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Environnement

Plus de 100 scientifiques demandent un moratoire sur l'exploitation du pétrole des sables bitumineux

Fram Dinshaw, Canadian Dimension, 12 juin 2015

Traduction, Alexandra Cyr

Au cours d’une conférence de presse téléphonique, un groupe de plus de 100 éminents scientifiques canadiens et américains a appelé à l’établissement d’un moratoire sur tout nouveau développement dans les sables bitumineux.

Ils ont donné 10 raisons pour expliquer en quoi la poursuite de cette production est incompatible avec l’objectif d’empêcher les changements climatiques de prendre des proportions qui causeraient encore plus de dégâts. Ils invoquent : le manque de protection et de connaissances de base ; la contamination de l’espace boréal canadien ; des lacunes quant aux revendications territoriales ; l’affaiblissement des droits territoriaux des Premières Nations liés à ce développement et au transport du pétrole ; le fait que ce genre de développement nord-américain établisse un précédent dans le monde alors que le combat contre les changements climatiques doit se poursuivre ; que le contrôle des émissions de carbone n’est pas une menace économique ; que les politiques actuelles ne tiennent pas compte des impacts cumulatifs du développement des sables bitumineux et qu’une majorité des populations de nos deux pays veulent que leurs dirigeants-es s’occupent des changements climatiques.

« Nous pensons qu’il est temps que les scientifiques prennent la parole pour souligner l’ampleur et l’importance de l’enjeu que constituent les sables bitumineux et qu’ils deviennent de véritables participants dans le dialogue international sur le climat. En travaillant ensemble nous pouvons résoudre les problèmes d’énergie que nous avons. Il n’est pas trop tard ; c’est maintenant qu’il faut agir » ont déclaré les signataires de ce document.

La professeure Wendy Palen du département des sciences biologiques de l’Université Simon Fraser, a déclaré au cours de cette conférence, que les décisions concernant les sables bitumineux font partie « du legs que nous laisserons aux futures générations ». Elle a aussi affirmé que les 10 raisons invoquées ont toutes des bases scientifiques.

« Nous sommes convaincus que la poursuite de cette exploitation est en contradiction avec la nécessité d’éviter de dangereux changements climatiques » a déclaré le professeur Thomas Homer-Dixon de la Balsillie School of International Affairs de l’Université de Waterloo. Il ajouté que plus on attend pour changer la situation, plus les coûts seront élevés ce qui peut vouloir prédire une crise alimentaire et des révoltes sociales. Il en appelle au Canada pour empêcher une « crise du carbone » et chercher des alternatives pour le développement et la prospérité. Il met en garde contre la baisse éventuelle de la valeur des énergies d’hydrocarbure. Il a ajouté :« Nous avons besoin d’un plan B et les premiers pas de ce plan sont la mise entre parenthèse du développement des sables bitumineux ». Il a été soutenu par ses collègues qui ont souligné que les niveaux de carbone dans l’atmosphère deviennent dangereux. Pour l’expert de l’eau de l’Université de l’Alberta, M. David Schindler, la priorité est de respecter le traité intervenu avec les Premières Nations qui interdit aux compagnies d’utiliser leurs terres pour leurs activités minières. Le Traité no.8 par exemple devait garantir aux populations indigènes la capacité de vivre sur leurs terres : « Je pense que quiconque voit une mine dans les sables bitumineux se rend compte qu’il est impossible d’assurer sa subsistance sur ces territoires. Les produits traditionnels de la chasse et de la pêche sont contaminés et porteurs de malformations mystérieuses en lien avec le pétrole extrait. Il arrive aussi qu’ils aient mystérieusement disparu ». Il a aussi déclaré que les autorités devraient mettre en place de véritables consultations avec les Premières Nations à propos des projets dans les sables bitumineux au lieu des pratiques actuelles dont il a été témoin. Des représentants y sont expédiés pour y tenir des propos confondants et culpabilisants : « Je pense qu’un bon départ serait de consulter les autochtones et de se servir de ces consultations pour ne pas intervenir dans certains territoires ». Il a ajouté que ces territoires sont cartographiés mais les compagnies obtiennent toujours des permis.

Ces propos ont été soutenus par le Dr. Ken Lertzman de la School of Resource and Environnemental Management de l’Université Simon Fraser qui a insisté sur le fait que les droits des autochtones sont enchâssés dans la constitution : « Ce sont leurs droits, leur santé, leur culture, et leurs moyens de vie qui sont les plus menacés » a-t-il ajouté. Et il a aussi souligné que ces territoires visés par le développement pétrolier sont ceux d’animaux comme le caribou qui sont déjà en déclin dans le nord de l’Alberta. L’extraction de ce pétrole implique le retrait de la tourbe. Il est ensuite impossible de remettre les sols en état parce que les eaux salées s’introduisent dans les sédiments et la roche. Les plantes ne peuvent survivre dans ces conditions. Selon des données, moins de 0,2% des sols ont été rétablis par les pétrolières jusqu’à maintenant. Et il ne s’agit pas d’un rétablissement complet : « Il est temps que nous déclarions que nous allons nous dissocier de tout nouveau projet » a-t-il ajouté.

Mais cette déclaration des scientifiques arrive au moment où la consommation de pétrole est saturée et où l’Arabie saoudite maintient les prix au plus bas. Le pétrole du Golfe persique s’extrait à un minimum de coût contrairement à celui de l’Alberta. L’extraction des sables bitumineux coûte cher et émet un haut niveau de gaz à effet de serre.

Selon la professeure Sarah Otto, directrice de la recherche en biodiversité au département de zoologie du l’Université de la Colombie britannique, pour maintenir le niveau des émissions de gaz à effet de serre et pour diminuer la température terrestre de 2 degrés centigrade il faudra s’attacher aux buts annoncés par le récent sommet du G-7 en Allemagne.

Cette déclaration du G-7 est une victoire pour la chancelière allemande, Mme Angela Merkel. Elle s’était engagée à arriver à une entente avant la rencontre de Paris sur le climat qui aura lieu plus tard cette année. C’est aussi une victoire pour les scientifiques qui s’inquiétaient de la hausse de la température qui menace les espèces en danger.

La docteure Otto estime que : « Nous pouvons travailler à minimiser les dommages et développer des technologies qui les diminueront, mais si nous perdons des espèces nous les aurons perdues pour toujours. De même des environnements sensibles comme les marécages tourbeux qui sont transformés définitivement ».

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