Édition du 23 avril 2024

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Planète

Le capitalisme contre la vie sur la Terre partie 2

Les impacts écologiquement destructeurs du capital ne sont pas seulement motivés par son besoin de croître, mais aussi par son besoin de croître plus rapidement. C’est pourquoi il fallait seize semaines pour élever un poulet de deux livres et demie en 1925, alors qu’aujourd’hui, des poulets deux fois plus gros sont élevés en six semaines.

photo et article tirés de NPA 29

Pour lire la 1ère partie.

Machines pour l’accumulation

La raison en est très simple, bien que ses implications soient complexes et profondes. Les grandes banques, les fonds d’investissement et les multimillionnaires investissent dans des entreprises comme Volkswagen afin d’obtenir plus d’argent en retour. Ils se fichent de savoir si Volkswagen fabrique des voitures, des vêtements ou des barres chocolatées, à condition qu’ils obtiennent un retour sur leur investissement.

Les entreprises sont des machines sociales géantes pour transformer le capital en plus de capital. C’est ce que les actionnaires attendent et veulent, et c’est ce que les gestionnaires et les cadres supérieurs doivent faire.

Une personne qui refuse de donner la priorité aux besoins du capital n’est pas susceptible de devenir un dirigeant important d’une firme. Si le processus de sélection échoue, ou si un PDG a une crise de conscience gênante, il ou elle ne durera pas longtemps dans le poste. C’est ce qu’on a appelé la tyrannie du résultat net (comptable). La protection de l’humanité et de la planète réduit les profits, les entreprises feront toujours passer les profits en premier.

Le capital n’a qu’une seule mesure du succès. Combien de bénéfices supplémentaires ont été réalisés au cours de ce trimestre par rapport au trimestre précédent ? Combien plus aujourd’hui qu’hier ? Peu importe si les ventes comprennent des produits qui propagent des maladies, détruisent les forêts, démolissent les écosystèmes et traitent notre eau, notre air et notre sol comme des égouts. Cela contribue à la croissance du capital, et c’est ce qui compte.

Chaque société cherche à s’assurer que ses produits génèrent un profit intéressant en relation avec le capital investi. Une société ayant des coûts plus bas ou des produits plus attrayants peut conduire ses concurrents à la faillite. Des pressions constantes s’exercent en faveur d’une expansion physique, financière et géographique. Si rien ne l’arrête, le capital tentera de s’étendre à l’infini, mais la Terre n’est pas infinie. L’atmosphère, les océans et les forêts sont des ressources finies et limitées, et le capitalisme fait maintenant des pressions contre ces limites.

Le capital doit croître. Une économie capitaliste à croissance zéro ne peut pas exister. Comme l’écrivait Marx, la mission historique de la bourgeoisie est « l’accumulation pour l’accumulation, la production pour la production…. la production à une échelle toujours croissante ».

Bien sûr, le fait que le capital ait besoin de croître ne signifie pas qu’il peut toujours croître. Au contraire, la volonté de croître périodiquement conduit à des situations où l’on produit plus de produits de base que l’on ne peut en vendre.

Il en résulte une crise dans laquelle d’immenses quantités de richesses sont détruites [ crise de surproduction et de suraccumulation]. Dans de telles situations, les firmes individuelles peuvent fermer leurs portes (faillite), et elles le font. Mais à long terme, la recherche du profit, qui consiste à accumuler de plus en plus de capital, se réaffirme toujours d’elle-même.

C’est la caractéristique déterminante du système capitaliste et la cause profonde de la crise environnementale mondiale. L’opposition massive et la pression de l’opinion publique peuvent ralentir ou entraver les efforts d’expansion, mais elle se manifestera toujours d’une manière ou d’une autre.

La rupture métabolique

Les résultats anti-écologiques d’un tel système ont été analysés pour la première fois au 19è siècle, lorsque la productivité de l’agriculture anglaise était en déclin. Au milieu des années 1800, le scientifique allemand Justus von Liebig [1803-1873] a montré qu’à l’état naturel, le sol fournit les nutriments essentiels qui permettent aux plantes de pousser et reconstitue les nutriments à partir des déchets végétaux et animaux.

