4 septembre 2024 | tiré du site de l’IRIS
https://iris-recherche.qc.ca/publications/transport-scolaire/
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Faits saillants
Les bris de service en transport scolaire au Québec ont été en moyenne de 200 par jour lors de l’année scolaire 2022-2023 et de 137 par jour en 2023-2024, soit une moyenne respective de 8 000 et 5 500 élèves sans service. Ces nombres contrastent avec les années précédentes, où les bris de service étaient exceptionnels. La pénurie de personnel et les conflits de travail sont les deux facteurs premiers de ces bris de service.
Les données du ministère des Finances du Québec démontrent que le taux de bénéfice moyen avant impôt des entreprises de transport scolaire a été de 13,5 % entre 2012 et 2019. Durant la même période, le taux de bénéfice moyen avant impôt des entreprises non financières au Canada a été de 6,5 %. Transport scolaire Sogesco, qui contrôle environ 12 % du marché québécois, affiche un taux de rendement moyen avant impôt de 15,5 % entre 2014 et 2023.
En 2011, un rapport du Vérificateur général du Québec estimait que 10 entreprises contrôlaient 35 % de l’industrie du transport scolaire au Québec, ce qui posait un risque financier important pour les finances publiques, d’autant plus que la quasi-totalité des contrats de service est toujours conclue de gré à gré. Les 10 premières entreprises de transport scolaire contrôle désormais environ 40 % du marché.
Certains projets pilotes de transport scolaire menés par les organismes scolaires eux-mêmes ont permis de diminuer les bris de service causés par un manque de personnel entre les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024 ; jusqu’à 95 % dans le cas du centre de services scolaire des Affluents, dans Lanaudière.
Le recours systématique à la sous-traitance privée est l’exception plutôt que la règle au Canada. La flotte de véhicules scolaires de plusieurs provinces canadiennes est en tout ou en partie publique. Afin de faire contrepoids à la concentration de l’industrie et de lutter durablement contre la pénurie de main-d’œuvre, l’État québécois devrait augmenter la proportion publique des véhicules scolaires, qui est à l’heure actuelle de moins de 1 %.
3. Conclusion et recommandations
Environ 40 % du marché du transport scolaire est contrôlé par 10 entreprises. Faute de mesures politiques conséquentes pour faire suite au rapport du VG en 2011, qui indiquait clairement une tendance à la concentration de l’industrie, la situation s’est aggravée depuis. Les données présentées dans cette étude démontrent une prise de bénéfice importante de la part du secteur privé.
Comparativement au rendement raisonnable moyen de 8 % avancé par la firme comptable Deloitte pour ce secteur économique, certaines entreprises obtiennent un taux de rendement moyen doublement supérieur. Afin de contrer cette dynamique et de freiner l’oligopolisation de l’industrie du transport scolaire, des efforts de décentralisation doivent être accomplis. À cet égard, et à partir des modèles pratiqués dans d’autres provinces canadiennes et par certains organismes scolaires du Québec, l’État doit faire contrepoids au secteur privé en augmentant la proportion de véhicules scolaires détenus par le public.
Dans un contexte de ruptures de service de transport scolaire, il importe de réitérer les mérites de ce service public. En plus de ses bienfaits écologiques, par sa qualité de transport collectif, le transport scolaire est un mode 72 fois plus sécuritaire que le transport à l’école par automobile62. Sa gratuité est également un atout pour la fréquentation scolaire et l’inclusion sociale, particulièrement pour les ménages moins nantis qui peuvent ne pas avoir accès à d’autres modes de transport alternatif pour assurer les déplacements scolaires des enfants et adolescent·e·s. Une étude en ce sens aux États-Unis a révélé la prévalence des familles à faible revenu dans le recours au service de transport scolaire, ce qui, à notre connaissance, n’a pas été accompli à ce jour au Canada63.
Les analyses présentées dans ce document ont abordé divers aspects du transport scolaire au Québec et permettent de dresser les constats suivants :
- Les interruptions de service, à raison de plus ou moins 170 par jour scolaire dans les deux dernières années, sont principalement attribuables à des questions de main-d’œuvre.
- Il n’existe pas de procédure et de norme communes de compilation des bris de service à l’échelle du Québec.
- Le nombre de détenteurs et détentrices de certificat de compétence de transport scolaire semble engagé dans une tendance baissière. La proprotion des conducteurs et conductrices âgé·e·s de 55 ans et plus atteint désormais près de 70 %.
- À ce jour, l’approche des primes salariales a constitué la principale réponse des pouvoirs publics à l’égard des bris de service systémiques.
