Cependant, cette tempête prenait lentement forme depuis près de trois décennies, semblant à certains égards un reflet grotesque du rajeunissement que la gauche anticapitaliste a connu au cours de cette même période, depuis que le cycle actuel de la politique post-soviétique a commencé à prendre forme autour du mouvement antimondialisation de la fin des années 1990. En effet, comme l’a illustré Miguel Urbán, l’affirmation de la souveraineté culturelle nationale face à la mondialisation américanisante était au cœur de l’idéologie et des activités de l’extrême droite à cette époque. La nouvelle gauche de cette période et l’extrême droite insurrectionnelle émergent toutes deux de la même source : la crise du système capitaliste qui progresse lentement.
Le nouvel autoritarisme est une tendance inégale qui va dans le sens d’un divorce entre le capitalisme et la démocratie libérale. Il évolue dans cette direction sous la pression de ce qu’Adam Tooze a appelé la « polycrise », la coexistence de crises multiples et superposées (environnementales, économiques ou biologiques) qui convergent pour créer une crise totale du système. Le nouvel autoritarisme n’est pas une idéologie cohérente et uniforme dans tous les pays, mais une tendance générale qui évolue de manière inégale dans le sens du divorce susmentionné, avec quelques caractéristiques vaguement partagées.
Ce nouvel autoritarisme englobe l’aile Trumpiste du parti républicain, aujourd’hui dominante, Fratelli d’Italia en Italie, VOX en Espagne, le Rassemblement national en France, le Fidesz en Hongrie, Alternative pour l’Allemagne (AfD) et Reform en Grande-Bretagne. Elle comprendrait également des mouvements de combat de rue tels que les Proud Boys, le mouvement international Active Clubs, et même la violence spontanée d’extrême droite à laquelle nous avons assisté au cours de l’été 2024 au Royaume-Uni.
Il est utile d’esquisser quelques-unes des principales caractéristiques du nouvel autoritarisme en utilisant une comparaison avec le fascisme traditionnel comme caisse de résonance pour faire ressortir son caractère distinctif :
1. Le nouvel autoritarisme et le fascisme traditionnel ont tous deux leurs racines dans les classes moyennes, la petite bourgeoisie (petits commerçants, propriétaires, professions libérales, cadres), qui éprouvent des souffrances très réelles en raison de la crise du système, mais qui n’ont pas l’intérêt matériel de développer les outils analytiques nécessaires pour la problématiser de manière adéquate. Le capitalisme leur a procuré certains avantages que la crise a mis en péril. En même temps, ils veulent défendre le capitalisme et trouver une solution à la crise, une contradiction qui les pousse vers la pensée conspirationniste pour expliquer pourquoi le capitalisme ne fonctionne pas pour eux comme il le devrait. Le résultat est qu’ils se méfient à la fois de ceux qui sont au sommet et de ceux qui sont à la base : les grands capitalistes qui les écrasent dans la crise, et les immigré-es et les peuples opprimés qui sont facilement désignés comme boucs émissaires. Incapable de concevoir une crise interne au système, cette classe cherche des causes qui se situent essentiellement en dehors de son fonctionnement normal.
2. Ces deux mouvements sont des tentatives du système de réorienter le mécontentement qu’il génère au sein de cette classe comme moyen de se défendre ou de se sauver. Dans le fascisme traditionnel, la douleur de la Première Guerre mondiale et de la crise économique qui s’en est suivie a été canalisée dans la recherche de boucs émissaires juifs et socialistes qui avaient « poignardé la nation dans le dos » lorsque le front intérieur s’est effondré et que les gains de la classe ouvrière ont menacé le bon fonctionnement du capitalisme. Le fascisme est l’outil qui permet de faire reculer la menace que la classe ouvrière fait peser sur le capitalisme. Dans le contexte du nouvel autoritarisme, la douleur ressentie à la suite de l’effondrement de 2008, de ses conséquences et de la faible reprise a été redirigée contre les personnes migrantes, les minorités raciales, sexuelles et de genre et la gauche, et transformée en une histoire de faibles volontés et d’intentions néfastes d’une cabale démoniaque d’élites pédophiles, le tout aboutissant à un déclin national. Dans les deux cas, la classe moyenne est utilisée pour préserver le système en canalisant le mécontentement qu’il a généré.
