Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

L’immigration, le bouc émissaire universel de tous les maux sociaux

Plus d’immigration, moins de problèmes… si on les accueille et intègre

La CAQ casse du sucre sur le dos de l’immigration depuis qu’elle existe. C’est dans ses gênes venant de l’ADQ. Elle vient de gagner le parti Libéral du Canada à son idéologie identitaire pour les besoins de la cause soit l’incapacité du gouvernement fédéral (et du Québec) de faire face à l’aigue crise du logement en tête du palmarès inflationniste.

Le gouvernement canadien et québécois, pour résoudre la pénurie de main-d’œuvre à la satisfaction du patronat malgré un relativementhaut taux d’emploi tel que jaugé depuis l’an 2000, ont ouvert comme jamais les vannes de l’immigration, cette armée de réserve jadis surtout interne, particulièrement l’immigration temporaire :

Notons l’hypocrisie discoureuse de l’un et l’autre gouvernement. Pendant qu’ils accéléraient l’immigration temporaire, ils débattaient publiquement de seuils d’immigration permanente, Ottawa à la hausse et Québec à la baisse. Si la servilité d’Ottawa vis-à-vis le patronat était totale, la CAQ trébuchait sur son nativisme tout en donnant satisfaction au patronat par la porte arrière. La CAQ s’est finalement rajusté. Ottawa, tout en confirmant son haut seuil d’un demimillion d’immigration permanente l’an sous prétexte de le stabiliser pour cause de crise du logement, a corrigé certaines passoires hors Québec pour de faux étudiants alors qu’il bloquait de vrais étudiants francophones pour le Québec et qu’il donne raison au Québec sur le dos des demandeurs d’asile surtout mexicains.

La réponse de gauche serait-elle celle du PQ, seul contre tous, qui prône une baisse drastique de l’immigration permanente, et sans doute temporaire, afin de soulager la pression sur le logement et surtout pour protéger le français en particulier à Montréal ? La Banque Nationale, représentative des PME québécoises, par un rapport très médiatisé ajoute au prix du logement comme prétexte de restriction l’écart du niveau de vie canadien par rapport aux ÉU et rien de moins qu’un début de tiersmondisation au visage d’une baisse de stock de capital réel par personne.

Effectivement, depuis au moins une dizaine d’années, la croissance de la productivité canadienne est parmi les plus basses des pays de l’OCDE mais sur cette période elle est quand même plus élevée que la moyenne des 28 pays de l’Union européenne. Quant à celle québécoise, mesurée en PIB par habitant, elle rattrape celle de l’Ontario à petit pas depuis une quarantaine d’années.

Il n’en est pas moins exact que le tsunami de personnes résidentes non permanentes (RNP) qui commande de bas salaires et de mauvaises conditions de travail est un substitut aux investissements productifs élevant la productivité du travail par la hausse du ratio capital / travail… mais non son élévation par la hausse de l’intensité du travail ou même par l’allongement des heures de travail si on mesure la productivité par travailleur et non par heure de travail… en autant que ces heures soient statistiquement comptabilisées. Côté logement, les RNP sont beaucoup plus locataires que le reste de la population et leur arrivée massive en peu de temps n’a pas pu faire autrement que de contribuer à la hausse des loyers. Mais comme le dit justement le Conseil du patronat(CPQ), « les chiffres révèlent que les villes du Québec ayant le plus faible taux d’inoccupation se trouvent en région, là où le pourcentage de population immigrante est le plus bas. » Si l’immigration peut mettre en évidence la crise du logement à Montréal, et peut-être le recul du français, elle n’en est en rien la cause fondamentale.

Pour le CPQ, cette cause est le retard de la productivité de l’industrie de la construction au Québec par rapport à celle de l’Ontario. La CAQ est pleinement d’accord et compte y remédier dès la présente session par une loi exigeant plus de « flexibilité » et de « mobilité » à distinguer d’une politique gouvernementale de formation, de féminisation et de pluralisation qui, il est vrai, peut être un défi pour les syndicats de la construction. On se dit que la meilleure parade contre l’antisyndicalisme de la CAQ serait une contre-offensive des travailleurs contre le corporatisme moyenâgeux de cette industrie sans remettre en question niveau salarial et conditions de travail. Autrement, on pourrait voir la CAQ jouer la carte de travailleurs temporaires à rabais tant pour la rémunération que pour la formation. À noter que la cause des travailleurs de la construction s’en trouverait renforcé par un rebondissement de la lutte du secteur public justement à l’encontre de la « flexibilité » et de la « mobilité ».

