Édition du 26 mars 2024

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Québec

La réforme sournoise du RRQ

Le sujet des retraites est rarement perçu comme étant palpitant. On en parle quand arrive la saison des REER, quand on veut montrer que les jeunes sont des irresponsables qui ne pensent pas à l’avenir, quand vient le temps de dire que les régimes de retraite sont un poids trop lourd pour les futures générations ou quand on pointe du doigt les personnes syndiquées privilégiées qu’on aimerait mieux voir pauvres et précaires. Mais la plupart du temps, c’est le silence.

Tiré du site de l’IRIS.

Présentement, par exemple, combien d’articles dans les grands médias écrits, à la télé ou à la radio ? On en trouve, mais très peu. Pourtant, cette semaine aurait été toute désignée pour faire un battage médiatique sur le sujet. Presqu’en secret, le gouvernement tient en effet quatre jours de consultations sur l’avenir du Régime de rentes du Québec (RRQ), annoncées à peine deux semaines avant Noël.

Des consultations, pourquoi ? Et pour quoi ? Répondons d’abord à la première question.

En juin 2016, les provinces canadiennes se sont entendues à Vancouver (http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/788517/ministres-finances-retraite-revenu-regime-pensions) avec le gouvernement fédéral pour modifier légèrement le Régime de pensions du Canada (RPC), le régime équivalent au RRQ à l’extérieur du Québec. Les changements adoptés sont modestes. En somme, les prestations maximales couvriront 33 % des revenus avant la retraite plutôt que 25 %, et le maximum des gains admissibles, donc le revenu maximum utilisé pour calculer les prestations, augmentera légèrement. Pour compenser (en partie) les cotisations supplémentaires qu’auront à payer les travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle, le gouvernement augmentera la prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT). Toutes les provinces ont accepté ces modifications, sauf le Québec qui a dit préférer une réforme plus ciblée qu’il mettrait en place à la suite d’une consultation auprès des groupes concernés. Nous voici donc à cette consultation.

Est-ce que cette façon de faire débouchera sur une réforme plus centrée sur les réalités et les besoins des Québécois·e·s ? Pour une fois, le gouvernement veut-il être à l’écoute des gens ? Que nenni ! La consultation a tous les airs d’un exercice de relations publiques pour légitimer la proposition retenue par le gouvernement. Sans tambour ni trompette, les groupes sont appelés à se prononcer sur trois scénarios possibles : ne rien faire (quel projet enthousiasmant !), suivre le Canada ou adopter les réformes proposées par le gouvernement. Le rapport D’Amours et ses recommandations pour assurer la pérennité des retraite semble avoir disparu à peine quatre ans après avoir été déposé…

Nous sommes ainsi rendus à la deuxième question. De quoi parle-t-on à la commission parlementaire durant ces trois courtes journées ? Quelle est cette fameuse réforme que le Québec croit meilleure que celle adoptée à Vancouver ? Elle part du principe que l’augmentation des prestations de RRQ des personnes les plus pauvres ne se traduira pas réellement en une augmentation de revenus pour celles-ci puisqu’elles perdront une part correspondante du Supplément de revenu garanti (SRG).

Comme le gouvernement du Québec voit la réduction de la contribution du fédéral d’un mauvais œil, il préfère se concentrer sur la « classe moyenne ». Ainsi, sa proposition est de conserver les cotisations et les prestations à l’identique pour tout revenu sous 27 450 $ alors que les dollars excédentaires seront soumis à des cotisations supplémentaires, donnant droit à des prestations supplémentaires pour atteindre 33 %.

Si on lit rapidement, on se dit que tout va bien. D’un côté, les plus pauvres ne dépenseront pas plus d’argent pour cotiser à leur retraite, mais recevront sensiblement les mêmes prestations et, bonus, pourront conserver le PFRT pour d’autres usages. De l’autre côté, les personnes recevant des salaires plus généreux pourront bénéficier de meilleures retraites publiques. Ce serait malheureusement mal comprendre la proposition de Québec.