3. Alors que le fascisme traditionnel prônait ouvertement l’abolition totale de la démocratie, le nouvel autoritarisme respecte au moins ses formes. À tout le moins, il n’a pas d’autre choix que d’opérer au sein de ses structures pour le moment, même s’il fait de son mieux pour les miner de l’intérieur. Pourtant, la tendance générale, comme le montre clairement le contraste entre le premier et le deuxième mandat de Trump, est d’ouvrir de plus en plus d’espace pour le démantèlement des institutions démocratiques.
4. Le manque d’uniformité idéologique au sein du nouvel autoritarisme met en lumière une autre de ses caractéristiques clés : alors que le mouvement dans son ensemble ne peut pas être qualifié de fasciste avoué, les fascistes auto-identifiés jouent un rôle central parmi ses cadres, dont beaucoup ont des racines dans les organisations fascistes plus traditionnelles du passé. Cela signifie que dans de nombreux partis et organisations des nouveaux autoritaires, il existe des forces engagées dans l’approfondissement de la politique de l’organisation dans une direction plus radicale et plus violente. L’étrangeté de la période actuelle se traduit par des circonstances apparemment contradictoires, où quelqu’un qui a presque certainement encore des sympathies ouvertement fascistes, comme Giorgia Meloni en Italie, siège à la tête d’un État bourgeois au nom de la nouvelle idéologie autoritaire.
5. L’inhomogénéité idéologique du nouvel autoritarisme met en évidence une autre caractéristique essentielle : son caractère historique ouvert. Ce serait une erreur de considérer l’extrême droite contemporaine comme statique, avec un caractère défini et évoluant vers une fin définie. Le processus de développement du nouvel autoritarisme dépendra d’un certain nombre de facteurs, tels que le rythme de l’aggravation des crises économiques et environnementales, l’acuité de la lutte des classes et la capacité de la gauche révolutionnaire à proposer une alternative.
6. Le nouvel autoritarisme se distingue également du fascisme classique par la scission institutionnelle entre les mouvements parlementaires et les mouvements de lutte dans la rue. L’exception notable est le BJP du Premier ministre indien Narenda Modi, qui possède une aile explicite de lutte dans la rue, le Rashtriya Swayamsevak Sangh. Cependant, ce fascisme de rue interagit avec l’hétérogénéité et le caractère ouvert du nouvel autoritarisme, car il n’y a pas d’étanchéité entre les activités des organisations parlementaires et les combats de rue, ni entre les groupes parlementaires et la violence de rue « spontanée » de la droite. Les activités des uns ont des répercussions sur les activités des autres.
Le pogrom raciste qui s’est déroulé au Royaume-Uni au cours de l’été 2024, où des années de rhétorique anti-immigration de la part de l’extrême droite et des partis traditionnels ont soudainement débouché sur des violences de rue massives, est un exemple qui a bien mis le phénomène en évidence. Aux États-Unis, si le trumpisme n’a pas de liens formels explicites avec un mouvement de combat de rue, il peut s’appuyer sur une histoire de violence d’autodéfense d’extrême droite extra-étatique qui va du KKK au mouvement des milices en passant par des groupes comme les Proud Boys et les Oathkeepers. La façon dont ces forces peuvent être utilisées à des fins anti-démocratiques violentes a été mise en évidence par le « coup d’État du 6 janvier 2021 » et le pardon massif accordé à ceux qui ont participé à cette tentative de coup d’État peu convaincante. Alors que Trump s’appuie actuellement principalement sur le pouvoir de l’exécutif pour démanteler autant d’aspects démocratiques de l’État bourgeois qu’il le peut, il est probable que cela crée une résistance à un moment donné, et il garde ces forces en réserve pour entrer en action si la violence extra-étatique devient nécessaire. L’expansion internationale des clubs actifs d’extrême droite, qui associent l’exercice physique à la suprématie de la race blanche, est une preuve supplémentaire de la tendance croissante à la violence de rue. L’avenir de la relation entre la violence de rue de l’extrême droite et les institutions parlementaires reste incertain, mais ce qui est clair, c’est que nous assistons à une recrudescence de cette violence dans le monde entier et qu’il existe un lien évident entre cette violence et la rhétorique et les activités de l’aile électorale du mouvement. Étant donné le caractère ouvert de l’extrême droite contemporaine, elle pourrait bien évoluer vers l’unification formelle de ces deux camps. Nous voyons des preuves de ce potentiel dans Fratelli d’Italia et Alternative pour l’Allemagne (AfD) en Allemagne, qui encouragent discrètement les forces de combat de rue par le biais de leurs organisations de jeunesse.