Mais lorsque les cultures sont produites pour des marchés éloignés, comme c’était de plus en plus le cas au 19è siècle en Angleterre, la fertilité du sol en souffre car les déchets alimentaires et les excréments ne retournent pas dans le sol. Liebig a appelé cela un système de vol qualifié, parce que les éléments nutritifs étaient volés dans le sol et non retournés.

Karl Marx a étudié le travail de Liebig avec soin. Il s’est inspiré du nouveau concept scientifique du métabolisme, des cycles biologiques et physiques essentiels à la vie, et l’a placé au centre de son analyse de la relation entre l’humanité et la nature. Il voyait la fin de l’utilisation du fumier humain comme un exemple important de l’aliénation de la société capitaliste par rapport au monde naturel dont dépend la vie humaine.

Marx a intégré l’explication de Liebig sur la crise de l’épuisement des sols dans son analyse historique et sociale du capitalisme, concluant qu’« une agriculture rationnelle est incompatible avec le système capitaliste », car les impératifs de la croissance capitaliste sont inévitablement en conflit avec les lois de la nature. Il a décrit ainsi la séparation de l’homme de la production alimentaire, cette rupture dans un cycle de nutriments séculaire comme une faille (rift) irréparable dans le processus interdépendant du métabolisme social, un métabolisme prescrit par les lois naturelles de la vie elle-même ».

L’analyse par Marx de l’agriculture britannique du 19è siècle fournit le point de départ théorique de ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la rupture, de la faille métabolique, qui est utilisée par de nombreux écologistes radicaux pour analyser et comprendre les crises environnementales modernes.

Le concept de faille métabolique exprime la dépendance et la séparation simultanées de la société vis-à-vis du reste de la nature. Comme une maladie auto-immune qui s’attaque au corps dans lequel il vit, le capitalisme fait à la fois partie du monde naturel et est en guerre avec lui.

Un horizon désespérément court

Les impacts écologiquement destructeurs du capital ne sont pas seulement motivés par son besoin de croître, mais aussi par son besoin de croître plus rapidement. C’est pourquoi il fallait seize semaines pour élever un poulet de deux livres et demie en 1925, alors qu’aujourd’hui, des poulets deux fois plus gros sont élevés en six semaines.

L’élevage sélectif, les hormones et l’alimentation chimique ont permis aux fermes industrielles de produire non seulement plus de viande, mais plus de viande plus rapidement. La souffrance des animaux et la qualité de la nourriture sont des préoccupations secondaires, si tant est qu’elles soient prises en compte.

Mais la plupart des processus naturels ne peuvent pas être manipulés de cette façon. Les cycles de la nature fonctionnent à des vitesses qui ont évolué au cours de plusieurs millénaires ; les « forces » de quelque façon que ce soit déstabilisent inévitablement le cycle et produisent des résultats désagréables.

Les terres fertiles sont détruites, les forêts sont coupées à blanc et les populations de poissons s’effondrent, tout cela à cause de ce qu’Istvan Mészáros [1930-2017] disait(2). Il y a un conflit insurmontable entre le temps de la nature et le temps du capital ; entre les processus cycliques qui se sont développés sur des centaines de millions d’années, et le besoin du capital pour une production, une vente et un profit rapides.

Les failles métaboliques que Liebig et Marx connaissaient et dont ils ont parlé étaient initialement locales ou régionales, mais elles ont grandi avec le capitalisme. Le colonialisme a étendu les dégâts en transportant des produits et des nutriments depuis des endroits éloignés.