D’une part, les personnes les plus précaires demeureront dépendantes du SRG plus longtemps au Québec qu’ailleurs au Canada, ce qui veut dire que tout revenu supplémentaire sera taxé à un plus haut taux pour eux : on coupe d’abord dans le SRG (réduction de 1$ pour chaque 2$ d’un autre revenu), puis on soumet ce qui reste à l’impôt. Se libérer du SRG veut donc dire pouvoir garder plus d’argent dans ses poches plus rapidement, que ce soit parce qu’on travaille à la retraite, qu’on retire ses REER ou qu’on reçoit des prestations d’un régime d’employeur.

D’autre part, plusieurs personnes ont des emplois peu payés seulement sur une base temporaire, le temps de gagner de l’expérience ou de trouver un emploi mieux rémunéré. Les faibles cotisations les suivront malheureusement toute leur vie puisque les futures prestations seront basées non seulement sur le salaire de fin de carrière, mais sur l’ensemble des cotisations payées dans sa vie.

Et ceci affectera également pour une personne qui reçoit un salaire moyen. Elle ne recevra pas des prestations équivalentes à 33 % de son salaire à la retraite, mais plutôt à 25 % de son salaire jusqu’à 27 450 $, puis 33 % pour la part restante. Ainsi, pour un salaire équivalent de 50 000 $ alors qu’elles travaillaient, une Québécoise à la retraite recevra chaque mois 1192 $ alors que sa cousine vivant en Ontario retirera 1375 $. Sur une année complète, elle sera plus pauvre de plus de 2000 $. Cette situation, en plus d’être scandaleuse en termes d’équité, causera de nombreux problèmes par rapport à la gestion du RPC et du RRQ.

Traditionnellement, les deux régimes s’organisaient pour avoir des conditions similaires pour les cotisations et les prestations. Cela permettait aux travailleuses et aux travailleurs de pouvoir cotiser aux deux régimes sans avoir d’impact sur leurs prestations finales (par exemple, en cas de déménagement), mais ce n’est pas tout. En effet, la loi constituant le RPC mentionne spécifiquement que toute province qui y adhère OU qui a un programme équivalent est partie prenante du processus décisionnel entourant les projets de réforme. C’est ainsi que le Québec a pu participer aux négociations de Vancouver, et même influencer les autres provinces pour qu’elles choisissent une option moins généreuse, même s’il a son propre régime distinct. La fin de l’équivalence veut donc dire la fin de sa voix au chapitre.

Si donc ce n’est pas pour assurer une meilleure retraite aux Québécois·e·s, et qu’en plus cela réduit le pouvoir d’influence du Québec, quel est donc l’intérêt de pousser cette réforme ? La réponse, sans trop de surprise de la part d’un gouvernement néolibéral, se trouve du côté de la contribution des employeurs.

Présentement, les Québécois·e·s cotisent légèrement plus pour leur retraite que dans le reste du Canada, soit 10,8 % de leur salaire plutôt que 9,9 %. En ne soumettant qu’une partie du salaire aux nouvelles cotisations, le gouvernement parvient à faire en sorte que les employeurs du Québec passent de ceux qui cotisent le plus au Canada à ceux qui cotisent le moins. Il invite ensuite les individus à cotiser volontairement dans des RVER ou des REER, deux véhicules individuels aux rendements beaucoup moins avantageux que les régimes publics. Le gouvernement peut ainsi se laver les mains de la responsabilité d’assurer des revenus décents à la retraite. Avec son projet de réforme, on s’enfonce quelques pas de plus dans l’idée que la retraite est une question individuelle. Vous êtes pauvres à 70 ans ? Vous n’avez que vous à blâmer...

De nombreux groupes s’élèvent pour dire que le « scénario RPC » est le minimum, que toute proposition en-deçà de ce qui se fera dans les autres provinces est inacceptable. Malheureusement, leurs voix ne semblent pas être entendues dans les médias, ni écoutées à l’Assemblée nationale.

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