L’extrême droite définit la période
La politique mondiale continue d’exister dans l’ombre de la crise de 2008. Cette crise a été le tournant qui a définitivement brisé l’hégémonie que la classe capitaliste avait construite autour du néolibéralisme, créant un vide dans lequel de nouvelles voix, de gauche comme de droite, ont pu se faire entendre.
Comme presque toujours, ce mécontentement s’est d’abord exprimé spontanément dans des mouvements tels que le Printemps arabe, Occupy aux États-Unis et le 15M en Espagne. Ces mouvements ont exigé des changements fondamentaux dans le fonctionnement du système, exprimant un anticapitalisme spontané. Ces mouvements étaient également les héritiers des philosophies d’organisation inspirées par les anarchistes de l’après-guerre froide. Ils privilégiaient l’horizontalité sur l’efficacité, et leur rejet de la politique créait un vide qui demandait à être comblé.
Ce vide a été comblé par une nouvelle social-démocratie radicale résurgente sous la forme de groupes tels que Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, Momentum au Royaume-Uni et, aux États-Unis, l’insurrection social-démocrate au sein du Parti démocrate incarnée par la figure de Bernie Sanders. Alors que les socialistes étaient obligés de travailler aux côtés et même au sein de ces organisations pour s’engager dans la radicalisation, tout révolutionnaire lucide pouvait prédire la trajectoire de ces organisations à l’avance. En poursuivant une stratégie de socialisme par le haut, elles se sont isolées de la seule source capable de défier matériellement le système, la classe ouvrière consciente d’elle-même, et ont été disciplinées par le capital dans une lente et pathétique marche à reculons vers la rupture de leurs engagements libératoires et l’intégration au statu quo bourgeois.
Cela ne veut pas dire que l’extrême droite a stagné pendant cette période, mais elle n’a pas joué un rôle central dans la détermination du caractère de la période, dans la mesure où elle a décidé de la stratégie des révolutionnaires. En 2010, les Démocrates de Suède ont remporté 20 sièges au parlement et en Hongrie, Viktor Orbán est devenu chef du gouvernement. L’Aube dorée est entrée au parlement grec en 2012, et l’UKIP a remporté 27,5 % des voix lors des élections européennes de 2014, tandis que le Front national est devenu la plus grande section française de ce même organe. Le parti polonais Droit et Justice a remporté à la fois la présidence et le parlement en 2015, et l’English Defence League est descendue dans les rues du Royaume-Uni. Malgré ces gains de l’extrême droite, la période a été définie par une social-démocratie rajeunie et jeune qui a fait quelques progrès face à un courant bourgeois dominant qui tente de maintenir son hégémonie de plus en plus instable.
L’élection d’Orbán en 2010 a été un moment important dans la montée du nouvel autoritarisme. Avant son élection, M. Orbán avait engagé des avocats privés pour élaborer un plan visant à détruire rapidement la démocratie hongroise en démantelant le système d’équilibre des pouvoirs qui empêchait le pouvoir de rester en permanence entre les mains d’une seule faction. En fait, Orbán écrivait le manuel de ce que les nouveaux autoritaires devraient faire lorsqu’ils prennent les rênes d’un État bourgeois. En effet, il existe un lien direct entre Orbán et le Projet 2025, le document de 900 pages de la Fondation Heritage d’extrême droite qui informe les politiques de guerre éclair de l’actuelle Maison Blanche de Trump. Ce document décrit un plan pour une présidence étatsunienne d’extrême droite visant à attaquer l’« État profond », à démanteler l’appareil d’État et à le remplacer, le cas échéant, par des loyalistes d’extrême droite. Simultanément, le plan appelait à renforcer l’intervention de l’État sur des questions sociales telles que l’avortement et les droits des personnes transgenres, à démanteler la démocratie et à évoluer vers quelque chose que l’on pourrait plus ou moins qualifier d’État national-chrétien. Ce document a été rédigé sur les conseils de l’Institut du Danube, le groupe de réflexion anglophone d’Orbán, qui a établi une collaboration formelle avec la Heritage Foundation pour sa production.
