Édition du 5 décembre 2023

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le rapport de la dernière chance du GIEC-ONU interpelle Québec solidaire

La nécessaire révolution décroissance-croissance n’est pas au menu du parti

La synthèse de la sixième série des rapports du GIEC-ONU confirme la catastrophe imminente en ce siècle en matière de climat et de biodiversité — « Après un voyage de 10 000 ans, la civilisation humaine a atteint un carrefour climatique : ce que nous ferons dans les prochaines années déterminera notre destin pendant des millénaires » — à moins d’un revirement immédiat dès cette décennie d’une panoplie de nouvelles politiques bien connues dans les domaines de l’énergie, du transport, de l’agriculture, de l’habitation, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.

Sans oublier une réduction drastique de la consommation somptuaire car « "[l]es 10 % des ménages ayant les émissions par habitant les plus élevées contribuent à 34 à 45 % des émissions mondiales liées à la consommation, tandis que les 50 % les plus pauvres contribuent à 13 à 15 %." L’urgence climatique ne peut pas prendre fin sans s’attaquer aux inégalités de revenus et de genre pour la simple raison que la "confiance sociale" est nécessaire pour un "changement transformateur" ».

Il aurait cependant fallu aller plus loin car comme on l’a vu dans mon article « La jeunesse a déjà commencé à rejeter de facto le capitalisme vert — Reste à renverser le 1% en ralliant les syndicats du travail productif », cette rupture consommatrice implique une plus fondamentale rupture pour le contrôle des stratégiques moyens de production extractivistes à la base du travail productif. Ce dernier est à la source des profits ensuite redistribués aux services commerciaux et financiers pour les réaliser. Mais ceux-ci, en s’hyperconcentrant sous le néolibéralisme, ont pris en otage les secteurs productifs. Les principales victimes en ont été les services aux personnes comme extension sociale de la consommation privée.

Pour une dernière fois avant 2030, le GIEC-ONU sonne l’ultime alarme de la fin de notre monde

Près de la moitié de l’humanité, uniquement dans des pays dépendants du Sud qui n’ont aucune responsabilité ni historique ni immédiate vis-à-vis la crise climatique, vit dans un contexte de haute vulnérabilité due à cette crise. Aujourd’hui, pas demain, « [p]rès de la moitié de la population mondiale est aux prises avec une pénurie d’eau durant certaines parties de l’année, en raison d’une combinaison de facteurs climatiques et non climatiques. [...] "Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans les régions très vulnérables" ».

À la liste des menaces connues telles « la hausse des vagues de chaleur meurtrières, la fonte des glaciers, l’acidification et la hausse du niveau des océans, la réduction de l’accès à l’eau, les inondations, la propagation de maladies, le recul de la production alimentaire et la détresse psychologique [..., s]ans compter les dizaines de millions de réfugiés climatiques prévus au cours des prochaines décennies [, s’ajoute] la possibilité de voir apparaître des effets en cascades, notamment dans le domaine de la production alimentaire. Le dérèglement climatique accentue aussi "les risques d’extinction d’espèces" et "la perte irréversible de biodiversité". Et au-delà d’une hausse de 2°C, les glaces du Groenland et une partie de celles de l’Antarctique seront perdues, ce qui devrait provoquer une hausse marquée du niveau des océans. »

Arrêter la locomotive allant vers l’abîme « impliquerait de plafonner les émissions mondiales d’ici 2025, au plus tard, puis de les réduire d’au moins 43 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2019 » sans tenir compte des principes de Rio sur la responsabilité historique et la capacité de payer des pays anciennement industrialisés. Rappelons que pour le Québec pour lequel les émanations de GES en 2019 sont grosso modo les mêmes qu’en 1990, cette cible ajustée pour ces principes est de 65%, selon Réseau climat Canada soutenu entre autres par la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ) et Équiterre, ce que Québec solidaire a réduit à 55%. Ce qui est à comparer à la cible officielle de 37.5% pour l’atteinte duquel le plan d’action de la CAQ ne comble que la moitié. De souligner le Secrétaire général de l’ONU, « les pays riches doivent essayer d’atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre "le plus près possible de 2040", plutôt que d’attendre l’échéance de 2050 » alors que Québec solidaire propose une réduction de 95% pour 2050.

Malgré des solutions connues et bon marché mais drastiques, la ruée vers l’abîme continue

Rappelons aussi que « les fonds publics et privés dédiés aux énergies fossiles sont toujours plus élevés que ceux prévus pour la lutte contre la crise climatique et l’adaptation à ses impacts. Pour l’année 2022, l’Agence internationale de l’énergie a évalué que les subventions aux ressources fossiles ont dépassé les 1000 milliards de dollars [et celles-ci] comptent toujours pour plus de 80 % du mix énergétique mondial... ». Non seulement la Chine fait-elle partie du lot avec la continuelle ouverture de centrales au charbon même si elle est championne mondiale de l’énergie solaire, mais aussi les ÉU, malgré les engagements de l’administration Biden, qui vient d’autoriser une importante exploitation pétrolière dans une réserve faunique du nord de l’Alaska et bien sûr le Canada qui a approuvé 40 nouveaux forages depuis 2021 au large de Terre-Neuve. Voilà qui répond aux jovialistes qui ne cessent de souligner que la solution est à portée de la main du fait que le solaire et l’éolien sont devenus moins chers que les hydrocarbures.