- Les entreprises de transport scolaire affirment qu’elles ne disposent pas de marge de manœuvre financière et réclament du financement public supplémentaire. Pourtant :
- Le ratio entre les bénéfices nets avant impôts et les revenus bruts des entreprises privées de transport scolaire ont avoisiné 13,5 % durant la période de 2012 à 2019, soit un taux supérieur à la norme proposée par une étude de la firme comptable Deloitte en 2008.
- Durant la période de 2019 à 2023, le taux moyen des bénéfices nets avant impôt sur les revenus bruts a été de 16,86 % pour l’entreprise Transport scolaire Sogesco, le plus important transporteur du Québec.
- Les avertissements du VG émis en 2011 à propos des risques posés par la concentration du marché du transport scolaire au Québec sont demeurés lettre morte. Selon nos estimations, les 10 entreprises de transport scolaire les plus importantes contrôlent désormais environ 40 % du marché, comparativement à 35 % en 2011. Les acquisitions récentes d’entreprises de transport scolaire par de grands groupes indiquent qu’en l’absence d’intervention politico-économique, l’oligopolisation de l’industrie du transport scolaire se poursuivra dans les années à venir et représentera un risque accru lors du renouvellement des règles budgétaires du transport scolaire en 2027-2028.
- Le rehaussement sans condition du financement public du transport scolaire ainsi que le programme de primes salariales comportent le risque de subventionner les profits du secteur privé, de plus en plus composé de fonds d’investissements privés étrangers.
- Au Canada, le modèle économique et politique du transport scolaire est majoritairement public, et la sous-traitance systématique est, au vu des informations disponibles, le fait des seules provinces de Québec et de l’Ontario.
- Le gouvernement du Québec a entrepris, de concert avec certains CSS, et malgré l’opposition des transporteurs privés, des projets pilotes de transport scolaire en régie. Cette initiative a eu des effets positifs marqués : les bris de service du CSS des Affluents, dans Lanaudière, ont diminué de 95 % entre les années 2022-2023 et 2023-2024, c’est-à-dire qu’ils sont passés d’environ 6 500 bris à 324 pour l’année 2023-2024, en date du 21 mai.
Les réponses politiques aux constats ci-dessus sont complexifiées par le caractère de sous-traitance du transport scolaire, où les actifs de ce service public n’appartiennent pas à l’État. Une partie des problèmes constatés découlent d’ailleurs de cet aspect. Dans une perspective de résilience du réseau et de rééquilibrage des rapports de force entre une industrie de plus en plus concentrée et un État et des organismes scolaires dépendants de ceux-ci pour la prestation du service, la constitution progressive d’une flotte publique partielle ou totale représente une avenue de réforme porteuse, à l’instar d’autres provinces canadiennes. Voici la synthèse des recommandations évoquées dans les chapitres d’analyse de cette étude :
- Établir une compilation détaillée des bris de service de transport scolaire à l’échelle du Québec, dans une perspective de meilleure compréhension et d’amélioration de ce service public.
- Introduire une rémunération minimale des conducteurs et conductrices dans le cadre de l’élaboration quinquennale des règles budgétaires du transport scolaire, de manière à assurer des conditions de travail attractives et éviter le risque de subventionner un taux de surprofit privé en rehaussant sans condition le financement du transport scolaire.
- Établir au sein du MEQ une politique de compilation d’informations relatives aux entreprises privées de transport scolaire – nombre, taille, circuits de transport scolaire sous contrat, informations aux états financiers – et rendre disponibles au public les informations pouvant l’être. Cette pratique constituerait une forme renouvelée de publication d’« indicateurs de gestion » produits jusqu’en 2012-2013 par le MEQ.
- Étudier davantage les barrières à la concurrence et les causes de la prévalence des ententes de gré à gré entre les organismes scolaires et les transporteurs privés, afin d’envisager des politiques réglementaires de protection de la concurrence telles que celles entourant la disponibilité des cours d’entreposage de véhicules scolaires à proximité des organismes scolaires.
- Profiter du renouvellement en cours du parc de véhicules scolaires dans le cadre de la politique d’électrification du secteur pour favoriser la détention publique des véhicules et le transport en régie. Cette approche est de nature à diminuer les risques économiques posés par la concentration progressive de l’industrie du transport scolaire, en plus de prévoir des conditions de travail accrues.
- Faire l’acquisition publique d’entreprises de transport scolaire privées, surtout celles susceptibles d’être vendues à de grands groupes ; intégrer leurs actifs dans les organismes scolaires à proximité par le biais du transport en régie. Cette démarche peut contribuer à rééquilibrer le rapport de force entre l’industrie du transport scolaire et l’État pour les questions entourant la concentration croissante du marché.
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