La seconde moitié de la dernière décennie a été marquée par l’auto-immolation des nouveaux mouvements sociaux-démocrates, soit en prenant le pouvoir à l’État bourgeois et en revenant sur leur parole (comme Syriza), soit en entrant dans des coalitions gouvernementales bourgeoises (comme Podemos) et en trahissant leurs principes, soit en s’appuyant sur une conception tellement appauvrie de l’électoralisme qu’ils ont inévitablement vidé leur base de sa substance (comme le DSA). L’extrême droite a commencé à revendiquer plus d’importance au cours de cette période, avec le passage du Brexit, la première élection de Trump en 2016 et l’entrée de l’AfD au parlement fédéral allemand pour la première fois en 2017, obtenant 94 sièges et devenant le troisième plus grand parti du pays. Au centre de cette croissance, la guerre civile syrienne et la légère augmentation de la migration qui en a résulté, dont la droite s’est emparée pour créer un bouc émissaire utile. Cette période a également vu la croissance des mouvements d’extrême droite dans les rues, des 3 Percenters, Oath Keepers et Proud Boys aux États-Unis, à Generation Identity, Reichsbürger et Patriotic Europeans Against the Islamisation of the West en Europe.
La fin de la décennie a été témoin d’énormes explosions sociales dans le monde entier. L’année 2019 a été marquée par des révoltes en Algérie, en Bolivie, au Chili, au Liban, au Soudan, en France, en Équateur, en Égypte, à Hong Kong, etc. Sans perspective socialiste révolutionnaire ni organisation lui permettant de devenir une arme sociale puissante, ces mouvements se sont arrêtés avant la révolution politique ou , le plus souvent, se sont effondrés sur eux-mêmes. Cependant, ces mouvements témoignent de l’énergie que de larges pans des classes populaires touchées par la crise ont encore en réserve.
La pandémie a tout changé. L’hégémonie de la classe dirigeante, déjà vacillante, a subi de plein fouet la pandémie et les conséquences économiques qui en ont découlé. La gauche a été la première à occuper le devant de la scène, avec un mouvement mondial pour la vie des Noir-es déclenché par le meurtre brutal de George Floyd par la police de Minneapolis, à la fin du mois de mai 2020. Des dizaines de millions de personnes de toutes origines sont descendues dans la rue aux États-Unis, d’abord en se livrant à des émeutes, en brûlant des postes de police et des voitures en signe de colère, puis en se transformant en un mouvement de protestation soutenu qui a duré des mois. Mais en l’absence d’organisation pour canaliser cette énergie et en raison de la réticence de la plus grande organisation de gauche de l’époque, la DSA, qui préférait se concentrer sur les élections de 2020 plutôt que de s’engager de manière significative dans la lutte populaire, ces mouvements ont peu à peu perdu de leur importance, cédant la place au centre. En s’attaquant au mouvement, le centre a tenté de retrouver sa stabilité en utilisant des arguments qui donnaient raison à la droite, en disant que le mouvement entraînait le chaos et la criminalité dans son sillage. La loi et l’ordre contre le crime et l’immigration sont devenus le cri de ralliement du centre et de l’extrême droite, et la gauche n’avait pas les moyens organisationnels de lancer une contre-attaque. Les mouvements qui ont suivi le soulèvement du Hamas à Gaza le 7 octobre 2023 n’ont fait que renforcer cette tendance, les centristes et l’extrême droite s’unissant pour défendre l’État sioniste contre les mouvements pour la justice en Palestine.
Au lendemain de la pandémie, et après plus d’une décennie de crise économique, la pensée conspirationniste a explosé, des théories QAnon pleines de tropes antisémites sur les « mondialistes » qui complotent pour détruire la civilisation occidentale de l’intérieur, au scepticisme anti-vaccin et à la théorie du « Grand Remplacement », selon laquelle les élites (souvent à dominante juive) ont conspiré pour détruire les populations blanches autochtones de l’Occident par l’immigration de masse. Avec une gauche radicale trop faible pour intervenir et un centre qui ne propose rien en dehors de la norme néolibérale qui a échoué, l’extrême droite a pu s’insérer dans la structure fissurée de l’hégémonie bourgeoise et se tailler une place en apparaissant comme une alternative au système en crise.
