Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Le décret du président Obama sur l'immigration est à la fois un bon plan et une manœuvre politique remarquablement habile

On se questionne à savoir si le plan du Président Obama sur l’immigration est légal. On se demande aussi s’il s’agit d’une bonne politique. Et des questions surgissent également à propos de l’habileté politique dont fait preuve M. Obama avec ce décret. À ce sujet, je dirais qu’il a été particulièrement astucieux : il a ainsi pratiquement démoli tous les plans des dirigeants-es du parti républicain pour les deux années à venir.

Kevin Drum, Mother Jones, 21 novembre 2014, | Traduction, Alexandra Cyr

Cela noie les plus virulentes oppositions à ce décret chez les Républicains-es, et certains-es dirigeants craignent maintenant de perdre leurs appuis en rapide augmentation pour les présidentielles de 2016 si ce sont les plus extrémistes du parti qui prennent le haut du pavé.

Les rapports citent les analyses officielles du parti suite à l’élection de cette année et qui se demandent ce qui n’a pas été à la hauteur : « Si les Hispaniques pensent que nous ne voulons pas d’eux ils vont cesser d’écouter nos propositions politiques ».
M. David Winston, sondeur qui conseille les dirigeants-es, déclare : « Le fait que les Républicains-es n’aient pas atteint de consensus sur la question de l’immigration leur rend la tâche difficile quand vient le temps de parler de cette question d’une seule voix. Cela permet à certains-es d’avoir plus de visibilité qu’ils et elles n’en auraient autrement. On peut mentionner ici, le représentant de l’Iowa, M. Steve King »
Ah ! Oui, au fait M. Steve King ! Personne ne l’arrête ; donc avec l’arrivée de la période des primaires il va devenir, dans les faits, le leader des« anti-immigration ». De la même manière que pour avoir accès à des millions de dollars, bien des candidats-es républicains-es ont mangé dans la main de M. Sheldon Anderson et juré une loyauté éternelle à Israël et une hostilité éternelle à toute immigration possible à la frontière sud.

Leurs discours à ces sujets seront le plus fleuris possible. C’est un énorme problème. Soutenir Israël n’implique pas beaucoup de risques. Mais, dénoncer toute la population américaine d’origine hispanique va sûrement détruire tous les espoirs que le parti républicain peut avoir de jamais se rallier ce bloc d’électeurs-trices, celui qui grandit le plus vite au pays.

Et il n’y a pas que cela. La direction du parti ne craint pas seulement qu’aux prochaines primaires il est l’air d’être composé d’un groupe de xénophobes maniaques. Elle craint surtout qu’au cours des deux prochaines années le parti perde toutes ses chances de démontrer à l’électorat qu’il est un parti « adulte ».

Voici ce qu’en dit le L.A. Times : « La vive réaction des Républicains-es n’a pas tant à voir avec les particularités du plan du Président sur l’immigration, qu’avec la peur et la rage que cet enjeu soit porté à l’ordre du jour de la prochaine majorité républicaine avant même la convocation du prochain Congrès. Ceux et celles qui, parmi cette direction, espéraient porter l’attention sur la réforme des impôts et taxes des entreprises, sur l’ouverture d’une voie rapide pour les traités de libre-échange, sur le retrait de la loi Obama sur la santé et sur le retrait des contraintes environnementales pour l’industrie du charbon se voient obligés-es de la porter sur la question de l’immigration qu’ils et elles avaient si studieusement évitée au cours de la dernière année … Ms Boehner (leader républicain à la Chambre des représentants-es) et McConnell (futur leader républicain au Sénat) ont tant crié danger au Président Obama que ça ressemble à un appel à ce qu’il ne contribue pas à revigorer l’aile droite du parti. Ils le menace déjà d’inclure son plan dans les prochaines discussions sur le budget ».

Je pense qu’ici, il faut créditer le Président pour une manœuvre politique particulièrement brillante. C’est en partie involontaire : s’il avait annoncé son plan plus tôt cette année il n’aurait pas reçu l’appui des sénateurs démocrates dans les États à majorité républicaine qui ne voulaient pas avoir cette patate chaude dans les pattes durant leur difficile campagne électorale. Il a gardé ses munitions pour l’après-élection de mi-mandat et cela semble ne donner que des résultats positifs à son parti.

Finalement, l’opposition n’est pas bien vigoureuse : le public se déclare un peu mécontent de l’usage du décret présidentiel pour modifier les règles en immigration. Mais il n’y a rien là ! En dehors de Fox News, qui est déjà convaincu que M. Obama est un tyran qui s’emploie à déchirer la constitution, tout ça ne fait pas beaucoup de vagues et ça ne durera pas. Dans quelques semaines on l’aura oublié.

Par contre, l’approbation a beaucoup de potentiel : c’est un fait que le Président a agité le chiffon rouge en face des membres du Tea Party siégeant au Congrès. Il les a réduits au rang de lunatiques qui veulent fermer le gouvernement et même entreprendre une procédure d’« empeachment » contre lui. C’est devenu une véritable épine dans le pied de Ms. Boehner et McConnell qui ne veulent pas que cette ligne politique devienne l’affiche publique du parti. En plus, cela pourrait bien ruiner l’ordre du jour du parti au cours de la prochaine année ; du bonbon pour M. Obama. L’effet se ferait sentir lors des prochaines primaires : le parti serait celui des anti-hispaniques et subirait ainsi des dommages électoraux permanents.

Sans compter, que de tels résultats revigoreraient le parti démocrate si on les ajoute à ceux qu’apporteraient le fait d’avoir tenu ses promesses envers les Hispaniques. Ce serait gagner leur adhésion pour bien des élections à venir.

Est-ce qu’il y a un prix à payer pour une telle manœuvre politique ? Si vous croyez que peut-être, tout juste peut-être, les Républicains-es pourraient travailler avec le Président sur quelques morceaux de législation et les adopter, oui il y a un prix. (…) Autrement, il n’y en a aucun. Je me trouve à peu près dans cette position. Et vous savez quoi ? Même si les arrangements convenus, portant sur, …l’autorisation de Keystone XL, quelques écorchures à la loi sur la santé, (Obamacare), passaient, je m’opposerais ou j’approuverais mollement. Et si ça n’arrivait pas, je ne crois pas que ça ferait verser une larme à quelque démocrate que ce soit.

Cela ne laisse en plan que les nominations que le Président devra faire. Il se peut que là il y ait un certain prix à payer. Seulement si on pense que les Républicains-es étaient prêts-es à mettre de l’eau dans leur vin pour approuver ces nominations de juges et de dirigeants-es d’agences fédérales. J’ai un peu de doutes à cet égard mais on ne sait jamais….Si cela déchainait la bête « teapartyenne », il y aurait un prix à payer.

Donc, toute l’opération est plutôt brillante. Elle rassemble les Démocrates, perturbe l’ordre du jour républicain au Congrès, consolide l’électorat hispanique du côté démocrate et offre au public américain une année de discours furieusement xénophobes de la part des Républicains-es pendant les prochaines primaires.

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