Quant aux solutions, « [l]e rapport souligne aussi le besoin de repenser les villes pour miser notamment sur la densification, le verdissement, mais aussi le développement des transports collectifs et actifs. La réduction du gaspillage alimentaire est également nécessaire, de même que la transformation de notre alimentation et le virage vers une agriculture "durable". Les scientifiques plaident aussi pour la protection de 30 % à 50 % des écosystèmes naturels de la planète... » Cette révolution de l’aménagement du territoire et des systèmes de transport et agricole de même que du mode de consommation dont la réduction drastique de celle du 10% appelle une révolution de tout le système de production y compris de la propriété privée de son noyau stratégique aux mains du 1% à la consommation gargantuesque.

Comme discuté dans mon article déjà cité, seulement les syndicats liés au travail productif sont en mesure d’ébranler les colonnes du temple. Mais ils le feront seulement une fois secoués par les mobilisations de la jeunesse pro-climat et par celles des syndicats et groupes communautaires, majoritairement de femmes, des services publics et des quartiers. Et ils le feront seulement une fois leurs luttes économiques appuyées par la gauche climatique. Est-ce qu’au Québec, le parti Québec solidaire qui concentre en son sein sans doute la majorité de la gauche politique et la seule qui a une voix audible sur la place publique a des propositions dans la lignée des suggestions les plus audacieuses du dernier rapport du GIEC-ONU et des plans d’action propices à cette mobilisation ?

Deux questions clefs : quelle est la transformation fondamentale et quelles forces l’appliqueront ?

Comme on l’a vu plus haut, la cible Solidaire tant pour 2030 et 2050 n’est pas à la hauteur de ce que propose le GIEC. Cependant, la cible 55% pour 2030 est suffisante pour amorcer la pompe d’un plan d’action adéquat. L’analyse faite jusqu’ici dans mes quatre articles précédents (voir sur mon site les articles des 13/02/23, 20/02/23, 13/03/23 et 19/03/23) dont celui-ci est la conclusion pointent du doigt deux questions de fond qui sont à résoudre dès le départ. D’un, quelle est la transformation clef de voûte susceptible d’entraîner de près ou de loin l’ensemble des autres ? De deux, quelles forces socio-politiques sont susceptibles de mener cette révolution des modes de production et de consommation à bon port ?

Le capitalisme vert a su répondre à ces deux questions en fonction du déploiement d’un renouveau capitaliste. D’un, il s’agit de remplacer les véhicules à combustion interne par des véhicules électriques ce qui deviendrait obligatoire dès 2025 ou 2030 pour les plus pressés comme Québec solidaire et en 2035 pour les plus lents comme la CAQ. En découlerait que modes de production et de consommation seraient tout changés pour que rien ne change, le complexe ‘auto solo-électricité renouvelable’ remplaçant celui ‘auto solo-hydrocarbures’. Quant à savoir qui présiderait à ce changement qui ne l’est pas, ce serait les actuels gouvernements progressistes (« liberals » selon la terminologie étasunienne) de démocratie parlementaire en collaboration étroite avec le 1% du capital oligarchique malgré leur « persécution » par exemple par les gouverneurs réactionnaires de la Floride et du Texas. Quant à l’inévitable dérapage climatique et de la biodiversité en découlant, pour cause de nouvel extractivisme entretenant l’indispensable croissance, on abreuverait le bon peuple de la mythique géo-ingénierie jusqu’à ce que ruine s’ensuive.

La réponse anticapitaliste à la première question, quasi inaudible même dans le modeste camp écosocialiste qui tourne autour du pot, est l’interdiction dès 2030 ou 2035 de tous les véhicules privés, sauf comme véhicules de travail ou en autopartage communautaire pour les besoins spéciaux, en faveur d’un système de transport en commun public, gratuit, fréquent, confortable, électrique et surtout partout dans les banlieues et régions jusqu’au moindre village. Combiné au transport actif (cyclisme, marche), ce système en toile d’araignée en zone urbaine, et non en pivot vers les centres-villes, irait de moyens lourds comme le train interrégional et régional jusqu’au minibus de banlieues et villages éventuellement autopilotés sur des circuits construits et entretenus à cet effet en passant par des autobus et tramways de toutes sortes. La libération du réseau routier des véhicules privés dispenserait ce système de coûteux et longs à réaliser trains aériens à la CAQ ou métros à la QS ou Projet Montréal tout en permettant une transition rapide par une libération par étapes du réseau routier et la construction au Québec à un rythme de temps de guerre des moyens de transport à partir d’une expertise déjà présente.