La solution Solidaire, faute de l’encadrer dans l’alternative pro-climat, rate la cible

On compte sur Québec solidaire pour incarner une politique d’immigration de gauche. Son député-expert y est allé d’une longue prise de position écrite (et deux entrevues-choc) les 22 et 23 janvier. Après avoir renvoyé dos-à-dos les positions « radicales » tant du PQ que des Libéraux fédéraux mais en ne critiquant fort pertinemment que celle du PQ des « petites phrases », il affirme que « l’immigration temporaire […] dépasse sa capacité d’accueil en ce moment… » tout en ajoutant qu’elle a « une importance considérable pour la vitalité économique du Québec et de ses régions » et qu’en même temps elle fait « plaisir aux entreprises » ce qui explique que la CAQ n’a pas exercé la totalité des pouvoirs du gouvernement du Québec pour la restreindre. Après cette tape amicale dans le dos du PQ, le député-expert en donne une dans le dos de la CAQ en précisant qu’« [i]l faut toutefois que le Québec respecte sa capacité d’accueil en prenant en charge une part juste des demandeurs d’asile qui arrivent au Canada ». On comprendra que la tergiversation Solidaire alimente la critique de la presse Libéral.

Quelle est la solution Solidaire ? Pour la capacité d’accueil, faut-il s’en étonner, le député-expert botte en touche en demandant « un comité d’experts pour répondre à la question. » Pourtant la réponse a peu à voir avec la science, comme il le prétend, mais beaucoup avec la politique d’accueil… ou de fermeture. Une telle politique d’accueil a, elle, beaucoup à voir avec la science, celle à la base des rapports du GIEC-ONU, qui commande une politique de plein emploi écologique basée sur le « prendre soin » des terre-mères et des gens. On en trouvera les lignes directrices en annexe.

Côté logement, il y faudra certes une corvée-habitation comme le réclame Québec solidaire. Mais pourquoi, diable, passer sous silence la revendication-phare, pourtant minimaliste, de la dernière campagne électorale de la construction de 5 000 logements sociaux écologiques par année. (Pour faire baisser les loyers privés il en faudrait 25 000 l’an soit 50% de la construction annuelle comme jadis en Suède.) La construction de logements sociaux, dont le loyer est basé sur la capacité de payer, est au cœur de la solution à la crise du logement due non pas seulement à la spéculation mais structurellement à la financiarisation du droit au logement. Il serait alors possible non pas de restreindre l’immigration temporaire mais plutôt de lui substituer celle permanente ce qui lui permettrait, en toute égalité citoyenne indispensable à la démocratie, de se syndiquer pour lutter contre le patronat et son gouvernement tous et toutes ensemble.

Marc Bonhomme, 27 janvier 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Annexe : Lignes directrices d’un plan climat pour le Québec

La contradiction fondamentale écologique à résoudre n’est pas celle entre extractivisme ancien et bien connu des hydrocarbures versus celui en émergence rapide du tout-électrique. Dans un contexte de croissance, inhérente au capitalisme, le nouvel extractivisme se superpose à l’ancien. La contradiction fondamentale à résoudre est celle entre l’extractivisme croissanciste et la sobriété décroissanciste. En termes pratiques,

• Non pas un Canada financier, pétrolier et rejetant le Québec même « autonome » mais un Québec indépendant socialisant finance, énergie, transport et ressources naturelles ;
• Non pas une énergie fossile ou celle dite propre mais une réduction drastique d’énergie par personne à bien-être égal avec une transition d’efficacité énergétique et d’énergie propre ;
• Non pas entre véhicules à essence et ceux électriques mais entre véhicules privés et transport actif et en commun avec une transition de véhicules communautaires ;
• Non pas entre maisons passoires et celles écoénergétiques mais entre maisons et habitation collective écoénergétique et une transition de bâtiments existants rendus écoénergétiques ;
• Non pas entre ville tentaculaire hydrocarbonée et une tout-électrique mais entre ville tentaculaire et ville de quartiers 15 minutes avec agriculture urbaine et parcs nature ;
• Non pas une agro-industrie-foresterie ou une « nouvelle agriculture » carnée mais une souveraineté alimentaire biologique, végétarienne captant du carbone et à circuit court ;
• Non pas une consommation de masse, même circulaire, mais une durable sans mode ni publicité et avec garantie de réparation ou de remplacement accessible et bon marché ;
• Non pas un transport lourd de marchandises par camions, à essence ou électrique, mais par trains électriques, par navires à énergie renouvelable et un transport léger électrique ;
• Non pas une politique financière internationale néolibérale mais une de remboursement de la dette écologique telle qu’établie par une commission pluraliste ;
• Non pas une politique d’immigration restreinte mais une de frontières ouvertes combinée à une politique d’accueil, de francisation et de plein emploi priorisant le « prendre soin ».

Un plan climat guidé par ces lignes directrices permet de passer d’une société assise sur la marchandise (ou la valeur d’échange) à une assise sur l’utilité sociale et durable (ou valeur d’usage) des produits et services. Guidée non pas par le profit mais par la planification démocratique combinée à l’autogestion, cette société peut muer en 10 ans comme le Québec capitaliste de la « révolution tranquille » a mué d’une société traditionnelle à une moderne.

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