Dans les états et gouvernements locaux du pays, les travailleurs sont témoins des coupures dans les services publics au nom de budgets équilibrés. Des $ billions (mille milliards) ont été distribués aux titans et aux grandes banques de Wall Street. Alors que l’épidémie des saisies immobilières et des réductions de services publics fait rage, les profits des corporations atteignent des sommets record, et les banques sont assises sur des montagnes de capital accumulé. Pourtant, nous dit-on, il n’y a pas assez d’argent pour aider les millions de personnes qui luttent en ces temps économiques difficiles.
Plus tôt ce mois-ci, dans la même ville où le congrès effectue des réductions sociales, d’autres compressions budgétaires affectant les soins aux enfants et les logements sociaux ont été votés par le conseil de la ville de Washington. Les organisateurs communautaires et les résidents touchés par ces mesures ont proposé un autre choix : l’augmentation de 1% de la taux d’imposition pour les revenus les plus élevés de la ville.
Une jeune mère célibataire handicapée et sans emploi a approché le président du conseil Vincent Gray. Ses yeux noirs vitreux regardèrent fixement les yeux effarouchés du bureaucrate, qui reculait nerveusement devant les visages des résidents à faible revenu touchés par ses décisions. Avec une voix douce et tremblante, elle dit au président qu’elle pourrait perdre sa fille, si le conseil met en vigueur ces coupures budgétaires. Avec un visage impassible, Gray - qui bientôt va remplacer Adrian Fenty en tant que maire de l’arrondissement - regarda la jeune femme et dit : "Si vous pouvez imprimer de l’argent, s’il vous plaît faites-le."
Le même jour et dans le même salle, Gray a convaincu le conseil de défaire une résolution qui aurait eu comme effet d’augmenter modérément les impôts sur les revenus les plus élevés de D.C. et d’écarter les mesures d’austérité qui accablent les résidents les plus démunis de la ville.
Tel est l’incarnation du visage correspondant au mot #1 de l’année : austérité, selon le dictionnaire Merriam-Webster
Les priorités du Congrès
La réalité d’un système fondé sur des priorités aussi rétrogrades que récompenser les riches et punir les travailleurs et les pauvres fut de nouveau mis à nu dans les derniers jours de 2010 par ce canard boiteux qu’est le congrès. Beaucoup se sont demandés pourquoi le seul moyen permettant de prolonger les prestations pour les chômeurs de longue durée était de prolonger les réductions d’impôts pour les riches.
Nous vivons dans une société où le congrès est dans un impasse conflictuel concernant l’aide aux chômeurs, alors qu’il passe en même temps un projet de loi pour dépenses massives pour la guerre, sans aucun débat, ne serait-ce que symbolique.
Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, on voit des barricades où on brûle des bancs de parc, des étudiants révoltés matraqués par la police et les travailleurs en grève debout face aux panaches de gaz lacrymogène. De la Grèce à l’Irlande, des sévères mesures d’austérité menaçant d’éradiquer les traditionnelles politiques sociales – déjà affaiblies - des gouvernements de l’Europe suscitent des grèves tournantes et des mobilisations étudiantes contre la hausse des frais de scolarité.
En revanche, les rues aux États-Unis restent relativement calme. Où est l’organisation de la révolte des travailleurs aux États-Unis ? Où est le mouvement syndical ? La faiblesse de ce mouvement aux États-Unis, comparé à l’influence du syndicalisme en Europe, permet d’expliquer en partie cette différence. Mais en outre des membres de moins en moins nombreux, une carence majeure, empêche le mouvement syndical américain de devenir une force de combat contre l’austérité. Le mouvement syndical aux États-Unis est compromis par sa collusion avec l’une des machines politiques préconisant l’austérité en premier lieu : le Parti démocrate.
Beaucoup a été dit au sujet de la colère qui a éclaté dans la base libérale du président Barack Obama depuis que la Maison Blanche a voté pour son « compromis de réduction d’impôt ». L’accord conclu entre Obama et les républicains vient s’ajouter sur la liste toujours croissante des affronts de l’administration, qui révoltent les progressistes.