Les forces socio-politiques susceptibles de réaliser cette révolution des transports et toutes celles complémentaires du bâtiment, de l’aménagement du territoire, de l’agriculture et de l’industrie, réduites à une portion congrue, devront être en mesure de battre en brèche puis de vaincre le capital monopoliste et oligopolistique du 1%. Comme on l’a constaté, il n’y a que la proactive action gréviste des prolétaires travaillant productivement, aiguillonnés et en synchronie avec la jeunesse étudiante et avec les femmes relevant du travail improductif, salariées des services aux personnes ou non comme esclaves domestiques, qui puissent en venir à bout. Est-ce que ça peut se faire sans une direction politique ? Les échecs tragiques des soulèvements post-2010 tout comme les temporaires demi-succès tunisien et soudanais démontrent qu’il en faut une. Si Québec solidaire est candidat, il lui faudra revoir sa copie de fond en comble.

Une grève sociale pour un mode de production décroissance-croissance libéré du Canada pétrolier

Quand on réalise à quel point l’aile parlementaire Solidaire jongle avec la patate chaude de l’indépendance, non seulement lors de l’élection générale mais encore plus lors de la récente élection complémentaire, pour l’amour de gains électoraux, on se dit qu’il est plus que temps de joindre stratégiquement la question nationale et celle écologique. Cette jointure est facultative sur la base du capitalisme vert pour laquelle l’autonomisme caquiste suffit amplement puisqu’il ne s’agit que d’accrocher le char de l’extractivisme minier à celui pétrolier se relayant l’un l’autre pour accélérer la course vers la terre-étuve. Toutefois, qui ne s’est pas rendu compte que le clash anticapitaliste d’une révolution écologique, radicalement décroissanciste en travail productif et radicalement croissanciste en travail improductif et en temps libéré, est incompatible avec un Canada dopé au pétrole et au gaz naturel derrière lequel se tient droit dans ses bottes le capital financier de Toronto... et de Montréal.

Ce nouveau mode de production décroissance-croissance implique une lutte implacable pour arracher au 1% le pouvoir étatique permettant une démocratie politico-économique ouvrant la porte à la prise de contrôle de celui financier. Ainsi pourra être réparti démocratiquement l’épargne nationale des secteurs de travail productif tombant en désuétude, à ceux du travail improductif réclamant leur dû. Pour une telle mue révolutionnaire, il y faudra une grève générale politique, une grève sociale disait-on au Québec il n’y a pas si longtemps, au cœur de laquelle on trouvera le prolétariat du travail productif pour arrêter net la machine à profit. Dans ce nouveau mode de production le pouvoir politique commande au pouvoir économique et non pas vice-versa comme sous le capitalisme.

C’est pour cette raison qu’une entreprise nationalisée dépendant d’un gouvernement capitaliste agit comme une entreprise capitaliste mais dans l’intérêt de l’ensemble des capitalistes nationaux dont l’intérêt commun se cristallise dans l’État. La création d’Hydro-Québec par les nationalisations de 1944 et de 1962 a certes délivré la nation québécoise de l’emprise du capitalisme canadien, mais au prix de son endettement auprès de la finance étasunienne. Le but d’Hydro-Québec reste le profit modulé en faveur des grandes entreprises énergivores, souvent étrangères, sous contrainte cependant de la pression de l’opinion publique rendue plus facile par la propriété étatique. Aujourd’hui, Hydro-Québec se sert de l’industrie éolienne pour développer une filière québécoise privée dans ce domaine tout en se prétendant incapable de faire passer à l’hydro-électricité tous les bâtiments de Montréal qui carburent au gaz naturel. À qui sont destinés les surplus restants et la nouvelle électricité ? Aux nouveaux projets d’investissement majeurs du super-ministre de l’économie ayant droit à un congé fiscal selon le budget du 21 mars ?

Combiner la lutte pour boucler la fin du mois avec la lutte aussi urgente contre la fin du monde

Un gouvernement découlant d’une grève sociale aboutissant à instaurer une structure de démocratie participative sera en mesure d’interdire l’auto solo et la maison individuelle. Peut-on anticiper que la réunification majoritaire du Front commun des services publics aille jusqu’à la grève sociale incluant plusieurs syndicats du privé menant ainsi le prolétariat québécois au seuil d’un saut qualitatif climatique auquel œuvrent les Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) ? En contrepartie, ce gouvernement issu de la grève sociale suscitera un programme digne de temps de guerre de construction du réseau de transport en commun et de logements publics densifiés qui les remplaceront avantageusement en termes de bien-être et de soulagement du budget familial. La crise du logement et de celle du coût de la vie en deviendront un mauvais souvenir.

Lutter dès maintenant pour des réformes soulageant la misère populaire n’est pas antinomique à ce programme en autant que ces luttes soient comprises très consciemment comme des anticipations à celui-ci pour construire le rapport de forces. Ce qui est la tâche clef d’un parti politique. Il en est de même pour l’agriculture biologique, la sobriété énergétique, l’énergie renouvelable, l’aménagement urbain et du territoire, le développent économique à cette différence près que ces luttes sont rares. On se dit qu’une lutte contre l’inflation alimentaire, par exemple pour des aliments de base végétariens à prix fixe et contrôlé, serait de mise. Cette lutte combinerait lutte pour boucler le budget du ménage à la fin du mois avec celle de l’humanité contre la fin du monde.

Marc Bonhomme, 22 mars 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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