L’Irlande a été la première victime du système mondial de vols qualifiés. Décrivant comment l’Angleterre importait de la nourriture d’Irlande pauvre, Marx a écrit : « L’Angleterre a indirectement exporté le sol de l’Irlande, sans même permettre à ses cultivateurs de remplacer les constituants du sol épuisé » [ce qui a conduit à la terrifiante famine de 1845-1852 ; à l’extrême paupérisation ; à l’exil massif de la population, etc.]

Depuis le milieu du 19è siècle, le capitalisme a provoqué des changements sans précédents dans toute la biosphère, les terres, les forêts, l’eau et l’air de la Terre. Dans sa recherche incessante de profits, il perturbe et détruit massivement les systèmes de survie de la Terre, soit les processus et cycles naturels qui rendent la vie elle-même possible. Les fractures/faille/rupture métaboliques sont devenues des gouffres métaboliques.

Révolution écosocialiste

C’est pourquoi la crise environnementale ne peut pas être un simple sujet de discussion pour les socialistes : c’est une urgence planétaire que nous devons traiter comme une priorité absolue. Nous devons initier et nous joindre aux luttes pour des objectifs environnementaux immédiats.

Nous devons participer, non pas en tant que critiques accessoires, mais en tant que militant·e·s, bâtisseurs et leaders. En même temps, nous devons trouver les meilleurs moyens d’expliquer patiemment comment ces luttes sont liées à la lutte plus large pour sauver le monde de l’écocide capitalisme.

Comme Simon Butler (3) et moi l’écrivions « dans chaque pays, nous avons besoin de gouvernements qui rompent avec l’ordre existant, qui ne rendent des comptes qu’aux travailleurs et travailleuses, aux agriculteurs, aux pauvres, aux communautés indigènes et aux immigrants, en un mot, aux victimes du capitalisme écocide, pas à ses bénéficiaires et à ses représentants ».

Ces gouvernements auront deux caractéristiques fondamentales et indissociables.

Premièrement, ils seront attachés à la démocratie de base, à l’égalitarisme radical et à la justice sociale. Ils seront fondés sur la propriété collective des moyens de production et s’emploieront activement à éliminer l’exploitation, le profit et l’accumulation en tant que forces motrices de notre économie.
Deuxièmement, ils baseront leurs décisions et leurs actions sur les meilleurs principes écologiques, en donnant la priorité absolue à l’arrêt des pratiques anti-environnementales, à la restauration des écosystèmes endommagés et au rétablissement de l’agriculture et de l’industrie sur des principes écologiques sains.
Une transformation aussi profonde ne se produira pas par hasard. En fait, cela n’arrivera pas du tout si l’écologie n’occupe pas une place centrale dans la théorie socialiste, dans le programme socialiste et dans l’activité du mouvement socialiste.

Bref, au 21è siècle, les socialistes et les verts doivent être écosocialistes, et l’humanité a besoin d’une révolution écosocialiste.

(Contribution publiée sur le site Climate & Capitalism par Ian Angus en date du 19 novembre 2019 ; elle est issue d’une intervention de l’auteur à Toronto le 16 novembre 2019 ; traduction rédaction A l’Encontre)

(1) Fawzi Ibrahim [auteur d’un remarquable ouvrage Capitalism Versus Planeth Earth. An Irreconcilable Conflict, Muswell PressLdt, 2012]

(2) Istvan Mészáros [1930-2017] l’horizon incurablement court du système du capital [voir, entre autres, Beyond Capital.Toward a Theory of Transition (2000), The Structural Crisis of Capitalism (2010) ; The Challenge and Burden of Historical Time. Socialism in the Twenty Century. (2008).

(3) Simon Butler Too Many People ? Population, Immigration, and the Environmental Crisis (Haynarket Books, 2011)

22 novembre 2019 Ian Angus

http://alencontre.org/

Ian Angus

Ian Angus est coauteur de l’ouvrage Too Many People ? Population, Immigration, and the Environmental Crisis (http://www.haymarketbooks.org/pb/Too-Many-People). Il est éditeur du journal écosocialiste Climate and Capitalism (http://climateandcapitalism.com/),

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