Le mouvement syndical
Et quelque part entre le groupe d’Obama qui privilégie de gouverner au centre et sa base libérale mise de côté, se trouve le mouvement syndical américain, une communauté disparate de groupes institutionnels de négociation collective et les 15 millions de travailleurs qu’ils représentent. Le mouvement syndical est fragmenté, mais la loyauté des dirigeants syndicaux pour le Parti démocrate lors des trois dernières décennies, demeure un point d’unité.
En 2008, le syndicat a dépensé un montant sans précédent d’argent - plus de $ 400 millions - pour soutenir l’élection d’Obama et les candidats démocrates au Congrès. Même après cela, un Congrès contrôlé par les supposés alliés des travailleurs a laissé tomber le projet de loi Employee Free Choice Act - une priorité sur le plan légal pour le monde du travail, et qui aurait facilité aux travailleurs leur affiliation à des syndicats - syndicats coincés par Obama et les démocrates.
La Fédération américaine des employés de l’Etat, du comté et des municipalités (AFSCME) à elle seule a dépensé $ 87,5 millions pour le soutien des démocrates en 2010. Quelques semaines après les élections de 2010 à mi-parcours, l’administration Obama a montré sa gratitude pour la fidélité indéfectible du syndicat en annonçant un gel des salaires de deux ans pour les employés fédéraux, l’un des secteurs les mieux syndiqués de la main-d’œuvre.
Le président de l’AFL-CIO (American Federation of Labour - Congress of Industrials Organisations), Richard Trumka a condamné le gel des salaires. Mais les dirigeants comme Trumka ont été de plus en plus coincés dans la position inconfortable de défendre Obama tout en condamnant les politiques anti-ouvrières de son administration. "Personne n’est bien servi par notre gouvernement qui participe au « nivellement par le bas des salaires », a déclaré Trumka à propos du gel des salaires du gouvernement fédéral. "Le président a parlé de la nécessité de partager les sacrifices, mais il n’ a rien partagé des bonus et profits records de Wall Street, des PDG, alors que les travailleurs ont à supporter tout le fardeau".
Les politiciens de droite voudraient nous faire croire que ce n’est pas Wall Street qui a causé le chaos économique de la nation, mais plutôt les employés du secteur public. Ces travailleurs et leurs syndicats sont les nouveaux boucs émissaires pour les problèmes économiques du pays. Le nouveau gouverneur du Wisconsin Scott Walker a récemment déclaré, "Nous ne pouvons plus vivre dans une société où les employés du secteur public sont les bien nantis et les contribuables qui paient la facture sont les plus démunis."
Au début de décembre, AFSCME ( l’American Federation of State, County and Municipal Employees) a annoncé le lancement d’une campagne médiatique intitulée « Arrêtez les mensonges » afin de faire connaître les mensonges de la droite contre les travailleurs du secteur public.
Mais les démocrates se sont également joints aux efforts visant à diaboliser les travailleurs du secteur public. La campagne du gouverneur démocrate élu de New York Andrew Cuomo faisait appel aux syndicats du secteur public pour accepter des concessions massives afin de réduire le déficit budgétaire de l’État. Le nouveau gouverneur réussit à rallier de son côté des entreprises de lobbying afin de lancer une publicité antisyndicale de $10 millions contre les travailleurs du secteur public.
Pendant ce temps, la commission d’Obama sur le déficit qui a dans sa ligne de mire la sécurité sociale et autres « droits », a proposé un débat au Congrès sur la réduction du déficit des États-Unis, grâce à des mesures d’austérité punitives.
Il est donc légitime de se demander jusqu’où Obama et le Parti démocratique vont se rendre à droite, avant que le mouvement syndical cesse de les supporter. Combien de temps les dirigeants syndicaux vont pouvoir justifier devant leurs membres, les énormes sommes d’argent dépensées pour soutenir les démocrates, dont l’engagement pour l’aide sociale des entreprises dépasse celui pour les intérêts des gens de la classe ouvrière ?
