Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

Les sophismes de la ministre Nathalie Normandeau

La ministre déploie tout un arsenal de sophismes et de demi-vérités à la défense de l’indéfendable politique de son gouvernement qui cède l’exploitation et l’usufruit de nos ressources naturelles à des intérêts privés, le plus souvent étrangers.

Dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir du 14 mars dernier, la ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, réplique à la récente Déclaration du mouvement « Maîtres chez nous-21e siècle ». Les signataires de la Déclaration exigent que « le gouvernement reprenne possession des droits d’exploration et d’exploitation de nos ressources énergétiques qui constituent notre bien commun ». Au lieu de répondre rationnellement à cette demande légitime, la ministre déploie tout un arsenal de sophismes et de demi-vérités à la défense de l’indéfendable politique de son gouvernement qui cède l’exploitation et l’usufruit de nos ressources naturelles à des intérêts privés, le plus souvent étrangers.

Voici un échantillons des demi-vérités que nous sert la ministre dans sa réplique :

1- « Les ressources naturelles appartiennent au peuple québécois et le demeureront. »

Voilà une évidence doublée d’une omission grave : la ministre omet de dire que le peuple se trouve dépossédé de ces ressources qui lui appartiennent par un gouvernement qui les cède à des intérêts privés pour une bouchée de pain. La bouchée de pain, ce sont les jobs de « porteurs d’eau et de scieurs de bois » dont nous nous contentons, alors que les énormes profits résultant de l’exploitation de nous ressources nous échappent.

2- « Il est faux de prétendre que nos ressources naturelles sont bradées. »

Plus qu’une demi-vérité, cette négation est un mensonge éhonté. Toutes nos ressources naturelles - sauf l’hydroélectricité dûment nationalisée - sont massivement bradées, au point que nous n’en ramassons que ces « retombées » dont parlent la ministre. Les retombées, ce sont les miettes qui tombent de la table des riches exploitants. C’est ce que déplore, chiffres à l’appui, le Vérificateur général dans un rapport choc déposé en avril 2009.

Dans le même sens, Yvan Allaire, président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, a signé, le 24 février dernier, un rapport qui dénonce le bradage de nos ressources naturelles. L’économiste démontre, tableaux à l’appui, « qu’en 2008 les incitations de toute nature consenties à l’industrie minière ont coûté [au Trésor public] 43 millions de dollars de plus que les droits miniers perçus ». Non seulement le gouvernement Charest brade nos ressources, mais il paie nos spoliateurs pour qu’ils nous les prennent. Pire que Duplessis !

3- « Grâce à notre hydroélectricié, nous avons développé une expertise unique au monde [...] et en tirons d’énormes revenus ».

Omission trompeuse dans ce coup de chapeau tordu à l’hydroélectricité. En toute honnêteté, il fallait dire : grâce à notre hydroélectricité nationalisée.

4- « Les fonds publics doivent servir en priorité à soigner nos malades, à assurer la qualité de vie de nos aînés, à être mis au service de l’éducation […], plutôt que d’être utilisés dans des activités d’exploration à haut risque financier. »

Évidemment, il faut des fonds publics pour financer nos services sociaux, mais la ministre omet de dire que nos ressources naturelles pourraient contribuer - comme le fait la ressource hydraulique - à enrichir le trésor public et donc à financer adéquatement les services que son gouvernement s’applique à rogner, prétextant le manque de fonds. Contrairement à ce qu’elle affirme, l’exploitation de nos ressources ne constituent pas généralement des activités à haut risque financier, mais des opérations fort rentables.

5- « Le modèle de développement que nous souhaitons doit nous procurer le maximum de bénéfices pour le minimum de risques financiers. »

Louable souhait... que contredit toute l’action gouvernementale. Le modèle actuel de d’exploitation de nos ressources – forêts, mines, vent, hydrocarbures – nous procure un minimum de bénéfices économiques pour un maximum de risques environnementaux et sociaux.

6- « La protection de l’environnement, la création d’emplois et l’adhésion des citoyens sont les fondements du développement durable. »

La ministre omet de mentionner une condition essentielle pour que ces « fondements » fondent le développement durable : la maîtrise de nos biens publics par les pouvoirs publics. L’expérience séculaire du peuple québécois lui enseigne que l’intérêt des compagnies minières, forestières, gazières et pétrolières, c’est le profit à court terme et non pas la protection de l’environnement.

7- « De tout temps, le gouvernement du Québec a été le fiduciaire de cet héritage inestimable qu’elles [les ressources naturelles] représentent. »

Affirmation trompeuse, car de tout temps, les gouvernements du Québec ont été de mauvais fiduciaires de notre héritage commun, à une exception près : le gouvernement Lesage-Lévesque. Historiquement, tous nos gouvernements, de Taschereau à Charest en passant par Duplessis, ont trouvé plus commode de livrer l’exploitation et l’usufruit de nous ressources à des intérêts privés, plutôt d’en faire profiter la nation entière, comme dans le cas de l’hydroélectricité.

Devant une telle enfilade de demi-vérités et de sophismes de la part de la responsable du ministère chargé de gérer notre riche et précieux patrimoine commun, on est en droit de se demander avec l’irrévérencieux humoriste états-unien, Mark Twain, si nos gouvernants sont des gens intelligents qui nous prennent pour des imbéciles ou des imbéciles qui croient dans ce qu’ils tentent de nous faire croire.

Jacques B. Gélinas

Sociologue québécois, Jacques B. Gélinas s’est toujours intéressé aux questions touchant l’émancipation du Tiers Monde, les droits de minorités et l’organisation socio-économique des communautés humaines. Après plus d’une décennie comme coopérant en Amérique latine, il a été professeur en sociologie du développement, puis cadre au ministère des Relations internationales du Québec. Il est aujourd’hui essayiste et conférencier.

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