Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Le Brexit et Donald Trump

Dans l’Opéra de quatre sous de Bertold Brecht en 1928, l’auteur nous ravit avec sa critique des caractéristiques déshumanisantes du capitalisme. Il raconte : « Un homme croise un manchot au coin d’une rue. Il est si frappé par cette situation qu’il lui donne 6 sous. Mais la deuxième fois que la scène se répète il ne lui en donne que 3. Et s’il le revoit une troisième fois, il le conduira au poste de police sans état d’âme ».

John Wight, 17 février 2017, Traduction, Alexandra Cyr.

En lisant ces lignes, qui pourraît prétendre ne pas être touché par la désensibilisation que décrit Brecht. À moins de vivre sur une ile déserte au milieu de nulle part, il est pratiquement impossible de ne pas se sentir coupable la plupart du temps. Comment pourrions-nous soutenir la vision de la souffrance et du désespoir qui nous est exposée chaque jour ? Des causes humaines que nous pouvons observer (ou que nous refusons de voir) obligent une armée de sans abris à mendier quelques sous. C’est un système brutal qui ne repose pas sur la justice ou la solidarité mais peut-être bien sur le Darwinisme social.

Dans la foulée de la crise de 2008, la Grande Bretagne s’est réfugiée dans une politique d’austérité qui ignore complètement les plus vulnérables au point où nous sommes obligés-es de ne pas nous laisser atteindre par leur situation : le chômage, leurs demandes de services, leurs bas salaires et le fait qu’ils et elles appartiennent à une sous classe.

L’austérité est une idéologie politique conçue pour retirer la richesse aux pauvres et la diriger vers les classes possédantes et d’affaire pour leur permettre de maintenir leur niveau de profit. Conséquemment, ceux et celles qui doivent compter sur l’État ou sur des salaires qui ne cessent de diminuer pour survivre, ont été transformé par les Conservateurs-trices et leurs médias de droite, en une cohorte d’agneaux à sacrifier. C’est une stratégie qui rejette l’examen et le traitement des causes sous jacentes de la crise, à savoir la cupidité privée et un secteur financier et banquier sans régulations. On aboutit à une situation où la crise, causée par la cupidité privée, devient une crise des dépenses publiques. Les pauvres, les vulnérables et ceux et celles qui ont le moins de pouvoir dans ce pays sont gentiment transformés en commodes boucs émissaires.

L’opération de création de boucs émissaires a fonctionné à grande vitesse. Ce n’est que depuis le vote sur l’appartenance à l’Union européenne que les cibles ont changé. Les migrants-es, les étrangers-ères, les réfugiés-es et par extension toutes les minorités ont été identifiées comme la source de toutes les difficultés, comme une menace à notre vieux refrain, celui qu’on à cessé de nous rappeler, celui des « Valeurs britanniques ».

Au fait, qu’elles sont précisément ces « valeurs britanniques » que nous devrions si chèrement protéger ? Devrions-nous fièrement célébrer un empire qui a ajouté au racisme et à la brutalité dans sa sur- exploitation de millions d’êtres humains et de leurs terres ? Parlons-nous de notre propension à déclencher des guerres contre les pays pauvres du tiers monde ? Ou encore, parlons-nous de l’histoire de la cruauté que représente l’ignorance des pauvres qui a si longtemps été la marque distinctive de la classe sociopathe dirigeante ? Également, devrions-nous être fiers-ères de notre brillante contribution à la cause de la démocratie alors que notre cheffe d’État n’a jamais été élue parce que nous vivons dans une monarchie ? Notre deuxième chambre, la Chambre des Lords, n’est pas non plus élue.

Le Brexit est l’accumulation de ces processus vicieux : la création des boucs émissaires, le ciblage des « Autres ». Cela a été alimenté par le développement du désespoir accompagné par la juste colère de ceux et celles qui continuent de souffrir parce que le gouvernement agit comme si la cruauté était une vertu et la compassion un vice. Mais les cibles ayant été mal désignées la droite a pu s’emparer de ces enjeux. De fait, elle gagne de l’audience en ce moment si elle n’a pas déjà gagné le combat des idées.

Une large partie de la gauche a succombé aux fausses idées de la droite à propos de l’Union européenne, de la liberté de mouvements et des migrants comme causes des maux sociaux économiques plutôt que de viser la vicieuse austérité, les obscènes inégalités et le refus persistant (de la classe dirigeante) de mettre fin à la cupidité du secteur privé.

Au cours de la campagne du Brexit, nous avons pu observer les tentatives optimistes de la gauche qui supportait la proposition pour justifier sa capitulation devant ces fausses idées de droite en prétendant qu’il s’agissait du rejet de la fixation libérale sur les politiques d’identité au détriment de la notion de classe. En d’autres mots, on nous invite à croire que la droite est la nouvelle gauche.

La classe ouvrière industrielle traditionnelle bien organisée, n’existe plus. C’est le résultat des défaites qu’elle a subit aux mains de Mme Tatcher au cours des années 80. Elle a déclenché une guerre de classe pour procéder aux ajustements structurels dans le marché libre de l’économie du Royaume Uni. Cela a provoqué une désindustrialisation monumentale et conséquemment, l’atomisation des communautés de la classe ouvrière. L’individualisme a remplacé le collectivisme et l’homogénéité de l’identité de classe l’hétérogénéité d’une classe culturelle.

Conséquemment, les identités politiques qui existent sans aucun doute pour déterminer l’appartenance de classe, ont rempli le vide et donné de l’espace à des groupes qui jusque là étaient marginaux pour intervenir dans la politique. Mais rien de tout cela ne permet de dire que le Brexit ou l’élection de D. Trump aux État-Unis, représentent un retour aux politiques de classes. La campagne en vue de sortir de l’Union européenne n’était pas menée par Che Guevara ou Rosa Luxembourg. Au contraire, elle était dirigée et conduite par une poignée d’idéologues d’ultra droite pour qui la gauche tirant de l’arrière et la classe ouvrière ont joué les faire valoir. Avec tout cela, ils ont réussi à gagner l’appui d’une partie de la population qui a adhéré aux préceptes les plus réactionnaires du nationalisme britannique jusqu’à la xénophobie et l’hostilité envers les immigrants-es

C’est la plus grande et la plus écrasante défaite de la gauche et des forces progressistes depuis l’écrasement de la grève des mineurs (par le gouvernement Tatcher).

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