Stratégies perdantes
En regardant vers 2012, Chris Townsend, le directeur de l’action politique du syndicat des travailleurs de l’électricité (United Electrical Workers Union (UE), ne croit pas que la relation abusive entre les démocrates et le syndicat va se terminer de sitôt :
« Les dirigeants syndicaux et l’appareil syndical qu’ils contrôlent, vont dépenser encore plus d’argent qu’ils l’ont fait cette année. Ils ne voient aucune autre façon d’agir. Ils ne sont pas surnommés le « piège » entre deux parties pour rien. Les syndicats ne soutiendront pas les efforts d’un troisième parti, et ne resteront pas non plus à l’écart des campagnes électorales. Alors, ils mettront en marche des campagnes négatives et des machines à faire peur afin de mobiliser en faveur des démocrates et contre les républicains, qui sont encore pire."
En outre, les syndicats dépensent de plus en plus des sommes énormes de leur budget à ces stratégies politiques perdantes et consacrent de moins en moins de ressources à l’organisation et au militantisme en milieu de travail, une tendance que Townsend décrit comme une sorte de « syndicalisme inversé ». Comme il le dit, « Il est évident pour moi qu’un nombre croissant de syndicats optent pour démobiliser et démanteler les groupes dans le milieu du travail, pour les remplacer par des activités électorales en vue de soutenir les démocrates. "
La Maison Blanche ayant éliminé les derniers obstacles au congrès en vue de garantir la réduction d’impôt, Trumka a décrit le compromis ainsi : « C’est un énorme soulagement pour les 1,4 millions et plus de chômeurs à long terme qui avaient déjà perdu leurs allocations de chômage d’urgence. Mais cet accord a un prix terrible : il récompense les obstructionnistes avec d’énormes allégements fiscaux pour les millionnaires et milliardaires ".
Si jamais il fut un temps pour le mouvement syndical d’affirmer son indépendance politique plutôt qu’une déférence servile aux discours démocrates, ce temps est maintenant. Mais Trumka est prudent de ne pas être trop critique envers Obama, réservant l’essentiel de sa critique aux obstructionnistes républicains.
Tout espoir du mouvement ouvrier en vue de forger une véritable alternative progressiste indépendant des républicains et démocrates est, bien sûr, diminuée par la division perpétuelle des syndicats en deux camps distincts - l’AFL-CIO et les fédérations Change to Win . Mais cet espoir est encore plus entravé par la mentalité de la direction syndicale intimement mêlée à la politique du Parti démocrate.
La dernière négociation de réduction des impôts avec les Républicains est certainement un autre compromis d’Obama et des démocrates indiquant qu’ils ont viré décidément à droite. Les progressistes se sont sentis profondément trahis par cette « utilisation » des moyens de subsistance des travailleurs pour favoriser l’assistance sociale de Wall Street.
Mais tant que la stratégie du moindre mal entre les deux partis reste la sagesse qui prévaut chez les libéraux, Obama et les démocrates pourront toujours compter sur l’intimidation d’une grande partie de leur base progressiste, y compris celle ces travailleurs, pour venir les appuyer en temps de campagne. Un vaste mouvement de gauche appuyé par un mouvement syndical uni et indépendant n’existant pas, il y a peu de raisons de craindre pour des politiciens comme Obama d’avoir à répondre devant les travailleurs.
Un sérieux combat est nécessaire pour arrêter le programme d’austérité que les deux partis politiques utilisent pour matraquer les travailleurs et les pauvres. Mais la lutte contre le consensus bipartisan en faveur des compressions exige des niveaux d’organisation plus élevés du bas vers le haut, par opposition à l’institutionnalisation du haut en bas. Un mouvement ouvrier indépendant où les travailleurs pourront planifier leur propre politique est nécessaire et urgent.
Si la sagesse politique convenue entre les syndicats est que les démocrates sont le seul espoir en ville, alors nous devons nous demander si un jour le mouvement syndical va s’émanciper.
* Brian Tierney est un journaliste indépendant.
Source : socialistworker.org
Traduction : Françoise Breault