Nous nous trouvons donc dans une situation où l’hégémonie bourgeoise échoue et où la droite propose une vision alternative de l’ordre mondial. En 2022, le Rassemblement national de Le Pen, rebaptisé, a remporté 41,5 % des voix au second tour, et les Démocrates de Suède sont devenus le deuxième parti au Riksdag, tandis que les Fratelli d’Italia, aux racines fascistes, ont mené une coalition de droite à la victoire en octobre. En 2024, le Parti de la liberté autrichien a remporté les élections générales et les partis d’extrême droite ont fait d’énormes progrès aux élections du Parlement européen, sept États de l’UE, la Croatie, la République tchèque, la Finlande, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas et la Slovaquie, ayant tous des partis d’extrême droite au sein de leur gouvernement. Le succès du Rassemblement national aux élections européennes a incité le président français Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer des élections anticipées, au cours desquelles le Nouveau Front populaire de gauche a remporté 142 sièges face au Rassemblement national. Ces élections anticipées ont conduit à une situation de profonde incertitude en France, sans point d’atterrissage évident. Au Royaume-Uni, des pogroms anti-immigrés d’extrême droite ont balayé le pays à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août. Aujourd’hui, en 2025, les élections fédérales allemandes du 23 février ont placé l’AfD en deuxième position avec 20 % des voix, et Reform in Britain a augmenté le nombre de ses membres cotisants à 170 000, avec des chiffres en hausse dans les sondages, dépassant même la popularité des travaillistes.
La nouvelle gauche qui a émergé après 2008 a connu un déclin significatif dans la période post-pandémique. Podemos est devenu une coquille vide, et Die Linke a vu sa représentation se réduire à seulement quatre sièges après les élections européennes de 2024. Le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) s’est scindé en 2021, soulignant l’erreur historique de la dissolution de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire). Après avoir tourné autour de la vieille politique de Michael Harrington de « l’aile gauche du possible », l’ASD est entrée dans un effondrement des effectifs dont elle ne se remettra probablement jamais.
Bien que Die Linke, s’appuyant sur sa position de principe en faveur des immigré-es, ait augmenté sa marge à près de 9 % lors des récentes élections, il n’est pas certain que ce succès et l’afflux de jeunes membres puissent ébranler les structures réformistes qui s’étaient ossifiées. Bien qu’il puisse s’agir d’un endroit stratégiquement important pour les socialistes, si les membres ne sont pas capables de rompre avec les tendances réformistes et institutionnelles qui ont guidé l’organisation, ce succès pourrait bien s’avérer éphémère.
Il convient de préciser ici que les dynamiques de la période n’excluent nullement des restaurations temporaires de l’hégémonie bourgeoise, ni de brefs moments où le vent soufflerait à nouveau dans les voiles des mouvements réformistes. Il est tout à fait possible d’imaginer que les excès de Trump aboutissent à la restauration du Parti démocrate en 2028, par exemple. Cependant, comme il n’y a pas de solution à la polycrise dans le cadre du capitalisme, la dynamique générale sera à la montée en puissance de l’extrême droite. Les restaurations temporaires et les renouveaux réformistes ne modifieront pas le caractère fondamental et la trajectoire de la période.
En 2024, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pour la deuxième fois a été la plus importante, car elle a représenté une sorte de tournant dans la montée de la nouvelle extrême droite. M. Trump est arrivé au pouvoir avec un programme anti-establishment, promettant de donner la priorité aux États-Unis afin de ressusciter le rêve américain moribond. Les actions qu’il a menées depuis son entrée en fonction confirment que son second mandat est véritablement motivé par le projet 2025, avec un assaut rapide contre les institutions démocratiques et les membres les plus marginalisés de la société étatsunienne.
Trump et son équipe poursuivent l’élaboration du manuel de jeu sur la manière dont les nouveaux autoritaires doivent opérer lorsqu’ils arrivent au pouvoir à la tête d’un État démocratique bourgeois. Ils ouvrent une nouvelle période dans laquelle le caractère du nouvel autoritarisme est devenu plus clair et dans laquelle l’extrême droite jouera un rôle central, tandis que la gauche n’est pas seulement à l’arrière-garde, mais se retrouve souvent sans tête ni pieds.
La lutte internationale contre l’extrême droite doit définir l’actuelle période de la gauche
Si l’engagement avec les nouvelles forces de gauche a défini le cycle politique précédent pour les socialistes révolutionnaires, la lutte contre les nouveaux autoritaires doit définir celui d’aujourd’hui.
Les socialistes révolutionnaires doivent contempler sobrement la réalité : la période de travail au sein des organisations sociales-démocrates de masse est révolue. Nous sommes dans une période où la conscience de classe a augmenté de manière significative par rapport à l’ère pré-2008, mais où l’effondrement de la foi dans les institutions démocratiques a largement dépassé cette croissance. Dans cette période, l’extrême droite profite de cet effondrement de la foi pour promouvoir une vision alternative du monde, et l’activité de la gauche s’est déplacée de l’arène électorale vers des mouvements sociaux de base disparates.
Que doivent faire les révolutionnaires dans cette situation ? Bien que ni l’analyse du nouvel autoritarisme ni la stratégie que nous développons pour le combattre ne soient identiques à celles de la période du fascisme classique, l’analyse et les stratégies que les révolutionnaires ont développées dans le passé pour lutter contre l’extrême droite peuvent également nous aider à déterminer comment nous pouvons nous organiser aujourd’hui pour repousser ce nouveau monstre.
Bien que sa forme exacte doive sans aucun doute être modifiée pour la période actuelle, la stratégie du front unique reste l’outil clé dont disposent les révolutionnaires aujourd’hui pour lutter contre la montée de l’extrême droite.
La stratégie du front unique a été initialement développée lorsque la vague révolutionnaire qui a secoué le monde après la Première Guerre mondiale a commencé à reculer dans une restauration capitaliste instable vers 1921. Lors de ses troisième et quatrième congrès, en 1921 et 1922, l’Internationale communiste, alors façonnée par la pensée de Lénine et de Trotsky, a présenté cette stratégie comme un moyen de faire face à la réaffirmation de l’hégémonie bourgeoise, dans laquelle les révolutionnaires opéraient, par définition, à partir d’une position de faiblesse relative.
La stratégie visait à sortir les partis communistes de cette situation en tendant la main et en formant des alliances avec la classe ouvrière organisée à la droite des communistes afin de gagner de l’influence parmi ces couches, en obtenant ensemble des réformes concrètes tout en restant critique à l’égard de leur direction. Cela a également permis à la classe de se familiariser avec l’expérience du travail à l’unisson de manière organisée et coordonnée, ce qui serait une caractéristique absolument essentielle de toute tentative révolutionnaire réussie. Cette stratégie était résumée dans le slogan « marcher séparément, frapper ensemble ».
Cette stratégie a pris un nouveau sens lorsque la restauration bourgeoise chancelante a commencé à succomber à la montée du fascisme. Dès 1923, Clara Zetkin préconise l’application de la tactique du front unique contre le fascisme. Malheureusement, la santé de Lénine l’éloignant peu à peu de la direction du mouvement ouvrier, le Comintern dirigé par Zinoviev adopte une ligne d’ultra-gauche, refusant de s’unir dans l’action avec les sociaux-démocrates, ce qui a permis la montée du fascisme en Italie en 1924, et en Allemagne neuf ans plus tard, en 1933.
Réalisant son erreur, mais tirant les mauvaises leçons, le Comintern stalinien s’est alors tourné vers la stratégie du Front populaire, qui cherchait à unir, non pas la classe ouvrière, mais tous les partis, y compris les partis bourgeois, qui s’opposaient à la montée du fascisme. Dans la pratique, cela signifiait que les révolutionnaires devaient sacrifier leur indépendance, et le programme du Front populaire devenir le programme d’une réforme bourgeoise modérée. N’offrant rien aux ouvriers et aux paysans, le Front populaire construit dans l’État espagnol s’est effondré sous le fascisme. Cet échec doit nous rappeler les limites d’une telle approche dans une période où un Nouveau Front Populaire a émergé comme bloc électoral en France qui tente d’endiguer la montée du nouvel autoritarisme du Rassemblement National.
Le front uni aujourd’hui
Une grande partie de ce qui a défini la stratégie du front uni contre le fascisme est applicable aujourd’hui dans la lutte contre les nouveaux autoritaires. Si la faiblesse de la gauche et la montée de l’extrême droite sont bien les caractéristiques de la période actuelle, alors le travail du front uni est redevenu essentiel.
Nous avons vu un excellent exemple de ce à quoi cela pouvait ressembler avec l’expérience d’Aube dorée en Grèce, où une organisation antifasciste, KEERFA (Mouvement uni contre le racisme et la menace fasciste), opérant sur les principes du travail de front uni, a complètement écrasé le parti fasciste ascendant. La KEERFA a mis en place une large coalition d’organisations de la classe ouvrière, des syndicats aux groupes révolutionnaires, qui partageaient un intérêt commun fondamental : empêcher l’Aube dorée de se développer.
Il doit s’agir d’organisations de masse qui opèrent ouvertement et qui, tout en prenant la sécurité au sérieux, ne privilégient pas une culture sécuritaire paranoïaque au détriment de l’ouverture et de l’efficacité.
Une nouvelle stratégie de front uni répond aux questions sur le rôle spécifique de l’organisation révolutionnaire aujourd’hui. Si nous acceptons, comme l’affirme Tempest, que la reconstruction de l’avant-garde de la classe ouvrière par le biais du travail de mouvement est un élément essentiel d’une stratégie de gauche significative aujourd’hui, alors la question se pose souvent de savoir quel rôle reste à jouer pour l’organisation révolutionnaire. Dans cette période de réaction croissante, il est clair qu’au-delà du rôle propagandiste de l’organisation révolutionnaire, son rôle militant doit être de tirer parti de son enracinement dans des luttes spécifiques pour construire des fronts anti-autoritaires qui unissent ces luttes, les rapprochent dans l’action de la politique révolutionnaire et s’efforcent d’écraser la menace de l’extrême-droite.
La question est de savoir comment sortir des enclaves fracturées de la gauche et faire de la politique de masse à une époque où la nouvelle social-démocratie est en recul et où l’extrême droite est en pleine ascension. Le processus de construction du front uni consiste également à trouver un moyen de continuer à s’engager avec les couches radicalisées plus larges de la société et d’accroître la position et l’influence de la politique révolutionnaire au sein de la classe. Si certains éléments de la classe s’éloignent de la nouvelle social-démocratie de la dernière décennie, il est essentiel de trouver un moyen d’entrer en relation avec ces éléments et de les attirer dans notre politique. Le front uni est le type d’outil qui permet d’atteindre cet objectif.
Les révolutionnaires doivent essayer de construire de larges coalitions d’organisations de la classe ouvrière, des mouvements sociaux de base aux syndicats et autres organisations socialistes. Il doit organiser des contre-manifestations contre les manifestations d’extrême droite et tenter de saper l’activité de l’extrême droite partout où il le peut, en rendant très peu attrayant le fait d’apparaître en public comme un partisan de l’extrême droite. La stratégie doit consister à créer des fissures au sein du mouvement d’extrême droite afin d’isoler ses éléments les plus radicaux. En attaquant et en exposant les réalités de l’aile la plus extrême du nouvel autoritarisme, nous pouvons essayer de forcer l’aile plus modérée à garder ses distances sous la menace de la réaction sociale.
Ce mouvement doit être international, car ce qui se passe dans une ville, ou dans un pays, n’a pas seulement des répercussions sur la politique de cet endroit. Aussi ironique que cela puisse paraître de s’organiser au niveau international pour une désintégration générale du monde, c’est exactement ce que fait l’extrême droite internationale. En témoigne un récent rassemblement d’extrême droite à Madrid, où des dirigeants d’extrême droite se sont réunis sous le slogan « Make Europe Great Again » (Rendre à l’Europe sa grandeur). Santiago Abascal de VOX, Marine le Pen, Viktor Orban et Matteo Salvini ont assisté à la réunion, où ils ont salué la victoire de Trump et parlé avec enthousiasme des chances de l’AfD aux prochaines élections allemandes.
Grâce à l’application internationale de la stratégie du front uni, la classe ouvrière peut remporter des victoires concrètes contre l’extrême droite internationale, tout en facilitant le processus par lequel de larges sections de la classe apprennent à travailler les unes avec les autres dans l’unité. À partir de là, la gauche peut commencer à jouer un rôle plus important dans l’élaboration de la forme et du contenu de la politique internationale. Mais pour la période à venir, le front uni doit être au centre de tout ce que nous faisons.
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